Les hommes peuvent-ils être responsables devant les générations futures ?
Publié le 12/03/2004
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Cependant, comme pour l'enfant, la responsabilité vis-à-vis des générations futures se fonde aussi sur la cause elle-même. Nous avons, nous, hommes d'aujourd'hui, la responsabilité sans réciproque de l'humanité future.«L 'avenir de l'humanité est la première obligation du comportement collectif humain à l'âge de la civilisation technique devenue "toute -puissante"... « (Le Principe Responsabilité, chapitre 5). Cette obligation s'énonce dans deux principes : le premier impératif, catégorique, sans condition, «commande simplement qu'il y ait des hommes «, même si les générations futures n'ont rien qui ressemble à un quelconque droit à la vie. Le second dit que, «Si dans l'avenir il y a des hommes... alors valent telles obligations à leur égard que nous devons observer par anticipation «. Par exemple, nous avons l'obligation de veiller à ce que les cultures agricoles intensives actuelles n'appauvrissent pas les sols de demain, que nos déboisements ne compromettent pas les ressources en oxygène, que les pollutions industrielles ne réchauffent pas trop le climat sous l'action de «l'effet de serre «, etc. Ainsi se monnaie en mesures pratiques et réalisables qu'il revient aux «responsables« politiques de prendre la responsabilité collective de l'humanité d'aujourd'hui à l'égard de celle de demain.
Pendant des siècles, la notion de responsabilité a eu cours sans qu'apparaisse l'idée qu'on pouvait être responsable devant les générations futures. L'on était responsable de ce que l'on faisait ou avait fait, devant ses contemporains. Les seuls actes qui engageaient ma responsabilité dans le futur étaient l'engagement ou la promesse; mais ces contrats ou engagements moraux, comme le mariage ou la promesse de vente, me liaient toujours à mes contemporains; leur extension dans le temps avait comme ligne d'horizon la génération des hommes actuels. La morale et le droit s'arrêtaient au seuil de cette humanité virtuelle que constituent les générations futures. Convient-il aujourd'hui, et pour quelles raisons, d'étendre à ces dernières la notion de responsabilité? Pouvons-nous avoir des obligations à l'égard des hommes et des femmes de demain? Voilà les questions soulevées par ce sujet.
«
percevoir toutes les implications.
D'abord, Kant a bien montré que le propre de l'obligation morale — du devoir — est qu'elle est insensible à toute considération d'intérêt.
Or, l'intérêt égoïste deshommes à leur propre perpétuation et conservation dans le temps permettraitd'expliquer suffisamment qu'ils se soucient des générations futures.
Dès lors,doit-on aller jusqu'à parler d'une responsabilité et d'un devoir qui nouslieraient à elles ? Il se pourrait très bien au contraire que la préoccupation desgénérations futures et le souci de leur bien-être nous soit soufflés par laprudence, et par l'idée de notre intérêt bien compris, le même qui nous inviteà ne pas couper la branche sur laquelle nous sommes assis.
La perspective del'intérêt n'est pas seulement le court terme.Or, ce n'est pas ainsi que Jonas l'entend.
Il parle bien d'une responsabilité ausens fort, au sens d'une obligation morale.
Celle-ci n'a pas et ne peut avoirpour principe l'intérêt, mais le devoir sacré qu'il y ait une humanité, qu'elleexiste encore à l'avenir.
La responsabilité à l'égard des générations futures adonc une source métaphysique ou religieuse.
Dès lors t effet qu'elles n'ontpas à proprement parler de droits sur nous, puisqu'elles n'existent pas, notreobligation à leur égard ne peut plus s'expliquer que par l'idée que nous,hommes d'aujourd'hui, sommes les dépositaires de l'avenir de l'humanité et dela terre comme d'un bien qui nous aurait été confié et dont nous serionsresponsables.De la sorte, la responsabilité à l'égard des générations futures, étantprésentée comme un devoir désintéressé et sacré, ne peut être simplementdéduite du simple principe éthique de la responsabilité de l'homme envers l'homme, comme le voudrait Jonas; elle est bien plutôt déduite d'une responsabilité qu'on peut appeler religieusepour laquelle les hommes d'aujourd'hui comme de demain sont comptables devant un être transcendant, disons Dieu,de ce qu'ils font de ce qui a été créé pour eux, à savoir la terre et la nature tout entière.On comprendra de la sorte que la responsabilité à l'égard des générations futures ne peut être, pour Jonas, quesolidaire d'une responsabilité globale à l'égard de la biosphère.
Elle n'en est même qu'une partie.
Il s'agit en ce sensd'une responsabilité moins éthique qu'écologique.
Or, l'écologie est aujourd'hui religieuse, comme l'a bien vu LucFerry.
Cela veut dire que le sens de la responsabilité à l'égard des générations futures se livre à nous dans le soinquasi religieux de la nature et non pas dans le souci de l'autre homme et de la spécificité de l'humain.
Laresponsabilité à l'égard de l'humanité future ne s'inspire pas d'un droit de l'humanité, mais apparaît comme la simpleobligation dérivée d'« un droit éthique autonome de la nature », selon l'expression de Jonas.
Ainsi qu'il l'écrit,« Du moins n 'est-il plus dépourvu de sens de demander si l'état de la nature extra-humaine, de la biosphère...
n'estpas devenu par le fait même un bien confié à l'homme et qu'elle a quelque chose comme une prétention morale ànotre égard — non seulement pour notre propre bien, mais également pour son propre bien et de son propre droit.
»(Le Principe Responsabilité).
Ainsi, ce dont nous sommes finalement responsables, c'est moins de l'homme que de la nature, moins de l'humanitéfuture que de l'humanité dans la nature future.
A ce titre, la responsabilité envers l'humain est diluée, au profit de laconsidération lointaine des générations à venir, dans une responsabilité globale où se trouve niée la spécificitéhumaine du souci éthique.
Ce qui se jouerait donc dans le principe d'une responsabilité à l'égard des générationsfutures, tel que le pose Jonas, a été bien mis en évidence par Luc Ferry :« En clair, il s'agit de reconnaître...
que les hommes ne sont qu'une infime partie de l'univers, qu'ils en dépendent depart en part et qu'à ce titre, ce dernier doit faire l'objet d'une valorisation et d'un respect plus élevés que ceux quenous réservons d'ordinaire à l'humanité.»(Le Nouvel Ordre écologique).Il ne faudrait donc pas que l'extension de notre responsabilité aux générations futures se paie du renoncement à laspécificité humaine de l'éthique.
En effet, il n'est pas plus souhaitable de faire passer les intérêts de l'homme auxprofits et pertes de ceux de la nature qu'il ne l'est de compromettre l'avenir de l'humanité au nom d'intérêtséconomiques ou industriels à court terme.Dernier point.
La responsabilité à l'égard des générations futures, selon Jonas, serait ancrée dans la peur, plusexactement, la «peur-pour-autrui ».
La responsabilité commencerait avec cette question : « Que lui arrivera-t-il, simoi je ne m'occupe pas de lui ? » (Le Principe Responsabilité).
Outre que les générations futures n'ont pas vraimentpour Jonas, comme on l'a indiqué plus haut, le statut d'autres hommes, mais celui de parties de la biosphère, onpeut même contester au plan psychologique la valeur d'une telle peur ou d'un tel souci.
Ainsi que l'écrit Ferry :« On voit mal...
comment le sentiment, précisément parce qu'il s'agit d'un sentiment, pourrait ne pas être au premierchef égocentrique.
Les générations futures se réduisent trop souvent à l'image de nos enfants, et le souci depréserver la vie en général se confond avec celui de conserver la sienne et celle des siens.
»(Le Nouvel Ordre écologique).Que ce soit au plan éthique ou psychologique, on peut donc conclure que toute la signification que l'on doitaccorder au principe d'une responsabilité à l'égard des générations futures s'arrête à celle que nous avons à l'égardde nés enfants, des petits hommes ; elle tient en elle, et non à une métaphysique ou une mystique de la nature.
CONCLUSION
La question de savoir si les hommes sont responsables devant les générations futures peut recevoir desinterprétations différentes.
Il y a plusieurs manières de comprendre cette responsabilité.
Dans une perspective.
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