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Les choses, les idées et les mots chez J.-J. ROUSSEAU

Publié le 10/01/2020

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Le développement de la réflexion sur le langage au XVIIIe siècle est lié à celui des interrogations sur l'origine de la connaissance : dans ce texte, Rousseau analyse le type de médiation que le langage opère entre le sensible et le rationnel.

Chaque objet reçut d’abord un nom particulier, sans égard aux genres, et aux espèces, que ces premiers instituteurs n’étaient pas en état de distinguer ; et tous les individus se présentèrent isolés à leur esprit, comme ils le sont dans le tableau de la nature. Si un chêne s’appelait A, un autre chêne s’appelait B : de sorte que plus les connaissances étaient bornées, et plus le dictionnaire devint étendu. L’embarras de toute cette nomenclature ne put être levé facilement : car pour ranger les êtres sous des dénominations communes, et génériques, il en fallait connaître les propriétés et les différences ; il fallait des observations, et des définitions, c’est-à-dire, de l’histoire naturelle et de la métaphysique, beaucoup plus que les hommes de ce temps-là n’en pouvaient avoir.

D’ailleurs, les idées générales ne peuvent s’introduire dans l’esprit qu’à l’aide des mots, et l’entendement ne les saisit que par des propositions. C’est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend. Quand un singe va sans hésiter d’une noix à l’autre, pense-t-on qu’il ait l’idée générale de cette sorte de fruit, et qu’il compare son archétype à ces deux individus ? Non sans doute ; mais la vue de l’une de ces noix rappelle à sa mémoire les sensations qu’il a reçues de l’autre, et ses yeux, modifiés d’une certaine manière, annoncent à son goût la modification qu’il va recevoir. .Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l’imagination s’en mêle, l’idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l’image d’un arbre en général, jamais vous n’en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s’il dépendait de vous de n’y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c’est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d’en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l’imagination s’arrête, l’esprit ne marche plus qu’à l’aide du discours. Si donc les premiers inventeurs n’ont pu donner des noms qu’aux idées qu’ils avaient déjà, il s’ensuit que les premiers substantifs n’ont pu jamais être que des noms propres.

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1775), coll. « Profil - Textes philosophiques », Hatier, 1992, pp. 94-95.

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« arbre.

Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours.

La définition seule du trian­ gle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré.

Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales; car sitôt que l'ima­ gination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du dis­ cours.

Si donc les premiers inventeurs n'ont pu donner des noms qu'aux idées qu'ils avaient déjà, il s'ensuit que les premiers substantifs n'ont pu jamais être que des noms propres.

Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1775), coll.

«Profil -Textes philosophiques», Hatier, 1992, pp.

94-95.

POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Le concept de chien n'aboie pas, et je ne m'assieds pas sur celui de chaise.

Pourtant mon chien aboie, et je suis assis sur une chaise.

D'ailleurs tous les chiens aboient, et toutes les chaises peuvent servir de sièges.

Un concept n'est ni un objet, ni l'image mentale d'un seul objet, mais une idée générale qui contient tous les carac­ tères communs à tous les individus d'une même catégorie.

La formation des concepts présuppose l'accumulation de perceptions particulières d'individus, de situations ...

existant réellement, que leur parenté suggère de regrouper puis de classer dans des catégories.

Chaque catégorie englobe l'en­ semble des situations ou des individus qui se ressemblent suffisamment pour être spontanément associés.

Inverse­ ment, si j'identifie aussi facilement tel objet comme étant une chaise, tel animal comme étant un chien, c'est parce que je dispose du concept qui permet leur reconnaissance immédiate.

Ce que le texte de Rousseau met parfaitement en évi­ dence, c'est la condition de possibilité et du classement et de l'identification : pour ces deux opérations, j'ai besoin à la fois d'une médiation entre ma perception du réel et ma faculté de le penser, et d'un moyen de fixer mes représen-. »

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