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l'efficacité en politique est-elle un critère de valeur ?

Publié le 09/11/2005

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Le problème moral est de savoir si les actes que l'on commet sont effectivement des moyens, ou bien s'ils portent atteinte au bien. Le crime n'est pas un moyen Hitler a fait du crime un moyen de parvenir à une fin qu'il jugeait bonne. Une telle attitude est moralement et rationnellement irrecevable. En effet, on ne peut pas employer en vue d'obtenir un bien des moyens qui nient l'idée même de bien. Pareille conception de l'action politique, en soi contradictoire, a conduit Hitler à sa perte. Kant dira fort à propos: «La vraie politique ne peut donc pas faire un pas sans avoir auparavant rendu hommage à la morale; et si la politique est par elle-même un art difficile, l'union de la politique avec la morale n'est pas du tout un art: la morale tranche le noeud que la politique ne peut délier, aussitôt qu'elles ne sont pas d'accord.» Kant, Essai philosophique sur la paix perpétuelle (1795). * Kant affirme la subordination nécessaire de la politique à la morale. L'opposition entre les deux n'est pas vraiment objective, elle est seulement subjective: l'égoïsme des hommes les amène à ressentir ce qui est bon pour eux comme différent de ce qui est bon pour la collectivité. * Trop de crimes, dit Kant, sont commis au nom de l'intérêt «supérieur» de l'État.

« Ce réalisme, bien loin de la morale humaniste ou de la morale chrétienne, apparaît, à première vue, tout à faitdénué de machiavélisme.

Dans son acception courante, ce terme évoque, en effet, des manoeuvrestortueuses, le recours au secret.

Rien de tout cela ici, mais seulement un exposé lucide dans lequel il n'estpas toujours facile de percevoir la marge d'ironie.

Ce « machiavélisme » apparaît cependant dans les conseilscomplémentaires.

Le prince doit « savoir entrer dans le mal s'il y a nécessité », mais il veillera cependant àsauver sa réputation.

Il fera prendre les mesures impopulaires par quelqu'un d'autre, se réservant celles quiont la faveur du peuple.

Il sera renard : « Mais il est besoin de savoir bien colorer cette nature, bien feindreet bien déguiser.

» Machiavel ajoute que les hommes sont si simples et tant soumis aux nécessités du présentque celui qui trompe trouvera toujours quelqu'un prêt à se laisser tromper.

Il importe donc avant tout depréserver ce que l'on n ‘appelait pas encore son « image de marque » : « il n'est donc pas nécessaire à unPrince d'avoir toutes les qualités dessus nommées, mais bien il faut qu'il paraisse les avoir.

»Un exemple parmi d'autres de ces pratiques, qui laissa Machiavel frappé de stupeur, mais sans doute aussiadmiratif : César Borgia, pour faire régner l'ordre en Romagne, donna toute puissance à l'un de ses hommes deconfiance connu pour être cruel & expéditif.

La paix établie, pour éviter que l'opprobre ne s'attache à sapropre personne, il fit exécuter l'officier, exposant son corps coupé en deux morceaux sur une place publique.Bel exemple de duplicité et de détermination.

Borgia possédait la « virtù ».Le Prince ne se souciera donc pas de ce qu'exige la morale, mais il veillera à manipuler l'opinion pour asseoir saréputation.

La chose est aisée du fait de la crédulité du peuple.

« Les hommes, en général, jugent plutôt auxmains qu'aux yeux.

»« Qu'un Prince donc se propose pour but de vaincre, et de maintenir l'Etat ; les moyens seront toujoursestimés honorables et loués de chacun ; car le vulgaire ne juge que de ce qu'il voit et de ce qui advient ; oren ce monde il n'y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte pour rien quand le grand nombre a de quois'appuyer.

» Rousseau estime que ce penseur politique a été encore plus subtilement machiavélique qu'on ne le pense.

Enfaisant semblant de donner des conseils à un prince sur la façon de manipuler les foules, il aurait en faitdévoilé aux peuples la manière dont ils sont grugés : « En feignant de donner des leçons aux rois, il en adonné de grandes aux peuples.

Le Prince de Machiavel est le livre des républicains.

»Spinoza pensait déjà de même : « Peut-être Machiavel a-t-il voulu montrer qu'une masse libre doit, à toutprix, se garder de confier son salut à un seul homme [...] Cette dernière intention est, quant à moi, celle queje serais porté à prêter à notre auteur.

Car il est certain que cet homme si sagace aimait la liberté et qu'il aformulé de très bons conseils pour la sauvegarder.

» La théorie est toujours dépassée par les événementsAinsi que l'écrit Julien Freund dans Qu'est-ce que la politique?, «il appartient à l'essence du politique d'êtreaction».

Citant Saint-Just, qui dit que «la force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquelsnous n'avons pas pensé», il montre qu'en dernier lieu, la théorie finit toujours par être disqualifiée par lacomplexité des circonstances. Savoir n'est pas pouvoirUne chose est de réfléchir sur l'essence du politique, autre chose est de prendre la bonne décision au bonmoment.

Ce n'est pas sur ses qualités de réflexion que l'on juge un homme politique, mais sur son aptitude àagir aussi promptement qu'efficacement.

Sur le pragmatisme en politique, on tirera profit à nouveau de lalecture de Machiavel: C'est au chapitre 25 du « Prince » : « Ce que la fortune peut dans les choses humaines et comment on peutlui résister », que l'on retrouve la formule : « il est meilleur d'être impétueux que circonspect, car la fortuneest femme, et il est nécessaire à qui veut la soumettre de la battre et la rudoyer ».Machiavel utilise le terme fortune dans son sens traditionnel de puissance aveugle, régie par le hasard, quidispose du cours du monde et de la vie des hommes.

Il s'agit donc de s'interroger sur ce que peut l'homme etplus précisément l'homme politique confronté à la prétendue fortune.Le chapitre 25 débute de la sorte : « Je n'ignore pas que beaucoup ont été et sont dans l'opinion que leschoses du monde soient de telle sorte gouvernées par la fortune et par les dieux, que les hommes avec leursagesse ne puissent les corriger (...) Cette opinion a été plus en crédit de notre temps à cause des grandschangements qu'on a vus et voit chaque jour dans les choses, en dehors de toute conjecture humaine.

»Cette opinion commune, alimentée par les malheurs du temps, l'instabilité politique propre à l'Italie de laRenaissance, amène à une sorte de désespoir.

L'action humaine serait vaine et réduite à l'impuissance face àla Providence et à ses desseins impénétrables (la Providence répond à cette idée que le cours de l'histoire estrégi par la volonté divine) ou encore face à la puissance aveugle et hasardeuse de la fortune.

Or cetteconception ruinerait toute tentative machiavélienne et plus radicalement tout essai de penser l'actionpolitique et ses conditions.Ce chapitre s'inscrit donc au coeur de deux préoccupations propres à Machiavel.

D'une part il s'agit commedans tout le « Prince » de proposer les conditions d'une action politique efficace, et d'une stabilité politiquequi fait cruellement défaut à l'Italie.

D'autre part, Machiavel balaye toute différence entre histoire sacrée ethistoire profane : ainsi comme il avait précédemment éliminé toute différence essentielle entre un législateursacré comme Moise et un législateur profane, comme Thèsée ou Lycurgue, Machiavel place-t-il ici laProvidence et la Fortune sur le même plan.La formule ici éclaire le double projet de Machiavel dans notre passage.Il s'agit tout d'abord de récuser la notion de hasard pour restaurer les droits de l'action politique efficace.. »

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