« Les choses absurdes sont les seules agréables, les seules belles, les seules qui donnent de la grâce à la vie et qui nous empêchent de mourir d'ennui. Un poème, une statue, un tableau raisonnable feraient bâiller tous les hommes, même les hommes raisonnables. » (Livre de mon ami). Que pensez-vous de cette boutade d'Anatole France ?
Publié le 02/04/2009
Extrait du document
Plus que nulle autre, notre époque s'impose par son amour du nouveau, de l'inédit, voire de l'étrange ou de l'inaccoutumé. On peut trancher d'un mot en disant qu'elle a privilégié l'absurde au point de l'ériger en théorie littéraire, sinon en système philosophique. Albert Camus n'a-t-il pas fondé naguère avec le Mythe de Sisyphe, l'« absurdisme « ? Mais le surréalisme de l'autre après-guerre, ou le « lettrisme « de M. Isidore Isou, ou la peinture cubiste, et particulièrement la peinture d'un Dubuffet, faite avec de la boue séchée, ou les papiers collés d'un Matisse et la sculpture de conserves détériorées, ne sont-ils pas autant de modes de cette absurdité générale de l'Art contemporain ? Il semble qu'Anatole France ait été une manière de devin extraordinaire lorsqu'il a écrit au début de ce siècle : « Les choses absurdes sont les seules belles... Un poème, une statue, un tableau raisonnable feraient bâiller tous les hommes, même les hommes raisonnables. « Nous allons tenter d'éclairer ce paradoxe d'Anatole France à la lumière de l'art actuel, et des formes les plus traditionnelles de l'art universel.
«
Molière ou Milton sont grands, qui ont été entièrement raisonnables.
Si l'on se détourne de Puvis de Chavannes, ony reviendra un jour, car il est le type même du peintre pondéré.
Raphaël et Michel-Ange ont créé un type d'œuvresoù la raison se compose avec l'inspiration.
3.
Au reste, le Classicisme symbolise concrètement cette tendance à l'art de raison.
Poussin, Ingres, Racine, Pigalleou Jean Bologne ont réalisé une sorte de parangon de la Beauté rationnelle.
L'architecture savante, la poésiecomposée suivant les préceptes de la raison, d'après les résultats du nombre d'or, donneront des résultatsbeaucoup plus sûrs qu'un art de fantaisie.
« Usez, n'abusez pas, c'est la loi de la nature », disait déjà Voltaire.
Et l'on a dans ce pur idéal de beauté une sorted'absolu artistique, où la critique n'a pas de prise.
L'Absurde est toujours relatif et imparfait.
Seul le Raisonnablepeut être parachevé, impeccable et absolu : « Classique est l'écrivain qui porte un critique en soi-même », ditValéry.
La mesure, la bienséance et la modération sont les règles impérieuses du bon goût.
III.
- APPRÉCIATION
Défense de l'Absurde
1.
On pourrait établir une hiérarchie entre la fantaisie, l'absurde, l'illogique.
Si l'illogisme est condamnable, il n'en vapas de même de l'absurde.
« Les grandes œuvres
subsistent par leur côté passionné », disait Balzac.
Or, la passion est toujours absurde, et l'absurde toujourspassionné.
Le génie est un déchaînement intensif de forces écrasantes : il ne peut jamais être qu'intempestif.
Uneœuvre créée dans le calme plat (intérieur et extérieur) ne peut être que plate.
2.
Il faut donc défendre le tumultueux, le chaotique, l'apocalyptique.
« Il faut, disait Anatole France, lui-même, dansla Préface des Opinions de Jérôme Coignard, il faut, pour servir les hommes, rejeter toute raison, comme un bagageembarrassant, et s'élever sur les ailes de l'enthousiasme.
Si l'on raisonne, on ne s'envolera jamais.
» Aucune poésiene saurait jamais être tout à fait raisonnable.
Car la raison tuerait l'inspiration.
Ce sont les bons talents qui peuventêtre parfaits.
Mais il y a dans le génie quelque chose d'imparfait qui va plus haut, plus loin, plus profondément quedans les chefs-d'œuvre achevés.
« Génie, ô longue impatience », dit Valéry (Charmes).
3.
D'ailleurs la quasi-totalité de l'œuvre de France n'a que de la fantaisie et non point de véritable absurdité.
(L'undes plus grands auteurs de ce temps, Paul Eluard, nous paraît beaucoup plus révélateur de ce génie irrationnel, ouValéry, ou Gide).
L'on ne peut arriver à créer qu'en tournant le dos au raisonnable.
Il faut un refus de tous les instants pour laisserune œuvre.
La leçon a été bien entendue par notre temps puisque Albert Camus l'inscrit dans le titre de son dernierouvrage : L'homme révolté.
Le génie n'est jamais une longue patience : il serait plutôt une courte révolte.
CONCLUSION
L'ennui a son antidote dans l'Absurde comme le désespoir l'a dans la joie.
Mais la vie peut être conçue comme unelente et longue remontée vers la morne et désespérante découverte de soi, et l'on ne peut alors se complaire à desvariations raisonnables autour de thèmes très sages.
Ou bien on peut avoir le désir de vivre dangereusement, de «choquer le bourgeois », de scandaliser les populations et de mettre un peu de fantaisie, de charme, de nouveautédans une existence banale.
L'art raisonnable est un art de copie apollinienne, de réalisme et de conservationaustère.
L'art absurde est un art dionysiaque d'arrachement à la vie, d'évasion, de renouvellement, de changementradical.
Dire lequel des deux doit être préféré serait absurde.
Mais le choix est toujours absurde.
« Je parie pour legénie, quel que soit son camp.
».
»
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