LE TEMPS, dit Lagneau, EST LA FORME DE MON IMPUISSANCE, L'ÉTENDUE, LA FORME DE MA PUISSANCE ». Qu'en pensez-vous ?
Publié le 14/03/2004
Extrait du document
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peut être en quelque manière dominé dans la mesure où nous parvenons à le transposer dans l'étendue, à letransformer en espace.
Scientifiquement, en effet, la mesure du temps se traduit par la mesure d'un espaceparcouru par un mobile dont le mouvement est supposé uniforme.
Une horloge enregistre les répétitions d'unphénomène périodique considéré comme constant et l'accord de diverses bonnes horloges vérifie en pratique notreconfiance dans la constance de leur marche.
Toutefois ce temps abstrait et régulier, mesuré par l'espace, défigure,selon Bergson, le temps réel, la durée vécue par la conscience.
Nous imaginons la durée sous la forme d'une lignecontinue mais cette image, d'une grande commodité scientifique, trahit la réalité qu'elle représente.
Car la duréepure, qualitative, irrationnelle, ne saurait être représentée, elle est seulement vécue.
La formule de Lagneau peut donc sembler acceptable.
Le temps — entendons le temps vécu, non pas le tempsabstrait et contaminé d'espace, de la science — est la « forme de mon impuissance ».
Il est ce qui fuit sans cesse,à la fois mon être propre et ce qui à chaque instant me sépare de moi-même.
L'espace seul se prêterait auxconquêtes de l'intelligence et de l'action.
Pourtant la formule de Lagneau nous semble trop pessimiste.
Le tempsn'est pas seulement ce qui détruit, il est aussi ce qui guérit et ce qui mûrit.
S'il nous sépare de nos joies passées, ilefface aussi, lentement, les chagrins et les désastres.
Il découvre à chaque instant de nouveaux horizons, prépareles solutions de demain aux problèmes qui aujourd'hui me semblent insolubles : seulement si le flux temporel apporteen ses vagues toujours renouvelées aussi bien le bonheur que le malheur, on rétorquera que l'homme demeureimpuissant, que le temps, souverain cruel ou débonnaire, reste en tous cas notre maître.
L'argument cependantn'est pas décisif ; l'homme a un certain pouvoir sur le temps parce qu'il est capable de penser le temps.
Si j'étaistotalement prisonnier du devenir, si j'étais intégralement enveloppé dans le flux de la durée, je n'aurais pasconscience que cette durée dure.
Ainsi, le nageur imprudent saisi par un courant marin ne s'aperçoit pas, s'il neretourne pas les yeux, qu'il s'éloigne rapidement de la plage.
Mais moi je m'aperçois que le temps s'écoule, je pensele temps, je saisis une relation entre les différentes parties du temps et cette relation ne peut appartenir à aucuned'entre elles.
Brunschvicg disait: « Les jugements qui ont pour objet le temps sont des jugements hors du temps ».Du moins puis-je dire que j'échappe en partie au devenir et que je le domine puisque je suis non seulementconscience dans le temps mais aussi conscience du temps.
La prise de conscience du temps exprime ledépassement de la temporalité par l'esprit et révèle bien en l'homme la dimension de la réflexion et de la raison.
Enun sens nous l'avons dit, je suis temps, mais en un sens aussi j'ai le temps ; autrement dit mon comportement n'estpas déterminé mécaniquement par les stimuli environnants.
J'ai la liberté de réfléchir, d'envisager plusieurspossibilités, de différer mes réactions ; je peux organiser mon existence en tenant compte des différents momentsdu temps et cela parce qu'il y a en moi un principe de réflexion et de synthèse qui, dans une certaine mesure,échappe à l'écoulement de toutes choses ; il peut donc y avoir une conscience féconde du temps, celle qui prendappui sur le futur et considère le temps comme le cadre d'un programme.
A cet égard le passé lui-même tombepartiellement en mon pouvoir ; car sa signification et sa valeur dépendent pour moi des projets par lesquels je visemon avenir ; mes erreurs d'hier m'aident à façonner pour aujourd'hui et pour demain une sagesse.
En ce sensl'impuissance première est convertie en liberté..
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