L'éphémère a-t-il de la valeur ?
Publié le 17/01/2022
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Selon la réponse apportée, notre destinée sera éclairée sous un jour bien différent. 2) DiscussionA. L'éphémère n'a pas de valeur, laquelle s'attache soit à la durée, soit à l'éternité (thèse). l'éphémère ? Ce terme n'est pas, dans la langue courante, valorisé : est éphémère ce qui est sans lendemain, sans futur, sans avenir. Le langage est, à cet égard, dépourvu d'équivoque; ainsi parle-t-on d'une gloire ou d'un succès éphémères, d'un bonheur éphémère, fragile, fugace et précaire. La philosophie, réitérant ces préjugés, s'attache, elle aussi, fréquemment, non point à la valorisation des plaisirs et des jours éphémères, mais à ce qui dure ou s'inscrit dans l'éternité.Pourquoi l'éphémère serait-il dépourvu de qualités réellement désirables ? Il participerait, en tous points, à la déficience ontologique du temps. Il condenserait et incarnerait cette dernière.
• On ne prendra pas nécessairement « éphémère « au sens strict, mais on y comprendra ce qui ne dure pas. • Chercher des synonymes d'éphémère : actuel ? d'actualité ? fugitif ? passager ? à la mode ? • La question ne consiste pas à se demander si ce qui est éphémère fonde toutes les valeurs possibles, mais s'il peut présenter une certaine valeur, ou une valeur spécifique.
«
B.
Seul l'éphémère possède de la valeur (antithèse).
La volonté de repousser l'éphémère hors du champ du valorisable et du valorisé s'enracine dans le projet de la conscience commune— qui valorise « ce quidure », la matière non périssable, aux dépens du fragile — mais aussi dans celui de la conscience métaphysique, qui préfère l'éternel à l'éphémère.
N'est-cepoint cette double visée qu'il nous faudra ici mettre en question ? Le « durable » sous la forme de l'or, de la lourde matière ou sous celle de l'Essenceéternelle, n'est-il pas infiniment inférieur à ce qui ne dure qu'un instant ?Et si l'éphémère, l'immédiat détenait, au contraire, la plus grande valeur ? L'existence, n'est-ce pas l'instant de la vie dans son éclatement vertigineux, labeauté de ce qui fuit et ne se reproduira jamais plus ? En réhabilitant l'existence, ne réhabilitons-nous pas l'éphémère, ce temporaire et ce précaire ? Si laconscience commune privilégie le « durable », la philosophie véritablement concrète ne s'attachera-t-elle pas au momentané, à ce qui n'est pas destiné àcontinuer ? Seules les jouissances de l'immédiat sont belles : en elles ce qui s'accomplit est le vrai destin de la vie, ce destin qui consiste à prendre formeà travers l'instant, à travers le précaire, à accomplir ce néant qui est notre être même.
A la stabilité et à la continuité si plates ne faut-il pas préférer lespossibles fugaces ? Puisque l'homme est destiné à la mort, à lui de se vivre jusqu'au bout comme être-pour-la-mort, en préférant l'éparpillement del'éphémère au principe d'unité.
Que la poussière d'instants l'emporte sur l'illusoire unité, que l'éphémère emplisse nos vies ! Seuls l'instant et le désirimmédiat possèdent de la valeur, car ils incarnent la beauté mortelle et périssable, qui est le lot de l'homme.
Discontinue, qualitative, liée au plaisirimmédiat sans cesse renouvelé, telle est l'existence, où l'éphémère devient le suprême désirable.
Songeons ici à Don Juan, qui exprime la vie dans l'instant,le désir fugace, l'éphémère, l'absence de continuité temporelle, la rapidité de la foudre, la griserie sensuelle et esthétique.
L'éphémère, c'est la beauté de lavie évanescente et mortelle.
Préférons la beauté à la pesante éternité, la splendeur de l'instant qui fuit à l'or durable ou aux réalités permanentes.
Écoutonsle Don Juan de Mozart :« Écoutez Don Juan ; si, en l'écoutant, vous n'obtenez pas une idée de lui, vous ne l'obtiendrez jamais.
Écoutez le début de sa vie.
Comme la foudre sort desnuées ténébreuses de l'orage, ainsi s'élance-t-il des profondeurs du sérieux, plus rapide que la foudre, plus capricieux qu'elle et, pourtant, aussi sûr;écoutez comme il se jette dans la richesse de la vie, comme il se brise contre son barrage inébranlable, écoutez ces sons de violon, légers et dansants,écoutez le signe de la joie, l'allégresse du plaisir, écoutez les délices solennelles de la jouissance; écoutez sa fuite éperdue — dans sa précipitation il sedépasse lui-même, toujours plus vite, de plus en plus irrésistible, écoutez les désirs effrénés de la passion.
» (Kierkegaard, Ou bien...
ou bien, Gallimard)
Transition
Toutefois l'éphémère, s'il est beauté, est aussi fuite, comme ce Don Juan de Mozart, qui s'éparpille, étranger à toute continuité, et s'engloutit dans la mort.Et si une synthèse était possible ? Et si l'éphémère pouvait s'allier à l'éternel ?
C.
L'instant, synthèse possible de l'éphémère et de l'éternel (synthèse)
Ne méprisons pas l'éphémère, car il incarne la splendeur de notre monde, le vrai noyau de l'existence, le dynamisme universel de la vie, cette mer en fluxperpétuel.
Si la conscience « bourgeoise », avide d'or et de meubles lourds, mais aussi la conscience métaphysique, fascinée par le permanent, méprisentcet éphémère qui fuit, la conscience artistique sait bien que les plus grandes oeuvres sont menacées, que le fragile et précieux pastel se détruit chaquejour, que seul l'éphémère a de la valeur.
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois !Toutefois, l'instant est peut-être l'union de l'éternité et de l'éphémère.
Dans Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche, Zarathoustra est un sage quirencontre l'Éternité au sein même de l'éphémère.
« Je t'aime, ô Éternité », va-t-il s'écrier.
Or cette éternité, il ne la goûte ni en son essence éloignée, nidans un Outre-Monde, mais dans l'éphémère lui-même.
« Ô bonheur ! Ô bonheur ! Que ne chantes-tu pas, ô mon âme ? Le monde est accompli.
»(Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Gallimard)Ainsi, au sein même du devenir, sous le règne de l'éphémère, quand le devenir brise les anciennes structures pour construire perpétuellement de nouvellesformes éphémères, l'instant peut se révéler porteur d'éternité.
« Toute joie veut l'éternité [...] veut la profonde éternité » (Nietzsche, op.
cit.) Peut-être l'idéede Retour éternel, doctrine selon laquelle toutes les choses reviennent un nombre infini de fois à l'identique, est-elle en mesure de nous apporter lasynthèse souhaitée : l' instant acquiert le caractère de l'éternité, car il se reproduira un nombre infini de fois.
Donc l'éphémère a la plus grande valeur, car lajoie est éternelle.
NIETZSCHE : Le poids le plus formidable.
- Que serait-ce si, de jour ou de nuit, un démon te suivait une fois dans la plus solitaire de tes solitudes et te disait : Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l'as vécue, il faudra que tula revives encore une fois, et une quantité innombrable de fois ; et il n'y aura en elle rien de nouveau, au contraire ! Ilfaut que chaque douleur et chaque joie, chaque pensée et chaque soupir, tout l'infiniment grand et l'infiniment petit de tavie reviennent pour toi, et tout cela dans la même suite et le même ordre - et aussi cette araignée et ce clair de luneentre les arbres, et aussi cet instant et moi-même.
L'éternel sablier de l'existence sera retourné toujours à nouveau - ettoi avec lui, poussière des poussières ! «.
- Ne te jetterais-tu pas contre terre en grinçant des dents et ne maudirais-tupas le démon qui parlerait ainsi ? Ou bien as-tu déjà vécu un instant prodigieux où tu lui répondrais : Tu es un dieu, etjamais je n'ai entendu chose plus divine Si cette pensée prenait de la force sur toi, tel que tu es, elle te transformeraitpeut-être, mais peut-être t'anéantirait-elle aussi ; la question veux-tu cela encore une fois et une quantité innombrablede fois ? cette question, en tout et pour tout, pèserait sur toutes tes actions d'un poids formidable ! Ou alors combien ilte faudrait aimer la vie, combien il faudrait que tu t'aimes toi-même, pour ne plus désirer autre chose que cette suprêmeet éternelle confirmation, que cette suprême et éternelle consécration ?
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 Quelle conséquence Nietzsche tire-t-il de la conception d'un temps circulaire, cyclique ?2 L'idée d'un temps cyclique et du retour est-elle une idée pénible ou exaltante ?3 Un temps cyclique est-il une incitation au fatalisme et à l'irresponsabilité ?Réponses:
1 - La répétition, la reproduction des mêmes événements : « Éternel retour du même ».2 - Elle est les deux.
Plutôt pénible lorsque nous souffrons, dans le malheur, exaltante au contraire dans les moments de joie et de bonheur.3 - Bien au contraire, il nous met devant une responsabilité terrible.
Car nous savons que chacun de nos actes se répétera indéfiniment, existeraéternellement.
3) Conclusion
Faut-il privilégier notre finitude ou bien l'éternité? Tel était le problème.
Nous répondrons que ces deux dimensions sont constitutives de l'humanité del'homme..
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