L'ÉDUCATION NÉGATIVE CHEZ J-J. ROUSSEAU ET CHEZ A. S. NEILL
Publié le 24/07/2010
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L'éducation pose les bases de la vie de l’enfant : quand celui-ci devient adulte à son tour, ses valeurs seront vraisemblablement celles que son éducation lui aura conférées. Développement de l’être humain et formation de l’esprit, l’éducation consiste à façonner l’individu en vue de réaliser au mieux son humanité. C’est un apprentissage adapté progressivement aux possibilités d’acquisition de l’individu, en vue du développement harmonieux de ses aptitudes : l’éduqué apprend ce qu’il est en mesure d’apprendre, et l’apprend d’autant mieux qu’il a atteint le stade de son développement qui est nécessaire à cet apprentissage.
L’éducation dans l’école traditionnelle classique peut être dite positive, dans le sens où elle ancre des connaissances dans la tête d’un enfant par les moyens qui sont à sa disposition. Que l’enfant aime ou n’aime pas la matière étudiée, qu’il ait ou non envie d’apprendre, n’a aucune importance, pas plus que n’en a le fait d’éduquer ensemble ou séparément le corps et l’esprit. Deux auteurs ont osé appliquer un système éducatif contraire à l’usage : ce sont Jean-Jacques Rousseau au XVIIIème siècle et Alexander Sutherland Neill au XXème [1]. Ces deux pédagogues ont pratiqué l’éducation négative, consciemment chez Rousseau (il utilise le terme d’ « éducation négative «) et inconsciemment chez Neill (il ne nomme pas le système mais sait qu’il l’applique). Éducation négative que nous allons tenter de définir tout le long de cette étude. Il faut néanmoins préciser quelque peu cette notion d’éducation négative : c’est un système éducatif qui se base sur l’enfant et le développement de celui-ci, et qui n’hésite pas à suivre l’enfant plutôt que de forcer celui-ci à suivre un programme d’éducation et d’instruction donné. Cette éducation n’enseigne pas à l’enfant ce qu’il doit faire et apprendre, mais laisse celui-ci se développer, en le préservant seulement des influences néfastes et des risques physiques et psychologiques. « La première éducation doit être purement négative, dit le gouverneur d’Émile. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur. «[2] Elle fonctionne presque entièrement en arrière-plan, et permet à l’enfant de suivre un développement harmonieux.
« Vivre est le métier que je veux lui apprendre «, dit le gouverneur d’Émile, et c’est vrai aussi chez Neill, pour qui le devenir humain de l’élève est bien plus important que des leçons. Devenir humain qui est aussi un devenir-humain : Neill se préoccupe de ce que l’élève va devenir, humainement et socialement, et se charge d’en faire un individu aimable et juste, mais aussi de la transformation de l’élève arrivé d’un foyer ou d’une école où la discipline et les contraintes prenaient le dessus sur l’amour et la confiance. Il était fréquent que l’enfant entre à Summerhill dans un état d’esprit hostile et révolté contre le monde et l’école, et qu’il en ressorte un jeune homme ou une jeune femme sociable, travailleur et appliqué. Quant à Rousseau, il accompagne en tant que tuteur son élève imaginaire, Émile, de la naissance jusqu’au mariage et à la paternité. Il se charge d’en faire un homme heureux sous tous rapports, sincère, travailleur adepte, expérimenté de la vie, et prêt à aider autrui.
Neill et Rousseau ne sont pas du tout sur le même plan éducatif, bien que la notion d’éducation négative soit extrêmement présente chez ces deux auteurs. L’école de Neill est une application pratique avec une vraie école et des élèves ayant réellement existé, c’est l’histoire vraie d’une pédagogie qui a existé. Émile n’a jamais existé, c’est une fiction imaginée par Rousseau où l’auteur tire les ficelles du gouverneur, de l’élève et de tous les intervenants extérieurs. L’auteur imagine un environnement-bulle où se placeraient Émile et son gouverneur, afin de garder Émile de toutes sources qui pourraient lui être néfastes et d’imaginer le développement d’un enfant isolé du monde extérieur. Néanmoins, les situations mises en scène par les deux auteurs sont particulières. Les théories de chaque auteur sont adaptables au monde réel, mais on peut difficilement les reproduire et les appliquer telles qu’elles sont.
On sait depuis l’autobiographie de Neill[3] que celui-ci n’a lu Rousseau que tardivement : ce sont des lettres de ses lecteurs qui ont fait le parallèle entre l’Émile et Summerhill, et qui ont incité Neill à lire l’Émile. « On m’a souvent appelé un disciple de Rousseau, dit-il, mais je n’ai pas lu l’Émile avant les cinquante ans d’ouverture de mon école Summerhill. Je me suis senti alors très humble, car j’ai découvert que ce qu’un homme écrivait en théorie il y a deux cents ans, je le pratiquais en l’ignorance de ses idées. Aussi ai-je été quelque peu déçu. Émile était libre, mais seulement dans l’environnement fixe prescrit par son tuteur. Summerhill est un environnement fixe mais c’est la communauté qui décide, pas un tuteur individuel. «
Ces deux pédagogues exposent le modèle de l’éducation négative, mais de deux manières différentes. Des différences de siècle, de pays, d’élèves (l’un enseigne à un Émile imaginaire, l’autre à soixante-dix élèves d’âges différents), de méthode (l’un suit son élève à chaque pas, l’autre laisse vivre et observe le résultat) font l’originalité de Rousseau et de Neill, et pourtant le modèle éducatif est le même. Cette étude tentera de définir l’éducation négative à travers les différentes applications qu’en font Rousseau et Neill, pour essayer de comprendre de quoi est composé ce modèle éducatif original.
Une première partie de cette étude examinera le concept de l’éducation négative comme éducation contrôlée, d’abord chez Rousseau et ensuite chez Neill, avec la relation inégale explicite ou implicite entre éducateur et éduqué ainsi que le degré de liberté de l’enfant dans la pédagogie de chaque auteur. La deuxième partie se penchera sur la connaissance de soi dans l’éducation négative, en conservant l’alternance Rousseau / Neill, avec les intérêts de l’enfant, les goûts et le libre choix d’étudier.
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