LEIBNIZ: L'origine des erreurs
Publié le 17/04/2009
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L’erreur : un jugement faux, c’est-à-dire non conforme aux règles de la logique (incohérent), et/ou non conforme à l’objet jugé. Ce texte se rapporte donc implicitement au thème de la vérité, aussi bien formelle que matérielle. Pourquoi nous trompons-nous ? Quelle est l’origine de nos erreurs ? Pourquoi nos raisonnements sont-ils parfois incohérents ou faux ? Le problème est d’importance : car cerner l’origine de nos erreurs, c’est pouvoir y remédier et avancer ainsi plus sûrement dans le chemin vers la vérité. Or l’origine de nos erreurs est, pour Leibniz (et c’est la thèse du texte), d’ordre psychologique ou, si l’on veut, morale : c’est le "défaut d’attention ou de mémoire" ; nous ne sommes pas assez réfléchis, pas assez consciencieux, et ainsi nous errons, nous tombons dans l’erreur (du latin "errare" : errer). Ce n’est donc pas la raison elle-même qui est en cause, mais la manière dont nous en usons dans notre investigation du réel. On peut donc y remédier. Si sa raison n’est pas en cause, trouver la vérité est possible pour l’homme, grâce à une méthode rigoureuse.

«
signifie « se jouer de »).
En effet, un phénomène d'habitude peut faire conclure abusivement de la conjonctionrépétée de deux phénomènes à une connexion nécessaire entre une cause et un effet.
L'empiriste Hume, dansL'Enquête sur l'entendement humain, réduira en ce sens toute relation de causalité.
Ou bien alors on croitabusivement en l'idée d'une raison nécessaire qui est « profondément enracinée en nous » parce qu'elle fait l'objetdepuis longtemps d'un « désir ardent ».
Leibniz ici anticipe en quelque sorte sur l'explication que donne Freud del'illusion : « Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains » écrit-il dans L'Avenir d'une illusion.Ainsi la raison qui produit des jugements, c'est-à-dire qui établit des relations de causes à effet entre différentsphénomènes, procède de la même manière lorsqu'elle calcule.
Un jugement faux ou une erreur de calcul ont donc lamême origine psychologique : un défaut d'attention ou une mémoire qui se joue de nous.
Peut-on alors éviter leserreurs de jugement comme on évite une faute de calcul ?
2.
Le remède réside dans une méthode réflexive plus attentive
Si l'erreur ne vient pas de la raison mais d'un défaut d'attention ou de mémoire qui nous conduit à « errer » (selon lamême étymologie quel'erreur), c'est qu'il peut y avoir une méthode qui nous permette d'éviter de nous tromper.
En cela Leibniz rejointDescartes qui, dans le Discours de la méthode, commence par affirmer que le bon sens est la chose la mieuxpartagée, mais encore faut-il bien l'utiliser.A.
Une méthode « pour la direction de l'esprit » permet d'éviter l'erreur II s'agit donc de trouver le bon chemin, laméthode (du grec « méta odos », le chemin vers), pour pouvoir distinguer le vrai du faux sans se tromper.
Leibniz enénonce les règles applicables tant à l'arithmétique, qu'à tout jugement théorique.
Il s'agit d'abord de « faireattention à la matière », c'est-à-dire qu'il faut s'assurer que le contenu du raisonnement, les objets sur lesquels ilporte, ou encore les signes d'une opération mathématique soient bien définis.
II s'agit aussi de faire attention « à laforme », c'est-à-dire à ce que les règles du raisonnement ou des opérations soient elles-mêmes bien définies.Leibniz remplace ici la règle de l'évidence cartésienne qui consiste à rejeter hors de l'esprit tout ce qui n'apparaîtpas dans une intuition claire et distincte par un exercice de définition préalable.
Pour veiller à ce qu'elles soient bienappliquées, il faut alors s'occuper du respect de toutes les étapes d'une démonstration qui reprennent en revancheles trois dernières règles de la méthode cartésienne.
Il faut décomposer le tout pour analyser chaque partie ; Leibnizparle de « découper les raisonnements étendus ».
Il faut, pour établir une déduction, conduire par ordre sespensées « du simple au composé » : Leibniz traduit cette opération de synthèse par l'idée « [d']avancer lentement,[de] répéter et varier l'opération, [de] recourir à des vérifications et à des preuves ».
Enfin, il faut vérifier chaqueétape de la démonstration en procédant à des dénombrements complets, ce que Leibniz traduit par l'idée de «vérifier chaque partie par des preuves particulières ».Leibniz remplace finalement les quatre règles de la méthode de Descartes par deux principes qu'il résume dans lesNouveaux Essais sur l'entendement humain, IV, 7, de la manière suivante : « Ne jamais user d'un terme sansdéfinition.
Ne jamais avancer une proposition sans démonstration ».
C'est en ce sens que Leibniz rejettel'intuitionnisme pour un formalisme strict.
Mais sa méthode est-elle applicable à la raison pratique ?B.
Même dans l'action, une présence d'esprit attentive préserve des erreursMême dans l'action, une présence d'esprit attentive préserve des erreurs.
En effet, la capacité à bien raisonner sansfaire d'erreur, « l'attention », se traduit dans l'action par ce qu'on appelle communément « la présence d'esprit ».
IIs'agit d'être capable de prendre les bonnes décisions dans l'urgence.
Comme pour Descartes qui avant d'asseoir sescertitudes par un critère de vérité indubitable formule une morale par provision, l'action n'attend pas, elle ne peutêtre différée comme on peut le faire pour un jugement théorique.
Il s'agit d'acquérir la capacité de bien penser,même et surtout dans l'action qui demande une rapidité de jugement plus importante.Comme la pratique des vertus chez Aristote, l'exercice du jugement se transforme en disposition : « l'esprit s'habitue» à être attentif, à être réfléchi, c'est-à-dire concentré en lui-même et de ce fait à ne pas se laisser perturber partout ce qui pourrait troubler un raisonnement rigoureux (« sensations externes », « imagination », « affections »).Celui qui est « maître » de ce qu'il fait est donc d'abord celui qui est maître de ses pensées.
En ce sens on rejointencore Descartes pour qui le plus haut degré de liberté est une liberté éclairée, c'est-à-dire un libre-arbitre qui agiten connaissance de cause.Cette capacité à rester maître de ses pensées, quelle que soit la situation, trouve son paroxysme dans la figure duphilosophe incarné par exemple par Socrate dans Le Banquet de Platon, où il est décrit comme imperturbable aumilieu des batailles et comme celui qui finalement fait preuve des plus hautes vertus.
Celui qui maîtrise son actionest donc capable de mener une réflexion, de « faire retour sur lui-même » et de « se dire sans cesse à lui-mêmevois ce que tu fais, pourquoi le fais-tu actuellement ? » La méthode de Leibniz s'applique aussi aux décisions prisesdans et pour l'action.On doit être capable (à force de s'y entraîner) de décomposer les moments de l'action.
Ensuite d'y être attentif àchacun et comme pour les différentes étapes d'un raisonnement (mathématique ou autre), d'en vérifier la définition :il s'agit de savoir ce que l'on fait.
On doit être capable aussi d'établir des relations entre les différents moments del'action comme lorsqu'on applique des règles de raisonnement : il s'agit de savoir pourquoi on le fait, « pourquoi »pouvant interroger à la fois la fin visée, la cause finale d'une action, c'est-à-dire sa raison d'être, et son origine,c'est-à-dire sa cause.
En faisant constamment ce retour sur soi, la pensée est bien comme l'a affirmé Platon «dialogue de l'âme avec elle-même ».
Ainsi, non seulement la méthode mathématique qui consiste à tout définir ettout démontrer s'applique au domaine plus large de la connaissance et permet de se rapprocher de la vérité enévitant l'erreur, mais cette méthode s'applique à la raison pratique en nous permettant d'éviter des erreurs dejugement sur l'action à mener.
On peut se demander si cette méthode permettrait également de se prémunir contreune faute, c'est-à-dire le fait de transgresser une loi morale, une action qui résulte d'un véritable choix et qui doncengage la responsabilité..
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