Les grands artistes ne sont pas les transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux. Malraux
Publié le 05/01/2005
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Un artiste est un individu qui pratique cette activité singulière qu’est l’art. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Aujourd’hui, par art nous entendons plutôt une activité créatrice gratuite, mais sérieuse, qui représente dans des œuvres un état de la sensibilité et de la pensée d’une époque, en s’opposant à la fois à la disgrâce qui frappe les activités techniques utilitaires, jugées serviles, et à la futilité des activités ludiques vouées au divertissement. Ni labeur, ni distraction, l’œuvre d’art incarne et suggère un sentiment de la vie.
Un transcripteur est quelqu’un qui se livre à la copie de quelque chose dans un autre medium que celui d’origine. Le transcripteur fait la copie d’une image du monde dans un medium d’expression artistique, ou opère le transfert d’une langue dans une autre. Transcrire, c’est donc opérer un mouvement, être l’operateur d’un passage de significations entre deux milieux.
Etre un rival signifie prétendre faire aussi bien, sinon mieux que celui dont on se présente comme l’adversaire. Quand Malraux dit que les artistes sont les rivaux du monde, il entend par la qu’ils créent aussi des mondes avec leurs moyens propres, doués de leurs propres lois et de leur propre beauté.
Etudiant l’assertion de Malraux, « les grands artistes ne sont pas les transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux « nous pouvons d’abord constater qu’elle se heurte directement a une tradition importante de l’histoire de l’art occidentale. En effet, l’art a longtemps été considère comme une activité de copie, de transcription du monde sur une page, un tableau : dans un autre milieu, une autre forme modelée par un créateur-copiste. Mais nous verrons que la conception de Malraux s’inscrit dans la pensée moderne de l’art, qui fait de l’artiste plus qu’un copiste, mais bien l’auteur d’un univers a part entière. Enfin, nous verrons que l’artiste ne se contente pas de rivaliser avec le monde : son ambition profonde est de le surpasser, d’exprimer sa révolte contre sa finitude.
La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si l’artiste est inféode au monde ou au contraire le démiurge d’un univers artistique en révolte contre le monde réel.
«
Allant plus loin dans notre analyse de la compréhension de la pensée platonicienne de l'art, nous dirons que l'artisteest par rapport au monde un transcripteur de piètre talent, mais aussi un être qui induit les autres en erreur.
Eneffet, alors que l'idée incarne l'optimum de vérité, l'artefact produit par un travailleur manuel manifeste déjà moinsde vérité que ce modèle, et la copie de l'artefact encore moins de vérité.
Si nous prenons l'exemple du Parthénon,nous verrons que les colonnes de ce temple se donnent comme parfaitement égales, d'une verticalité harmonieuse,alors qu'en vérité le sommet des piliers est plus épais que la base.
Cette tromperie s'explique par la distance duspectateur, qui rend nécessaire une pareille inégalité de la base et du sommet.
A la lumière de cet exemple, nouspouvons dire que l'artiste n'est pas un transcripteur du monde qui parviendrait à le copier tel qu'il est, sans lemodifier en rien.
Au contraire, Platon nous montre bien que l'artiste est par définition un mauvais transcripteur, quiinduit ses semblables en erreur et qui, a ce titre, doit être banni de la cité idéale qu'il imagine dans la République . II.
Cependant, le grand artiste se veut un rival du monde en l'égalant
La distinction malrucienne implicite entre les artistes a.
Cependant, nous ne pouvons en rester à une semblable thèse.
En effet, le propos de Malraux établit une distinctionau moins implicite entre les artistes : il y a d'une part les petits, les médiocres, ceux que la postérité ne retiendrapas ; et de l'autre les grands artistes, ceux qui marquent l'histoire de leur art en l'infléchissant durablement.
Cettedistinction peut nous donner a voir que les petits artistes, dans la perspective malrucienne, sont ceux qui secontentent de représenter le monde tel qu'il est, de tenter de le copier, de l'imiter.
A l'inverse, les grands artistesont pour leur part une ambition plus démesurée, celle qui consiste à faire de leur activité un combat avec le monde.Loin d'imiter le monde, ils tentent d'en créer un nouveau… Mais qu'entendons nous exactement par la, et que signifiepour un artiste vouloir rivaliser avec le monde ?
L'artiste rivalise avec le monde en créant un univers parallèle obéissant à ses lois propres b.
Nous nous appuierons sur un propos de Gracq qui va précisément dans le même sens que la citation de Malraux etnous aide à comprendre cette dernière :
« J'ai toujours été étonné de la méprise qui fait du roman, pour tant d'écrivains, un instrument de connaissance,de dévoilement ou d'élucidation (même Proust pensait que sa gloire allait se jouer sur la découverte de quelquesgrandes lois psychologiques).
Le roman est addendum à la création, addendum qui ne l'éclaire ni ne la dévoile enrien : ce qu'un enfant de sept ans sait parfaitement dès qu'il a mis le nez dans son premier vrai livre (il aura toutle temps de ses études pour tenter de l'oublier laborieusement).
Que le roman soit création parasitaire, qu'il naisseet se nourrisse exclusivement du vivant ne change rien à l'autonomie de sa chimie spécifique, ni à son efficacité :les orchidées sont des épiphytes ».
J.
Gracq, en lisant en écrivant
En effet, cette citation montre bien pour le roman ce qui est vrai pour toutes les formes d'art : certes, l'art senourrit du monde tel qu'il est, tel qu'il est vu par l'artiste.
Mais ce dernier fait advenir un nouveau monde avec seslois propres.
Pensons à ce titre à la temporalité au sein d'un roman.
Celle-ci n'est pas exactement similaire a ce quenous voyons dans la réalité : alors que le temps est constamment le même dans le monde, fractionne de la mêmemanière, le roman à le pouvoir d'étirer infiniment des moments d'exception, ou de procéder a des ellipsesconsidérables.
Pensons par exemple a la scène de première rencontre dans l' Education sentimentale , bref instant si longuement décrit : et a la fameuse ellipse dans le même roman, qui passe en une phrase sur plusieurs années (« Ilvoyagea »).
Nous dirons donc que le grand artiste est bien un rival du monde, parce qu'il crée plus qu'une copiemais bien ce que Gracq nomme un « addendum » a la création.
III.
L'artiste est plus que le rival du monde : il en est le contempteur et le vainqueur
a..
»
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