L'enfance est-elle seulement, comme le dit Rousseau, "le sommeil de la raison" ?
Publié le 11/01/2004
Extrait du document
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L'enfance n'est cependant pas seulement l'éveil à la raison, c'est aussi une période d'une extrême importance dansla vie de l'homme.
C'est une période très active, non seulement pour la raison, mais pour tout le mécanismepsychique.
Le psychisme, l'inconscient, se souviennent de tout.
Freud a donné des exemples célèbres de névroses,où des personnes d'âge mûr étaient extrêmement perturbées par des faits dont elles n'avaient aucun souvenir, etqui trouvaient leur source dans leur plus « tendre enfance ».
Sans que nous soyons des cas pathologiques, il estcertain que notre enfance à nous aussi a été marquée, et que nous en subissons, sans nous en rendre compte, lesconséquences.
L'enfant, en effet, a lui aussi une sexualité, des désirs, qui sont très loin, eux aussi, d'être ensommeil.
L'enfance, enfin, est la période privilégiée de la socialisation.On connaît malheureusement bien les effets d'une éducation bâclée, et on connaît d'autre part l'apport positif queconstitue pour les enfants la maternelle.
Là, très jeune, il apprend à vivre avec d'autres enfants, il apprend lescomportements et les lois du groupe.
Il s'intègre à la société en miniature qu'est le jardin d'enfants, il apprend, pardes jeux éducatifs, les rudiments de calcul, de grammaire.
On l'initie en douceur à ce qui va être exigé de lui dansles années de scolarisation, à la discipline, à la ponctualité, au travail sur commande, au silence, à l'immobilitécorporelle.
Or, qu'exige-t-on de n'importe quelle personne qui travaille ? On exige d'elle la ponctualité, car commentétablir un plan de production, quand les employés viennent quand ils en ont envie ? Il faut de la discipline, car sil'ouvrier refuse d'obéir au contremaître, il n'y aura pas de production.
Il est nécessaire que le travailleur, quel qu'ilsoit, soit capable de rester au moins huit heures par jour, assis, ou debout, à travailler, à faire la même chose.
Auxdébuts du grand capitalisme industriel, les ouvriers, d'anciens paysans, étaient tout le contraire, et ça marchait mal.C'est pendant l'enfance, dès qu'un enfant est « propre », qu'on l'habitue à cela.
Certes, pendant l'enfance, on habitue aussi les garçons et les fillettes à créer, à réfléchir, à se détendre, on leurprocure des loisirs, et tout ceci n'a, semble-t-il, aucun rapport avec la production, et le monde imaginé par Huxleydans Le Meilleur des Mondes ne s'est jamais réalisé.
Cependant, les travailleurs ont besoin d'un environnementidéologique pour pouvoir continuer à travailler, à tel point que, dans les usines Citroën, on n'engage plus destravailleurs immigrés seuls, mais par tribus entières.
Là, le chef joue le rôle de contremaître, le cadre idéologique dutravailleur est préservé, et il peut produire, sans souffrir pour autant des névroses, des « dépressions nerveuses »qui assaillent beaucoup de travailleurs immigrés.Si l'on en est réduit à employer de tels procédés, c'est qu'il est très difficile de changer les réflexes, les habitudes,les comportements acquis pendant l'enfance, qui loin d'être un sommeil de la raison et un vide intellectuel, est toutau contraire une période particulièrement active du psychisme, où il se forme à la raison, et se plie aux règles de lavie en groupe.
introduction
a) Un constatOn s'accorde généralement à dire que la raison caractérise l'homme, alors défini comme un « animal raisonnable » :car l'homme, nous dit Platon, est le seul animal capable de réfléchir sur ce qu'il voit (cf.
Cratyle, 399 c).b) Le problèmeMais le problème suivant se pose : la raison, qui est la faculté de former et de combiner logiquement des concepts,est-elle innée chez l'homme, ou est-elle construite lors du développement de l'être humain ? Tel est en effet ce quiest en jeu derrière la question de savoir si « l'enfance est le sommeil de la raison ».
Car dire que la raison sommeillechez l'enfant, c'est dire qu'elle est déjà pleinement constituée, mais ne fonctionne pas encore.Il convient donc d'examiner si la pensée de l'enfant se distingue de celle de l'adulte par sa structure et sonfonctionnement logique, et dans l'affirmative, d'étudier la genèse de la raison.
1 I les caractères de la logique enfantine
J.
Piaget, dans son ouvrage sur Le Jugement et le raisonnement chez l'enfant, a dégagé les caractéristiquessuivantes de la logique enfantine (jusqu'à 7-8 ans) :a) « L'égocentrisme »C'est le caractère fondamental de la pensée de l'enfant.
Ce dernier ne confronte pas sa pensée avec celle d'autrui,il ne cherche pas à la vérifier : il n'a recours ni à l'expérience ni à la discussion.
Cet isolement de la pensée enfantinel'empêche d'avoir une structure logique.
« Un enfant, écrit Piaget, pense d'une manière exactement intermédiaireentre la manière autistique et la manière socialisée.
Nous avons donc appelé égocentrique la pensée de l'enfant,voulant indiquer par là que cette pensée reste encore autistique dans sa structure, mais que ses intérêts ne visentplus seulement à la satisfaction organique ou ludique, comme l'autisme pur, mais déjà à l'adaptation intellectuelle,comme la pensée adulte.
» (Op.
cit., pp.
165-166.).
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