Les « faits de population » posent-ils seulement des problèmes biologiques et économiques, ou posent-ils en outre un problème moral ?
Publié le 20/06/2009
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Introduction. — Depuis plus d'un demi-siècle, sous la menace d'une armée allemande de plus en plus forte, les Français déploraient la dénatalité de leur pays et la dépopulation des campagnes, plus prolifiques que les villes. Aujourd'hui, si cette préoccupation ne nous a pas complètement abandonnés, nous entendons d'autres échos : de grandes contrées du globe sont surpeuplées et on craint que ne se réalise un jour la prévision de Malthus, qui avait calculé que la planète ne pourrait pas nourrir ses habitants. D'autre part, en même temps qu'augmente la quantité des habitants du globe, leur qualité baisse : elle baisse du point de vue de la culture, du fait que ce sont les peuples plus primitifs et les ménages les moins civilisés qui ont le plus d'enfante; elle baisse aussi du point de vue biologique, le progrès de l'hygiène et des institutions sociales assurant la survie d'enfante médiocrement constitués ou même anormaux, qu'éliminait autrefois la sélection naturelle. Que nous considérions soit notre pays, soit le globe, comme insuffisamment peuplés ou comme menacés de surpopulation, ces faits posent de graves problèmes. On parle suffisamment des problèmes biologiques et des problèmes économiques. Il appartient au philosophe de se demander s'ils ne posent pas aussi un problème moral.
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des hommes qui vivent actuellement et ont une destinée à remplir.A ces difficultés générales, il est facile de répondre qu'on peut agir sur le mouvement de la population sans violer lesdroits individuels et dans le respect de la liberté.
Les moyens les plus conformes aux exigences de la dignité humainesont d'ordre moral : ce sont les moyens de cette espèce que préconisait Malthus pour parer au danger de lasurpopulation; on a également fait appel au patriotisme et à l'esprit religieux pour augmenter le nombre desnaissances.
Les faveurs accordées aux familles nombreuses ne portent pas davantage atteinte aux droits de chacunet respectent la liberté individuelle.Mais il est bien difficile de s'en tenir à ces mesures, et nombre de moyens proposés par les démographes ou par leseugénistes et effectivement mis en pratique en divers pays, semblent bien violer certains droits essentiels del'homme.
Il nous suffira d'en énumérer quelques-uns.Il est légitime, dans le but d'augmenter la population, de favoriser les familles nombreuses.
Mais peut-on admettreque, dans un pays menacé de surpopulation, les faveurs aillent aux familles peu nombreuses ou aux ménages sansenfants? Tous les enfants ont le droit de vivre et l'État n'a pas celui de les condamner à mort.
Il n'a même pas ledroit, par la menace de ses sanctions, de provoquer une restriction de naissances qui ne serait obtenue que par desmoyens immoraux, comme les procédés anticonceptionnels ou l'avortement.Il est également légitime, pour augmenter la natalité, de prendre des mesures permettant aux couples stérilesd'avoir des enfants, mais non pas n'importe quelles mesures : les lois de la famille doivent être respectées, et lesmoralistes jugent que l'insémination artificielle par appel à un "donneur" substitué au mari ne la respecte pas.Il est extrêmement souhaitable, pour éviter une baisse qualitative de la population, que les individus tarés reconnusinaptes à procréer des enfants normaux ne se reproduisent pas.
On comprend que dans ce but la loi interdise lemariage à ceux qui sont incapables d'un véritable acte humain ou même prévoie leur internement; mais peut-elledécider leur stérilisation? Le moraliste hésite à l'affirmer.
A plus forte raison rejette-t-il comme destructrices de lafamille, élément essentiel de la culture humaine, des vues comme celles qu'exprimait en 1884 Vacher de Lapougedans ses Sélections sociales : «En opérant dans les conditions déterminées, un très petit nombre d'individusmasculins, d'une perfection absolue, suffiraient pour féconder toutes les femmes dignes de perpétuer la race, et lagénération ainsi produite serait d'une valeur proportionnelle au choix le plus rigoureux des reproducteurs mâles.
».
Ilest sans doute vraisemblable que le recours à cette méthode entraînerait une amélioration biologique de la race;mais le moraliste condamne une amélioration obtenue par des moyens contre nature.
D'ailleurs, c'est l'améliorationmorale qu'il considère comme seule digne de nos efforts, et des progrès matériels ne valent pour lui que commecondition du progrès moral; or, les mesures préconisées par certains eugénistes n'amélioreraient les constitutionsphysiques qu'au détriment du psychique et du moral : les observations faites par les psychanalystes etcriminologues sur les personnes privées d'une famille conforme aux exigences du droit naturel nous font prévoir lestroubles graves qu'entraînerait la mise en pratique du programme de Vacher de Lapouge.
Conclusion. — Il faut le reconnaître, les faits de population posent des problèmes très délicats.
Il est en somme relativement facile de préciser quelle serait la population idéale du globe ou d'un pays, mais la difficulté est dedéterminer les moyens de tendre vers l'idéal souhaité.
A cette détermination, les psychologues et les moralistesdoivent collaborer avec les biologistes et les économistes, mais c'est au moraliste que revient le dernier mot..
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