Les hommes se croient-ils libres uniquement parce qu ils ignorent ce qui les détermine ?
Publié le 11/11/2005
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Épictète, l'un des plus célèbres stoïciens (v. 50 – v. 125), s'est particulièrement intéressé à la question de la liberté humaine (Cf. Ce qui dépend de nous, et aussi Manuels et entretiens). Il fait une distinction fondamentale et préalable entre « les choses qui ne dépendent pas de nous « (corps, biens, réputation, dignité) et « celles qui en dépendent « (opinion, désir, aversion). Ce qui trompe l'humain et le rend malheureux, c'est sa croyance d'un libre pouvoir sur les premières choses, nous dit-il.
Ce questionnement philosophique capital sur la nature et les limites de la liberté humaine sera repris tout au long de l'histoire de la discipline. Il met en jeu la connaissance spécifique de l'humain sur lui-même (aspect théorique) mais également la possibilité ou non d'une action morale humaine (aspect pratique). C'est à l'aune même des mensonges et croyances humaines que l'acte de naissance de la philosophie se mesure. Comme interrogation et lutte, contre ceux-ci, pour le vrai et par le raisonnement libre, la philosophie se définit donc comme raison délivrant de la croyance et de l'ignorance humaine. C'est en ce sens que le questionnement sur la liberté et responsabilité humaines est décisif philosophiquement. En effet, la philosophie cherche, par nature, à répondre à la question ici posée : « Les hommes se croient-ils déterminés parce qu'ils se masquent leur responsabilité ou bien se croient-ils libres parce qu'ils ignorent les causes de leurs actes ? «.
Cette question, capitale pour le statut même de la philosophie, appelle un traitement spécifique de deux questions sous-jacentes :
-
La philosophie peut-elle délivrer les notions de liberté et de responsabilité humaines de la croyance et du mensonge ?
-
Peut-elle, dès lors, proposer une réponse « une «, positive et déterminée à l'alternative ici posée ?
«
"Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit unfou, je veux aussi que tout arrive comme il me plaît.
Eh, mon ami, la folie et laliberté ne se trouvent jamais ensemble.
La liberté est une chose nonseulement très belle mais très raisonnable et il n'y a rien de plus absurde ni deplus déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que leschoses arrivent comme nous les avons pensées.
Quand j'ai le nom de Dieu àécrire, il faut que je l'écrive non pas comme je veux mais comme il est, sans ychanger une seule lettre.
Il en est de même dans tous les arts et dans toutesles sciences.
Et tu veux que sur la plus grande et la plus importante detoutes les choses, je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et lafantaisie ? Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arriventnon comme il te plaît, mais comme elles arrivent.
» (Cf. Entretiens , Livre I, XXXV.)
La voie vers le bonheur Une connaissance adéquate du monde nous apprend à distinguer deuxsortes de choses : celles qui ne dépendent pas de nous, et celles quidépendent de nous (cf.
Manuel d'Épictète).
Les premières sont le cours dumonde, notre corps, les honneurs, les aléas de la fortune ; les secondes, nosjugements, nos désirs, nos opinions, bref, le principe directeur de notre âme,notre liberté de juger.
Or, le trouble de l'âme et l'inquiétude du coeur naissent de l'attachement de notre volonté aux premières, qui, nécessairement, nous déçoivent et nous font vivre dans l'inconstance.
Se lier à cequi ne dépend pas de nous revient à se rendre prisonnier de l'extériorité, à vivre hors de soi-même.
La liberté du sage : « endure et abstiens-toi » La seule manière d'atteindre la paix consiste donc à se détacher de toutes ces choses, pour se retirer dans lacitadelle imprenable de notre liberté intérieure.
Là, personne ne peut nous contraindre, là nous jouissons d'uneparfaite indépendance, et jamais nous ne serons déçus.
Quoi qu'il arrive, je conserve ma liberté de jugement, je suishors d'atteinte.
Je considère froidement mes passions, qui, tout comme mon corps, ne sont que choses extérieuresà moi-même, indignes d'attachement.
Le but du sage est d'atteindre l'« apathie ».
l'absence de passion.
par le refusde consentir à tous les entraînements de son corps.
Je ne suis pas mon corps, celui qui le torture ne m'atteint pas— d'où son acharnement, et la déception du sadique, qui voudrait soumettre mon âme, mais ne le peut.
Ainsi, dans une quelconque épreuve, le sage ne récrimine pas contre le cours du monde, ne s'emporte pas en vain,mais s'attache aucontraire à ce qui dépend de lui : il maîtrise sa crainte, qui seule est terrible, ne se laisse pas entraîner par sesreprésentations, refuse son assentiment aux délires de l'imagination, reste maître de lui-même, libre, tel un roc battupar les flots.
« Vivre conformément à la nature » Mais l'attitude du sage ne se confond pas avec une fuite hors du monde ; il doit au contraire consentir à soncours, participer par son acquiescement à l'oeuvre de Dieu, en identifiant sa volonté à la volonté divine.
Il y a deux moments dans la démarche stoïcienne : se concentrer en soi d'abord, pour mieux communier ensuite,librement, avec le Tout.
La liberté ne consiste pas à se retirer du monde, mais à s'y retrouver chez soi, parce quel'on intériorise et fait sienne la volonté du Tout.
Non pas conformer le monde à soi, à ses désirs, entreprise vaine,mais se conformer à la nature.
Le malheur de l'insensé vient de ce qu'il néglige de considérer sa subordination à l'ordre de l'univers.
Partant, il lesubit comme un malheur extérieur à lui-même ; au lieu de coopérer à son accomplissement, et d'en être ainsil'auteur avec Dieu, il se fait étranger au tout, et à lui-même, puisqu'il porte en lui une part du souffle divin.
«Nolentem fata trahunt, ducunt volentem » (Sénèque) : le destin entraîne celui qui le refuse, mais guide celui qui yconsent.
Les hommes souffrent donc d'une mauvaise interprétation de la détermination et de la liberté humaines.
Laphilosophie cherche donc au préalable de redéfinir ces deux notions avant de les distinguer.
Mais peut-elle trouver« la » vérité sur cette alternative ?
II.
Une liberté humaine illusoire ?
La philosophie n'a de cesse de chercher et de vouloir l'homme libre.
Le déterminisme naturel (lois de la nature,passion dévorante...) ne peut cependant être nié.
Épictète ne le nie d'ailleurs pas, il propose simplement de faire la part des choses entre celui-ci et la liberté qu'il juge accessible pour peu que l'homme la voit telle qu'elle estvraiment.
Être libre ne signifie pas faire tout ce que l'on veut, mais plutôt accepter et vouloir que les chosesarrivent telles qu'elles arrivent.
C'est donc une ébauche de la liberté fondée sur la volonté éclairée que propose lestoïcien.
Seulement, c'est la question de la responsabilité qui se pose alors.
Celle d'un homme qui a le pouvoir d'agiret de choisir librement.
Par la conscience de la nature de ses choix et de ses actes, l'homme ne peut plus prétexterun déterminisme total de sa condition.
Il s'ouvre alors à la question de la moralité : est libre celui qui est responsablede ses actes et de ses choix..
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