Les dieux sont-ils morts ?
Publié le 31/03/2004
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JE VAIS VOUS LE DIRE! NOUS L'AVONS TUÉ VOUS ET MOI! NOUS SOMMES TOUS SES ASSASSINS! « « Ce tout ce qui est écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son sang. « Cette phrase de Nietzsche suffit à caractériser son oeuvre. Car, même si Nietzsche a beaucoup lu, le véritable laboratoire de sa pensée est son propre vécu. D'où une pensée angoissée, lucide, qui oscille entre le pessimisme et la gaieté. Une pensée éclatée, contradictoire. Un immense pied de nez à la morale hypocrite, à l'érudition bête, à l'Etat oppresseur. Une entreprise de Nietzsche est totalement originale dans l'histoire de la philosophie occidentale. Que se propose-t-il, en effet, sinon, dans une philosophie « à coups de marteau «, de « briser les vieilles tables «, de « surmonter la métaphysique «, de « surmonter les philosophes par l'annihilation du monde de l'être « ? Pourquoi ? Parce que ce monde fictif a nié la vie terrestre, en faisant croire qu'elle n'était rien.
Bien qu'il n'en soit pas l'auteur, l'expression « la mort de Dieu « reste attachée à la pensée de Nietzsche. Ce cri qui se veut prophétique et annonciateur de bouleversements, parce qu'il met en cause les fondements de nos croyances, apparaît cependant comme l'aboutissement d'un processus antérieur, qui fait que « la foi dans le dieu chrétien a été dépouillée de sa plausibilité «.
«
«nihilisme passif » restait une volonté, car « l'homme préfère le néant à ne rien vouloir ».
Dieu mort, la fameuse question de Schopenhauer: « L'existence a-t-elle un sens ? », prend toute sa force.
Et il insensé, dans « Le Gai savoir », de s'écrier: « Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon tout entier ? Qu'avons-nous fait, à désenchaîner cette terre de son soleil ? »
La mort de Dieu, c'est la disparition de la « mer » et du « soleil », de l'horizon tout entier.
Et en ce siècle de « vide » ou de « néant infini », toute l'ingéniosité des hommes consiste à découvrir l'ivresse dans la musique, l'enthousiasme aveugle pour des hommes singuliers ou des événements ; ou bien, plus modestement, dans le travailsans relâche, le sacrifice de soi à la science ou à un parti politique.
En fait, au lieu de croire en Dieu, on ne croitprovisoirement en rien.
Alors, pourquoi Nietzsche présente-t-il la mort de Dieu comme un événement joyeux, comme un événement énorme, sans précédent dans l'histoire des hommes.
C'est un événement joyeux, parce quec'est la fin de la croyance en un monde transcendant au nôtre, la fin du dualisme, c'est-à-dire de l'opposition entrel'ici-bas et l'au-delà, entre l'âme et le corps.
C'est donc la fin de toute une culture négatrice, nihiliste, qui dévalonsait ce monde, le corps, la vie.
C'est la fin de la « moraline » judéo-chrétienne, du ressentiment, de l'esprit de vengeance, de ces contraintes qui écrasaient les hommes.
C'est précisément tout ce qui s'oppose à L'affirmationde la vie et que Nietzsche veut détruire qui est en train de perdre son importance, qui a déjà pris fin, d'une certaine ère.
La mort de Dieu est bien un affranchissement de l'homme qui était assujetti à un au-delà.
Et lephilosophe y voit, non pas une raison de s'attrister ou de s'assombrir, mais au contraire « un nouveau genre de lumière », « un bonheur », « un soulagement », « une nouvelle gaieté », « un encouragement ».
C'est ce qu'on découvre au livre cinquième du « Gai savoir »:
« C'est un fait, nous autres philosophes et "esprits libres", à la nouvelle que "le vieux Dieu" est mort, nous noussentons comme touchés par la lumière d'une nouvelle aurore : notre coeur déborde de gratitude, d'étonnement,de pressentiment, d'attente - voici l'horizon redevenu libre... »
Mais la mort de Dieu, ce n'est pas seulement la mort du Dieu chrétien et moral, mais de tous les dieux.
Cetévénement est énorme car il ouvre une nouvelle phase de l'histoire de l'homme, celle du « surhonune ».
« Tous les dieux sont morts: nous voulons à présent que vive le surhomme - que ceci soit au grand midi notre dernière volonté!», s'écrie Zarathoustra .
L'insensé du « Gai savoir », qui, le premier, avait annoncé que Dieu était mort et que nous étions tous ses meurtriers, avait aussi déjà, à sa manière, avancé l'idée du surhomme: « Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux - qui effacera denous ce sang ? Avec quelles eaux nous purifierons-nous? Quelles expiations, quels jeux sacrés nous faudra-t-ilinventer ? La grandeur de cette action, n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés dedevenir nous-mêmes des dieux pour paraître dignes de cette action ? » En fait, pour Nietzsche , il n'y eut pas d'action plus grandiose que l'assassinat de Dieu, et ceux qui naîtront après « appartiendront à cause de cet acte, à une histoire plus élevée que ne le fut jamais toute histoire ! ».
Que signifie « le surhomme », sinon le dépassement de l'homme par l'homme ? Mais encore ? Une affirmation de « la volonté de puissance », le passage du « tu dois » au «je veux ».
L'homme sans Dieu doit se donner à lui-même sa volonté.
«Je suis Zarathoustra, l'homme sans Dieu: où trouverais-je mon semblable ? Sont mes semblables tous ceux qui sedonnent eux-mêmes leur volonté et se défont de toute soumission. »
Est-ce que cela signifie, comme certains ont voulu croire, la domination de l'homme par l'homme ? Une apparition durègne des maîtres qui doit balayer la tourbe de l'humanité commune ? Ces interprétations, qui font de la volonté depuissance un appétit de domination, sont aberrantes.
Vouloir la puissance, c'est dire « oui » à la vie.
c'est se vouloir soi-même plus grand.
Une telle volonté n'est de l'ordre de la possession, de l'avoir, mais de celui de l'être.
Ils'agit de ne plus vivre dans la culpabilité, le ressentiment, la haine.
La meilleure image de cette volonté depuissance affirmative et créative, c'est Dionysos qui nous l'offre, ce dieu de la spontanéité, de la danse, du délire enthousiaste.
Dionysos , le contraire du Crucifié.
La mort de Dieu signifie donc la résurrection de l'homme, d'un homme qui n'est plus responsable que de lui-même, qui ne se commande que lui-même, d'un homme parvenu à maturité.
Certes un tel homme peut trouver saliberté extrême et vouloir mourir.
Mais à l'extrême de cette liberté, « la volonté de néant » peut s'inverser en « une volonté de l'éternel retour du même ».
Le passage du « tu dois » au « je veux » peut assurer la renaissance du « je suis ».
Que signifie ce thème de l'éternel retour du même, affirmé, avec force, dans Ainsi parlait Zarathoustra et déjà présent, implicitement, dans « Le Gai savoir » (aphorisme 310: « Volonté et vague ») ? Le dépassement du pessimisme, son inversion en l'homme le plus exubérant, le plus vivant qui soit.
Celui qui acquiesce à ce qui fut et àce qui est, celui qui veut l'avoir de nouveau, comme c'était et comme c'est, à jamais, pour l'éternité, en criantinsatiablement « da capo » :
« Ainsi vivent les vagues - ainsi vivons-nous, nous autres êtres voulants! [...
] Dansez à votre gré, bellestumultueuses, hurlez de plaisir et de méchanceté - à nouveau plonge7- au fond du gouffre versez vos émeraudes etjetez par-dessus vos blanches dentelles infinies de mousse et d'écume...
»
Ce qui se révèle dans le spectacle du ressac au bord de la mer, dans le flux et le reflux des vagues,pleines de la convoitise des trésors ensevelis, c'est la nature même du vouloir.
S'il n'y a plus de Dieu, il n'y a plus de.
»
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