Les intellectuels en France
Publié le 19/11/2011
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On ne parle pas souvent des intellectuels en France. Mais quand on en parle cela fait du bruit. Chaque décade en moyenne, un ouvrage de pamphlétaire allure vient titiller l'amour-propre de nos penseurs professionnels. C'est généralement l'occasion d'un grand déballage public, de quelques règlements de compte et de lancements de pavés dans la mare. Le dernier en date a nom Régis Debray. Son livre - le Pouvoir intellectuel en France (Editions Ramsay) - suscite encore bien des remous dans la petite République parisienne des Lettres. C'est que M. Debray ne met pas des gants : il appelle un chat un chat et les intellectuels des médiocrates.
«
le pense dans le milieu.
Régis Debray en tient
compte, certes.
Mais préfère focaliser son attention
sur
ce fenestron qui pénètre indument chez des mil lions de Français chaque soir à l'heure de la soupe.
Une soupe dans laquelle il crache après l'avoir
longtemps goûtée : intellectuel de gauche, écrivain
professionnel (il vit de sa plume), Debraya le méri te immense de savoir de quoi il parle : il a reçu le prix Fémina il y a quelques temps, il est passé à « Apostrophes » lui aussi, à une époque ou ça ne lui
semblait pas encore être synonyme de prostitution
morale.
Aussi son livre, qui réussit à n'être jamais
amer, formule-t-il de nécessaires mises au point
dans un petit monde où seules les lois non-écrites
ont cours.
D'autant qu'un autre livre, sorti simulta
nément, l'a utilement complété.
Il s'agit
de la Répu
blique mondaine (Grasset éd.) de Jean Bothorel.
Un léger brûlot ou il est question de copains et de
coquins, de dîners en ville et de cénacles .
discrets où les décisions-makers comme on dit Outre-Manche, se retrouvent, se congratulent, se flattent et se grif fent.
Et les mandarins de la pensée n'y sont pas en reste.
Mais cet ouvrage reste un essai personnel,
tandis que celui de Debray, avec son appareil de références, de citations, de documents, a souvent
force de persuasion.
L'intellectuel selon Balzac, Benda, Aron, Sartre ...
Des références, Régis Debray en a beaucoup
utilisées.
Nul besoin d'aller chez lui pour deviner
que
les murs de son salon sont tapissés de livres.
Il
a beaucoup lu, la Comédie humaine de Balzac sur
tout.
Ce qui nous vaut de savoureux extraits de l'Histoire naturelle du Bimane en société, des allu
sions percutantes à l'ordre gendelettre :le publicis te à portefeuille, le rienologue ...
Depuis la peinture
balzacienne des bouffonneries parisiennes, il y a
eut essentiellement trois livres, trois auteurs qui ont
réfléchi au rôle de l'intellectuel dans la societé.
La
Trahison des clercs d'abord, que Julien Benda
publia en 1927 chez Bernard Grasset.
Cet ouvrage
est majeur.
Il marque une étape essentielle dans
l'évolution des
idées en- Ff'!ffiée.
Démodé? Non
pas.
Réédité aujourd'hui, plus d'un demi-siècle
après, par le Livre de
Poche (collection Pluriel) il semble promis à une nouvelle carrière tant les thèses qui y sont développées se trouvent vérifiées.
En
les relisant avec le recul de l'histoire, on leur trouve
même des accents prophétiques « Les hommes dont la f?nction est de défendre les valeurs éternelles et
desintéressées, comme la justice et la raison, et que
j'appelle les clercs, ont trahi cette fonction au profit
d'intérêts pratiques », ainsi parlait Benda.
Il
dénonçait la trahison de ces intellectuels qui étaient
sortis de leur tour d'ivoire pour descendre dans
l'arène et de se mêler aux politiques.
Tout'Benda tient dans cette phrase:« ...
jusqu'à nos jours, l'en
semble des hommes de pensée ou bien demeure
étranger aux passions politiques et prononce avec
Goethe
» : laissons la politique aux diplomates et aux
militaires,« ou
bien s'i/fait état de ses passions
(comme Voltaire) adopte à leur égard une attitude
critique, ne
les retient pas à son compte en tant que passions».
Pour Julien Benda, le dédain de l'immé
diat exclut proprement le nom de passion.
Second livre, .
seconde étape :
l'Opium des intellectuels de Raymond Aron.
C'était en 1955.
Cet opium là ne fait pas ·hallucinatoire : il fit l'effet
d'une bombe.
Le grand sociologue posait la ques
tion : pourquoi le marxisme revient-il à la mode en une France dont l'évolution économique a démenti les prédictions marxistes ? Partant, il analysait les
manières de penser, d'agir, de parler des intellec
tuels français.
Il osait mesurer l'état d'alinéation
avancé d'intellectuels qui ne pouvaient être que « de gauche ».
Là aussi, un pavé dans la mare.
Un coup à gauche, un coup à droite.
Aron répondait
aussi à Benda.
L'intellectuel qui attache du prix à
l'organisation raisonnable de la Cité, ne se conten tera pas de marquer les coups, de mettre sa signa
ture au bas de tous les manifestes contre toutes les injustices.
Bien qu'il tâche de troubler la bonne
conscience de tous les partis, il s'engagera en faveur de celui qui lui parait offrir sa meilleure
chance à l'homme- choix historique qui comporte les risques d'erreur inséparables de la condition
historique ...
Mais dans sa conclusion, Aron rejoint
plus catégoriquement Benda : Peut-être l'intellec
tuel
se désintéressera-t-i/ de la politique le jour où il en découvrira les limites.
Dix ans après Aron, quarante ans après Benda,
Jean-Paul Sartre.
C'est
en effet en septembre et
octobre 1965 que le philosophe prononce trois
conférences à Tokyo et Kyoto.
Elles seront réunies
et publiées par Gallimard sous
le titre univoque :
Plaidoyer pour les intellectuels.
Qu'est-ce qu'un
intellectuel, quelle est sa fonction, l'écrivain est-il
un intellectuel ? Ces trois questions sont les trois
thèmes de ses trois conférences.
Sartre prend garde
d'énoncer d'abord la critique traditionnelle faite à
ceux
qui ont pour métier de penser : les intellec
tuels sont des gens qui se mêlent de ce qui ne les
regarde pas et qui prétendent contester l'ensemble
des vérités reçues et des conduites qui s'en inspirent
au nom d'une conception globale de l'homme et de
la société.
A quoi l'auteur
de l'Etre et le Néant
répond : l'intellectuel est l'homme qui prend
conscience
de l'opposition qu'ily a en lui et dans la société entre la recherche de la vérité pratique et
l'idéologie dominante.
Cette prise de conscience
n'est pas autre chose que le dévoilement des contradictions fondamentales de la société.
Balzac, Benda, Aron, Sartre ...
La route est
longue jusqu'à Régis Debray.
Les anciens parlent
de savoir, de connaissance, de gendelettre.
Debray
parle de pouvoir et de télévision.
Signe des temps.
En attendant qu'un autre homme de réflexion se penche, dans une décade ou plus, sur les gens de réflexion et leur rôle dans la société ...
des ordina
teurs.
En attendant, comme dirait Sartre ...
« en tant
qu'intellectuel, il cherche ...
».
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