Le travail est-il nécessairement aliénant pour l'homme ?
Publié le 16/08/2009
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Nous semblons avoir ici une alternative. Ou bien le travail consisterait en une libération de l’homme de telle sorte que ce dernier serait enfermé ou aliéné s’il ne pouvait travailler. Si nous définissons le travail comme un moyen de subsistance nous permettant en même temps d’exercer nos facultés, cela semble tout à fait logique. Nous priver de la satisfaction de nos besoins et de notre pouvoir sur les choses est contraignant. Le travail nous libérerait alors de cette contrainte. L’homme serait aliéné dans ce cas à ses propres facultés qui ne pourraient s’exercer. Seulement, à l’inverse, lorsque l’homme devient créateur d’un produit par le travail, il perd la force qu’il a dépensée pour la construction de ce produit. Ce produit est en fait le résultat de sa force de travail et de l’exercice de ses facultés mais il ne lui appartient pas en propre pour autant. Il sera vendu, et même dans certains cas (le travail à la chaîne notamment), l’homme ne recevra même pas le produit final qu’il a contribué à construire. Dès lors, ce travail qui s’avérait libérateur est tout aussi aliénant puisque le produit créé par son existence propre acquiert une valeur différente de son producteur. Ce double aspect du travail nous amène alors à nous demander jusqu’à quel point l’aspect créatif qu’il mobilise en nous peut nous être bénéfique.
«
catégories de sa pensée.
Le matérialisme historique n'est pas parvenu à la formulation qu'il acquerra dans la maturité.
D'une part, Marx s'y montre plus proche d'une réflexion proprement politique, qui passera ensuite au second plan (ou se verra réélaborée après les analyses économiques du« Capital »).
D'autre part, Marx y est encore tributaire d'une lecture essentialiste, moins historienne que par la suite.
C'est ainsi qu'il prétend définir une essence du travail qui se voit pervertie par les formes modernes de production.
Marx est alors très marqué par un passage de la « Phénoménologie de l'esprit » de Hegel , la dialectique du maître & de l'esclave.
Dans ce mouvement, qui fait suite à l'épisode de la lutte à mort pour la reconnaissance, Hegel montre que la libération véritable de l'humanité ne vient pas du maître, qui ne domine que symboliquement le monde, mais de l'esclave.
C'est par la discipline qu'impose le travail que l'homme s'éduque etdomine, réellement cette fois, la matière.Si le travail, qui est humain, devient animal, c'est tout d'abord que seul l ‘homme, au sens propre, travaille.
Certes, certains animaux « fabriquent » ; castors, abeilles « construisent ».
Mais cette activité est instinctive, la règle de construction est, si l'on veut, donnée par la nature.
Le travail spécifiquement humain est tout autre.
Comme le dit Marx dans le « Capital » :
« Ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de laconstruire dans la ruche .
»
La perfection de la ruche n'est que la contrepartie d'une activité instinctive, « machinale », non pensée, non voulue. Le travail spécifiquement humain n'émerge que lorsque est en jeu la totalité de nos capacités.
Il faut imaginer et concevoir ce que l'on va produire.L'existence de l'objet est tout d'abord idéelle, c'est un projet, une anticipation, quelque chose qui vient bien de l'homme et non de l'instinct, cad dela nature.
A partir de ce projet, il faut aussi la volonté effective de fabriquer, de manière ordonnée, planifiée, rigoureuse.
Enfin il faut mettre enbranle une habileté, une force, un talent physique.Dans le moindre objet fabriqué est donc investie la totalité de nos capacités (imagination, conception, déduction, volonté, habileté, force).
Cetinvestissement fait de l'objet fabriqué un objet humain, qui objective nos capacité, et cela confère de la valeur à l'objet et le rend respectable.
Sil'objet fabriqué –même mal- par le plus mauvais artisan, vaut mieux que la cellule la plus réussie de l'abeille la plus experte, c'est que, dans lepremier, on contemple de l'humain, l'activité humaine objectivée.
En ce sens, le travail est humain, et même uniquement humain.Il s'ensuit deux choses.
D'abord, par le travail l'homme s'éduque, se forme, s'humanise.
Que le travail soit pénible, astreignant, fastidieux, n'ychange rien.
Face à l'étymologie du terme « travail » (« tripalium » = instrument de torture) ou de la malédiction biblique (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »), les modernes, et surtout Hegel puis Marx , rétorquent que c'est par le travail que l'homme se fait homme, passe d'une activité instinctive à une activité pensée, d'une spontanéité animale à une discipline rationnelle.
Mais ce premier point est corrélatif du second.
Le travail humain requiert la discipline et la mise en œuvre de toutes nos capacités intellectuelles &physiques.
On ne sépare pas ici la conception du travail de son exécution ; l'esprit se forme en même temps que le corps.
Il faudrait ajouter quecette forme d'activité n'est pas séparable de formes de socialisation, du développement du rapport à autrui.
Enfin, et il faut insister sur ce point,l'homme peut être fier de son travail dans la mesure où il est bien le sien, cad un objet produit par ses qualités et qui en quelque sorte les objective.
A ce que le premier Marx décrit comme une sorte « d'essence » du travail (terme qu'il reniera ensuite, en affinant sa conception de l'histoire, de la technique et des rapports de production), il faut alors opposer les formes modernes de production.Pour comprendre ce que dit Marx , il faut se souvenir que les débuts du capitalisme ont été sauvages ; qu'un théoricien comme Smith écrivait calmement :« Dans les progrès que fait la division du travail, l'occupation de la majeure partie de ceux qui vivent de ce travail, cad de la masse du peuple, seborne à un très petit nombre d'opérations simples […] Or l'intelligence des hommes se borne nécessairement par leurs occupation ordinaires.
Unhomme qui passe toute sa vie à faire un petit nombre d'opérations simples […] n'a pas lieu de développer son intelligence, ni d'exercer sonimagination […] et devient généralement aussi stupide et ignorant qu'il soit possible à une création humaine de la devenir. » (« La richesse des nations », 1776) Les formes modernes de travail consistent (si l'on s'en réfère à Taylor et à Ford ) à décomposer les opérations nécessaires à la fabrication d'un objet & à attribuer chacune d'elles à un ouvrier.
Cette forme de division du travail, si elle favorise la production dans des proportionsexponentielles, fait que d'une part la conception de l'objet et son exécution sont deux tâches séparées, attribuées à des hommes bien distincts (cequi suppose que certains ne sont plus que des exécutants purs & simples, travaillant avec des machines & à leur rythme), et que, d'autre part,l'objet n'est plus produit littéralement par personne.
Non seulement un homme ne produit plus un objet du début jusqu'à la fin, mais on ne peutplus parler de travail d'équipe dans la mesure où l'organisation du travail est imposée de l'extérieur et que chacun exécute sa tâche isolément.Cet anonymat, cette séparation de la conception et de l'exécution, cette imposition d'une tâche abrutissante & répétitive, Marx la décrit en 1844 comme une véritable perversion du travail.L'ouvrier est dépossédé de son travail, et cela à plusieurs titres.
D'une part en ce que son salaire ne correspond pas au travail fourni, mais permetseulement de restaurer la force du travail.
D'autre part en ce que l'ouvrier ne peut en aucun cas reconnaître pour sien, comme son œuvre, un objetfabriqué dot il n'a fourni qu'une partie infime.
Non seulement nulle fierté n'est possible, mais nulle reconnaissance.
« Le travail est extérieur à l'ouvrier […] il n'est plus son bien propre mais celui d'un autre. » L'ouvrier « mortifie son corps & ruine son esprit », cela se conçoit aisément.
Le corps n'est plus éduqué, formé, discipliné quand il est astreint à la répétition mécanique, à une cadence imposée par les machines.
Au contraire, il est déformé, réduit à être un substitut de machine.
Proche, pourfaire court de la définition que donnait Aristote , des esclaves. « L'esclave lui-même est une sorte de propriété animée […] Si, en effet, chaque instrument était capable, sur une simple injonction, d'accomplir letravail qui lui est propre […] si les navettes tissaient d'elles-mêmes […] alors ni les chefs d'artisans n'auraient besoin d'ouvriers, ni les maîtresd'esclaves.
» (« Politique », I, 4).
Mais cette ruine, cette dégradation du corps, qui ne développe plus ue habileté ou un talent mais itère & réitère un même geste qui n'a plus desens pour celui qui l'exécute, est corrélative d'un abrutissement spirituel.
Le « pire » réside dans la séparation de la conception et de l'exécution qui fait que le travail n'est plus conçu mais subi, ne développe plus intelligence ou créativité, mais cantonne l'homme à la contemplation d'une actionimposée étrangère, absurde.
« Travail forcé, il n'est plus la satisfaction d'un besoin, mais un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail.
».
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