Le visible et l'invisible, @ Gallimard, 1964, p. 271. Merleau-Ponty. Commentaire
Publié le 24/03/2015
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Chaque « sens « est un « monde «, i.e. absolument incommunicable pour les autres sens, et pourtant construisant un quelque chose qui, par sa structure, est d'emblée ouvert sur le monde des autres sens, et fait avec eux un seul Être. La sensorialité : p. ex. une couleur, le jaune ; elle se dépasse d'elle-même : dès qu'elle devient couleur d'éclairage, couleur dominante du champ, elle cesse d'être telle couleur, elle a donc de soi fonction ontologique, elle devient apte à représenter toutes choses [...]. D'un seul mouvement elle s'impose comme particulière et cesse d'être visible comme particulière. Le « Monde « est cet ensemble où chaque « partie « quand on la prend pour elle-même ouvre soudain des dimensions illimitées, — devient partie totale.
Or cette particularité de la couleur, du jaune, et cette universalité ne sont pas contradiction, sont ensemble la sensorialité même : c'est par la même vertu que la couleur, le jaune, à la fois se donne comme un certain être et une dimension, l'expression de tout être possible. — Le propre du sensible (comme du langage) est d'être représentatif du tout non par rapport signe signification ou par immanence des parties les unes aux autres et au tout, mais parce que chaque partie est arrachée au tout, vient avec ses racines, empiète sur le tout, transgresse les frontières des autres. C'est ainsi que les parties se recouvrent (transparence), que le présent ne s'arrête pas aux limites du visible (derrière mon dos). La perception m'ouvre le monde comme le chirurgien ouvre un corps, apercevant, par la fenêtre qu'il a pratiquée, des organes en plein fonctionnement, pris dans leur activité, vus de côté. C'est ainsi que le sensible m'initie au monde, comme le langage à autrui : par empiétement, Ueberschreiten. La perception est non perception de choses d'abord, mais perception des éléments (eau, air...) de rayons du monde, de choses qui sont des dimensions, qui sont des mondes, je glisse sur ces « éléments « et me voilà dans le monde, je glisse du « subjectif « à l'Être.
Le visible et l'invisible, @ Gallimard, 1964, p. 271.

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Cette note de travail de Le visible et l'invisible est sans doute l'une des
tentatives les plus précises dont nous disposions de caractériser la
spécificité de l'Être sensible, objet de l'ontologie du dernier Merleau
Ponty.
Les conceptions classique et même phénoménologique de la
perception se trouvent ici profondément remises en question, ce qui
explique la nouveauté du vocabulaire utilisé.
Le contexte de cette analyse
est celui d'une philosophie de la Chair, qui prend acte de l'appartenance
du percevant au monde comme d'une dimension constitutive du monde
lui-même.
Le sujet est fait de la même texture que le monde et il ne peut
l'atteindre que parce qu'il est enveloppé par lui.
Il s'ensuit que nous ne
pouvons plus concevoir la perception comme une rupture vis-à-vis des
choses, c'est-à-dire comme l'appréhension d'un sens unitaire et déterminé
au cœur de la présence brute du monde, sens dont les
« contenus
sensibles» ne seraient que les « signes».
Parce que nous percevons au
sein du monde, c'est le monde lui-même que nous percevons et il faut
donc renoncer à la catégorie d'objet.
Le sensible désigne précisément la
présence singulière qui lui convient comme monde, c'est-à-dire la forme
sous laquelle se donne, tout en s'y préservant, la totalité ouverte, la
profondeur irréductible de
1'« il y a».
Le propre du sensible est de
présenter cet imprésentable qu'est le monde lui-même.
Il s'ensuit qu'il
doit être caractérisé comme empiétement vers le monde ; pour ainsi dire
plus vaste que lui-même,
il est l'unité paradoxale de lui-même et du Tout
qui l'excède.
Dès lors, la particularité ne fait plus alternative avec la
généralité : en tant qu'il est sensible, c'est-à-dire son propre dépassement
vers le monde, le contenu singulier est aussi bien général.
Le sensible
nous donne à connaître un nouveau sens d'être, par-delà l'alternative de
l'existence et de l'essence, de l'objectif et du
subjectif: être de
rayonnement ou de style, généralité existante que Merleau-Ponty nomme
«dimension» ou «élément».
Ainsi, au lieu de reconstruire la relation
intentionnelle à partir de la dualité de la conscience et du monde,
Merleau-Ponty, beaucoup plus radicalement, pense le sensible comme
intrinsèquement intentionnel, c'est-à-dire, en somme, l'intentionnalité
comme être..
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