Les deux expressions : « être intelligent » et, « être raisonnable » ont-elles le même sens ? Sinon, précisez leurs différences. ?
Publié le 19/06/2009
Extrait du document
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candidat qui reconnaît avoir fort mal répondu et comprend son échec.On le voit, la rationalité de celui qu'on déclare être raisonnable présente un caractère social et on aime bien avoiraffaire à ceux qui en sont bien pourvus.
« Allons, vous êtes raisonnable », ne qualifie pas le plus souvent quelqu'undans l'absolu; celui qui porte ce jugement indique par là sa propre satisfaction, ou du moins il laisse deviner lesoulagement qu'il éprouve à constater qu'il n'a pas affaire, ainsi qu'il le redoutait, à un partenaire difficilementtraitable.Après ces remarques sur l'usage des expressions « être intelligent » et « être raisonnable », il nous sera facile devoir en quoi elles s'opposent.
II.
- DIFFÉRENCES
Sans doute, « être intelligent » et « être raisonnable » comportent tous deux un élément commun : la faculté depercevoir des rapports, faculté qui manque aux animaux.
De ceux-ci, il est vrai, nous disons parfois qu'ils sontintelligents; mais il serait plus juste de dire qu'ils se comportent comme s'ils étaient intelligents : leur conduites'explique par le dressage ou par l'association, et leur « intelligence » se réduit à reconnaître certains signes; lecomment et le pourquoi de la succession des faits leur échappent et même ne les intéressent pas.
A proprementparler, seul l'homme est intelligent comme il est seul raisonnable.Mais, à s'en tenir aux expressions « être intelligent » et « être raisonnable », ces adjectifs ne sont pas synonymes,en sorte qu'on peut être fort intelligent sans être particulièrement raisonnable; bien plus, il y a une certaineincompatibilité entre ces deux dispositions mentales : une intelligence trop brillante entraîne facilement un brin dedéraison, et il est rare que ceux qu'on dit être très raisonnables soient supérieurement intelligents.
a) « Être intelligent » consiste à avoir la compréhension prompte, l'explication lumineuse, la répartie immédiate.
Ainsique nous l'avons dit l'intelligence est principalement faite de rapidité.
Au contraire, on n'est guère raisonnable sansune certaine lenteur, si les solutions raisonnables se présentent subitement à l'esprit, c'est qu'elles ont étépréparées par une longue réflexion inconsciente ou marginale.
Pour employer les tenues de la caractérologie,l'individu intelligent est ordinairement un primaire; l'individu raisonnable, un secondaire.
b) Considérée comme des formes de la pensée, l'intelligence de celui qu'on dit « être intelligent » est plutôtabstraite, tandis que, contrairement à ce que le mot pourrait suggérer, la raison de celui qui passe pour « êtreraisonnable » est plutôt concrète.
L'homme intelligent analyse les faits, les ramène à leurs éléments, explique leursrapports au moyen de principes et des lois; aussi le savoir est-il très utile pour paraître intelligent, et parfois peut-iltenir lieu de véritable intelligence.
Il est bien difficile, au contraire, que le savoir masque la déraison; il l'accuseraitplutôt.
C'est que, pour être raisonnable, il faut voir la réalité, dans son ensemble, l'expérimenter et la vivre.
Pourreprendre des oppositions classiques, pour « être intelligent » il suffit d'expliquer, tandis que, pour être raisonnable,il faut comprendre au sens fort du mot (DILTHEY); ou encore, l'intelligence et la raison dont il s'agit icicorrespondent à l'esprit de géométrie et à l'esprit de finesse dont parle PASCAL.
c) Cependant la différence essentielle, celle qui rend compte de toutes les autres, est ailleurs : ainsi que nousl'avons dit, « être intelligent » qualifie la pensée, tandis que « être raisonnable » qualifie la conduite, principalementla conduite morale.Sans doute, une conduite morale est dirigée par une pensée.
Mais, non seulement elle ne se réduit pas à la penséeet consiste essentiellement dans l'action, mais la pensée qui la sous-tend est elle-même sous-tendue par l'action;action et pensée, dans la conduite raisonnable, sont indissolublement unies.
De ce point de vue, la pensée elle-même est une conduite, et non un jeu d'esprit restant en marge de l'existence concrète.C'est pourquoi l'expression « être raisonnable », quand elle est prise dans son acception la plus élevée, s'applique àcelui qui, dans ses jugements et ses options quotidiennes, est guidé par un certain sens de la vie, par uneconscience plus ou moins nette de la fin de l'existence humaine.Un homme très intelligent peut limiter ses investigations à un domaine restreint de la science; mais s'il veut « êtreraisonnable », il devra répondre d'abord aux grandes questions du pourquoi de la vie.
CONCLUSION.
-- S'il nous était permis de choisir entre les deux opinions que les autres peuvent se faire de nous : « il est fort intelligent » et « il est très raisonnable », il est probable que nous n'hésiterions pas : la médiocrité desambitions de celui qu'on dit raisonnable porte facilement à croire à une médiocrité totale.Mais ce que nous venons de dire le montre : il y a une manière d' « être raisonnable » qui tient, au contraire, à unelargeur de vue qui manque à beaucoup de ceux qu'on dit être intelligents », qui dénote, par conséquent, une formesupérieure d'intelligence.D'ailleurs, si nous avions à choisir entre deux compagnons dont l'un passerait pour très intelligent et l'autre pourremarquablement raisonnable, nous hésiterions peut-être un peu plus que dans le premier cas.
En effet, pour celuiqui est pure intelligence, l'autre n'existe que comme objet de connaissance ou moyen d'action; il n'y a que desproblèmes à résoudre ou des résultats à obtenir, et pour cela on manoeuvre les hommes comme les éléments d'uneéquation ou les pions d'un échiquier.
Au contraire, quand on est guidé par la raison, au sens que prend ce mot dansl'expression « être raisonnable », l'autre qui, lui aussi, a sa fin humaine à réaliser, prend une valeur inaliénable.
C'estpourquoi il fait généralement mieux vivre avec des compagnons vraiment raisonnables qu'avec des compagnons trèsintelligents.Mais nous n'avons opposé que des cas extrêmes.
Dans la réalité, les hommes sont plus ou moins intelligents et plusou moins raisonnables.
C'est grâce à l'intelligence qu'on peut être « raisonnable » sans pour cela s'établir dans unemédiocrité sans ambition.
De même, c'est parce qu'on est « raisonnable » que l'intelligence, devenant vraimenthumaine, s'élargit aux dimensions de tout l'homme et de l'humanité tout entière..
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