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Le travail, un paradoxe - TRAVAIL ET SALAIRE - TRAVAIL ET NÉCESSITÉ - L'ORGANISATION SOCIALE DU TRAVAIL - TRAVAIL ET VALEUR - TRAVAIL ET BESOIN

Publié le 06/01/2020

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travail

des serfs au Moyen Âge n'étaient payés. Cela implique-t-il que les esclaves et les serfs ne « travaillaient » pas ? Bien sûr que non, et même, comme le salarié d'aujourd'hui, ils travaillaient pour vivre ; mais ils n'échangeaient pas leur travail contre de l'argent.

 

Le salariat signifie que le travail est devenu une marchandise. Or, qu'est-ce qu'un travailleur peut vendre ou louer contre un salaire ? Évidemment ses compétences, son habileté technique, son savoir-faire ou bien seulement sa puissance et sa peine, bref ses capacités intellectuelles ou physiques. Ce qui est ainsi devenu marchandise est moins le travail que la force de travail.

 

La dépense d'une force de travail est l'élément commun à tous les travaux, salariés ou non. Les travaux qu'on peut effectuer sont multiples et différents : chacun sait bien qu'un plombier n'est pas un clerc de notaire, et que les différents métiers doivent s'apprendre. Mais, en considérant, à travers des travaux variés, la seule force de travail dépensée on réalise une double abstraction :

 

a) 'on fait abstraction de la diversité qualitative des travaux pour ne considérer que la quantité de travail mise en œuvre (quantité, qui se mesure en durée — temps de travail — et en rentabilité) ;

 

b) on fait abstraction de la différence qualitative des produits réalisés par les travaux concrets, c'est-à-dire de leur valeur d'usage*, pour ne considérer que leur valeur d'échange*, relative à la quantité de travail investie en eux, et qui rend commensurables des objets hétérogènes.

 

C'est parce que la force de travail, traitée comme une marchandise, a pu être envisagée de cette manière quantitative et abstraite qu'elle peut être exprimée sous la forme d'un salaire, et qu'un plombier ou un clerc de notaire, malgré la différence absolue des opérations qu'ils effectuent quand ils travaillent, peuvent éventuellement recevoir un salaire identique. Mais le salariat, phénomène historique, ne peut correspondre à une définition de l'essence du travail.

 

Il y a pourtant, dans cette équivalence établie entre travail et salaire, une part de vérité. Le salaire permet au travailleur de vivre (en gagnant sa vie). Or n'est-ce pas le propre de tout travail ? Comment Robinson sur son île survivrait-il, s'il ne travaillait pas, c'est-à-dire s'il ne transformait pas la nature dans

Quelle que soit la société, son mode d'organisation, la survie même de ses membres implique qu'ils subviennent à leurs besoins. Tous les animaux sont d'ailleurs dans la même situation. En ce sens, le travail, avant d'être une contrainte sociale ou une obligation morale, est d'abord une nécessité vitale. Mais les hommes répondent à cette nécessité d'une façon différente des autres animaux : ils ne se contentent pas de consommer ce que leur milieu leur offre, ils produisent par le travail ce qui leur est nécessaire. En transformant la nature, pour produire de quoi satisfaire leurs besoins, les hommes produisent leurs conditions d'existence.

 

Comment se caractérise cette façon humaine de satisfaire les besoins ? Produire par le travail suppose d'être capable de différer la satisfaction du besoin* (attendre la récolte...), d'imaginer la transformation des produits de la nature, de fabriquer des outils pour réaliser cette transformation...

Le travail nous est apparu comme l'activité productrice de biens utiles à la vie.

 

Pourtant si chacun reconnaît le caractère nécessaire du travail en général, est-ce à dire que tous les besoins qu'il permet de satisfaire sont eux-mêmes nécessaires ? On peut en effet avancer que l'augmentation des besoins conduit à un accroissement du travail bien au-delà de la simple nécessité. Tel est par exemple le reproche permanent adressé aux sociétés de consommation. Il est alors tentant d'établir des distinctions entre les différents travaux en fonction de l'utilité des produits et des besoins. Il y aurait des produits utiles qui correspondraient à de « vrais » besoins, mais souvent le travail perdrait son authenticité ou sa valeur en ne satisfaisant que des besoins « artificiels ».

 

Il est bien difficile cependant pour l’être social qu'est l'homme de parler de besoins « naturels » et de les opposer à des besoins « artificiels ». Les besoins les plus « naturels » sont satisfaits à l'intérieur d'une société, ce qui les modifie, les rend artificiels en les rendant humains. Et cela, sans parler même de ces besoins nés du développement historique des sociétés qui finissent par devenir eux aussi de vrais besoins. Pour juger de la valeur des besoins, il faut sans doute recourir à d'autres critères que l'opposition entre naturel et

travail

« ' Comment comprendre ce paradoxe : une société de loi­ sirs qui fait du travail l'activité humaine suprême? On dira que le paradoxe n'est pas si grand: on désigne simplement du même mot des activités incomparables et qui n'ont en commun que d'être rémunérées.

Mais en faisant un usage si lâche du mot« travail», ne lui ôte-t-on pas toute significa­ tion précise? Il importe donc de savoir ce que l'on doit enten­ dre précisément par le concept de travail.

Qu'est-ce que travailler? TRAVAIL ET SALAIRE On peut, en première hypothèse, attribuer l'inflation subie par le terme « travail » à une erreur de raisonnement.

Du constat que, dans notre société, le travail est rémunéré on déduit à tort : a) que seul ce qui est rémunéré est du travail ; b) que tout ce qui est rémunéré est du travail.

Et comme le type même de la rémunération paraît être le salaire, nous associons spontanément travail et salaire.- C'est le salaire qui fait le travail.

Ainsi, le footballeur pro­ fessionnel se distingue de l'amateur, car sa prestation sera rémunérée.

Jouer au football, pour produire un spectacle qui sera payé, c'est un travail.

Jouer pour jouer, sans rien gagner, c'est un loisir.

L'association entre le travail et le salaire est tellement habituelle que, si le travail n'est pas payé, on hésite à le reconnaître.

Notre manière de parler elle-même lie tra­ vail et rémunération: ori dira par exemple de l'argent placé qu'il «travaille» ...

puisqu'il rapporte de l'argent.

En associant ainsi travail et salaire, nous superposons, con­ fusément, deux questions et deux réponses.

La réponse à la question «pourquoi travailler?», qui est couramment «·pour gagner sa vie», conduit, par un glissement souvent inaperçu, à répondre à la question« qu'est-ce que travailler?» par «c'est gagner sa vie».

Pourtant, il existe, et surtout il a existé, du travail non rému­ néré.

Les débuts du salariat lui-même ne datent que du xvie siècle, et ni le travail des esclaves dans !'Antiquité, ni celui * Les astérisques renvoient au glossaire p.

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