Les fonctions sociales du langage
Publié le 09/01/2023
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«
Dissertation: Quelles sont les fonctions sociales du langage
Introduction :
Par société on entend un groupe plus ou moins étendu d’individus liés par un ensemble
organisé de relations.
Que celles-ci soient fonctionnelles ou personnelles, qu’elles
relèvent de la sphère publique ou privée, elles font généralement appel à la médiation du
langage.
Dans les groupes humains, le social et le langagier s’interpénètrent dans de
nombreuses situations.
Le langage n’a de réalité qu’au niveau social de l’échange, de
l’apprentissage et de sa pratique effective.
Tout cela suggère que le langage a une ou des
fonctions sociales.
Omniprésent dans la société, le langage semble bien élaboré, préservé
et modifié par les interactions sociales, et semble constituer une partie intégrante des
représentations collectives, ce que nous devrons analyser.
Inversement, si le corps de la
société est conditionné par le langage, et si la communication sociale détermine de façon
significative la conduite quotidienne de ses membres, peut-on alors dire que le langage
constitue le tissu même de l’organisation sociale ?
I – Langage et socialisation
Tout d’abord, les liens entre société et langage sont très étroits, à tel point qu’il est
difficile d’imaginer l’un sans l’autre.
La philosophie grecque a perçu très tôt cette
interdépendance.
Aristote par exemple s’est attaché à montrer l’originalité de la société
humaine par rapport à celles des animaux : « il est évident que l’homme est un animal
politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire.
Car
comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme
a un langage» (Aristote, Politiques, I, 2).
Certes, l’homme est seulement « plus politique
» que les autres animaux, il n’est donc pas le seul à vivre en société.
Par conséquent, la
vie sociale n’est pas la propriété spécifique de l’homme, mais il y a une distinction
essentielle entre société animale et cité humaine : alors que les animaux n’ont que « la
voix...
qui est le signe du douloureux et de l’agréable..., le langage (logos, qui signifie
aussi raison) existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le
juste et l’injuste.
Or, avoir de telles notions en commun, c’est ce qui fait une famille et
une cité.
» (Idem).
Le langage rationnel (logos) apparaît ici comme fondateur de la cité
humaine puisque le fait de partager et d’exprimer les notions morales est à la fois ce qui
rend possible la vie en commun et ce qui sépare radicalement l’homme de l’animalité.
Plus près de nous, Emile Benveniste résume le caractère inséparable de ces deux
phénomènes dans Problèmes de linguistique générale : « En posant l’homme dans sa
relation avec la nature ou dans sa relation avec l’homme, par le truchement du langage,
nous posons la société...
langue et société ne se conçoivent pas l’une sans l’autre ».
L’existence de l’homme est ici d’abord une relation dont le langage est le mode
d’accomplissement privilégié, le médiateur (truchement) dans un rapport de
communication spécifique, qui a pour condition et pour cadre la société.
Celle-ci se
constitue justement par le fait d’entrer en relation et de communiquer au moyen du
langage articulé, qui prend obligatoirement la forme sociale d’une langue, et la forme
individuelle de parole.
Fondateur de la relation sociale, le langage a pour principale fonction la communication
entre les membres de la société.
Or, Rousseau montre que la parole a d’abord servi à
communiquer des sentiments et non des besoins, c’est ce qu’il explique dans son Essai
sur l’Origine des Langues : « Ce n’est ni la faim, ni la soif, mais l’amour, la haine, la
pitié, la colère, qui ont arraché aux hommes les premières voix ».
Nous trouvons une idée
assez similaire chez John Locke.
Cependant ce ne sont pas des sentiments que le langage
permet d’échanger, mais surtout des idées qu’il permet de partager : « comme on ne
saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de
pensées, il était nécessaire que l’homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles
par lesquels ces idées invisibles, dont ses pensées sont composées, puissent être
manifestées aux autres », (Locke, Essai philosophique concernant l’entendement
humain).
On voit ici que c’est la vie sociale et ses exigences qui conduisent à
l’élaboration d’un système de signes efficace qui permette de se comprendre en société.
En plus de cette vertu théorique, le langage en société a également une finalité pratique.
C’est ce que pense par exemple Henri Bergson qui s’exprime ainsi dans Le Rire : « Or,
quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue
d'une coopération.
Le langage transmet des ordres ou des avertissements.
Il prescrit ou il
décrit.
Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le
signalement de la chose et de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future.
Mais dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire,
toujours sociale.
» Selon Bergson, la fonction du langage est toujours sociale : ce qui est
premier, c'est l'organisation sociale, qui est fondatrice de notre vision du réel.
L'originalité de cette position est donc que le langage a pour origine la forme de nos
actions possibles au sein de la société.
Ainsi, la vie en société dépend de l’intercompréhension rendue possible par le langage qui permet de partager des émotions,
transmettre des idées ou préparer des actions.
Grâce à ces fonctions d’expression et de communication, le langage participe à la
socialisation de l’individu.
Celle-ci se réalise graduellement au stade de l'enfance durant
laquelle va se construire la personnalité sociale.
Emile Benveniste reconnaît le rôle
décisif des interactions sociales dans le développement individuel, en particulier de
l’enfant.
Il l’exprime en ces termes dans Problèmes de linguistique générale : « L'enfant
naît et se développe dans la société des hommes.
(..
.) L'acquisition du langage est une
expérience qui va de pair chez l'enfant avec la formation du symbole et la construction de
l'objet.».
Grâce aux échanges sociaux, la qualité des processus de socialisation s’ajoute à
la qualité des expériences cognitives.
Cette idée est partagée par Emile Durkheim qui
insiste lui aussi sur le rôle décisif du langage dans ce processus, pour lui le langage est en
tout premier lieu social car il a été élaboré par la société et se transmet au fur et à mesure
des générations.
Mais le langage n’est pas qu’un simple système de mots, il implique
aussi une culture propre à la société qui utilise ce langage et cette culture sociale à travers
le langage est aussi le fond de la culture individuelle.
Plus généralement, la langue, qu’on
ne différenciera pas ici du langage, comme le fait Saussure dans son Cours de
linguistique générale, est le véhicule principal de la culture d’une société puisque
l’apprentissage d’une langue implique l’assimilation et la reproduction de la culture
véhiculée par cette langue.
« Par la langue, nous explique encore Benveniste, l’homme
assimile la culture, la perpétue ou la transforme.
Or comme chaque langue, chaque
culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque
société.» Tout comme la langue, la culture inhérente à la société humaine, est un système
de symboles vivants, dont la reconnaissance et l’assimilation favorise l’intégration et
l’identification mais aussi la créativité et l’innovation au sein de cette culture.
Ainsi, par
le langage, la société façonne la pensée, la mentalité et la culture de l’individu.
Fait social par excellence, le langage crée les liens, favorise les échanges et assure
l’intégration.
Mais cela signifie-t-il que c’est un outil neutre et objectif ? Loin s’en faut,
car le langage se trouve investi des passions, des divisions et des rivalités sociales.
II – Langage et domination
Le langage a été très tôt utilisé pour agir sur autrui.
Le développement des cités grecques
amène tout naturellement au premier plan le discours : pour agir, il faut persuader les
citoyens, qui décident en dernier ressort.
Apparaissent, au Ve siècle av.
J.-C., des maîtres
qui vont de ville en ville enseigner l'art du discours : ce sont les sophistes.
Gorgias,
comme tous ces maîtres d’éloquence, s'est profondément intéressé à la thaumaturgie du
langage, cet art d'agir sur les âmes et d'exercer sur elles un pouvoir.
Pour lui, Discours est
un grand roi, qui peut tout et fait tout.
Rien ne saurait résister à ce grand tyran qui, avec
un corps imperceptible, parachève les actes les plus « divins ».
Dans la mise en scène
qu’en fait Platon, Gorgias apparaît comme un cynique qui manie un art sans autre objet
que de dominer les autres.
Voici comment le Gorgias de Platon définit la rhétorique : « Je
veux dire le pouvoir de persuader par ses discours les juges au tribunal, les sénateurs
dans le Conseil, les sénateurs dans l’assemblée du peuple et dans toute autre réunion de
citoyens.
Avec ce pouvoir, tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe
(maître de gymnastique et d’hygiène du corps) et, quant au fameux financier, on
reconnaîtra que ce n’est pas pour lui qu’il amasse de l’argent, mais pour autrui, pour toi
qui sait parler et persuader les foules.
» Si pour Gorgias, la rhétorique est « le bien
suprême » c’est parce qu’elle permet de commander aux autres hommes dans la cité.
On
voit ici que la fonction sociale de communication est dévoyée, détournée au profit de
l’égoïsme individuel.
L’art de persuader par le discours devient une source prodigieuse
de pouvoir qui offre à son détenteur un avantage décisif sur les autres citoyens,
généralement mal armés pour y résister.
La rhétorique est l’exemple même du discours
perverti, car elle place le dialogue dans une perspective de prise de pouvoir sur l’autre.
La
question de la rhétorique reste une question de notre temps.
Le pouvoir des médias est un
pouvoir sans réel savoir.
Il ne repose que sur un ensemble de techniques de
communication.
D’un autre point de vue, le pouvoir du langage peut être senti au niveau des processus de
socialisation où il exerce un rôle de classification et parfois de cloisonnement des groupes
sociaux.
En même temps que les individus assimilent des normes sociales de conduite à
travers le langage, ils sont intégrés de plein gré ou malgré eux dans des groupes
socialement marqués et identifiables par opposition aux autres groupes sociaux (ouvriers,
paysans, bourgeois...) De ce fait, l’accès d’un individu aux moyens de communication et
l’utilisation effective qu’il en fait seront socialement déterminés.
Du coup, par son parler
(vocabulaire, syntaxe, prononciation...) l’individu se trouve attribuer une identité sociale
qui révèle son origine et son appartenance.
Il s’agit du phénomène de reproduction
sociale qui joue le double rôle de perpétuation et d’intégration des individus dans la
société.
Ainsi, l’individu socialement catégorisé par son langage, se trouve enfermé dans une
identité sociale dont il ne peut échapper.
Ce rapport problématique des individus avec le langage de leur classe est symptomatique
des rapports de domination sociale qui s’exercent dans et par la langue.
Ces rapports sont
analysés par le sociologue Pierre Bourdieu dans Ce que parler veut dire.
Les locuteurs
sont inégaux devant la langue qu’ils maîtrisent plus ou moins bien : on distingue un
français qu’on dit par exemple soutenu, correct, incorrect, familier, populaire, argotique,
un français d'immigré, d'ouvrier, de paysan, de professeur ...etc.
Le sujet parlant, bien
qu’il ne soit pas divisé lui-même, vit cependant dans une société divisée, hiérarchisée,
cloisonnée, c’est un sujet parlant dont la langue reproduit dans sa logique propre les
traces de cette division et de cette hiérarchisation.
Si la faculté de langage est le propre du
genre humain, il y a dans l’utilisation de cette faculté à s’exprimer, des différences.
Il y a
des styles expressifs (syntaxe, lexique, registre) qui sont des pratiques langagières
socialisées, éminemment variables et hétérogènes, qui sont mesurées à la norme de la
langue dominante.
Bourdieu introduit la notion de « marché linguistique » pour....
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