« le sentiment de la justice m'apparaît comme étant le désir animal de repousser ou de rendre le mal ou le dommage causé à soi-même ou à ceux avec lesquels on sympathise, étendu, et par la capacité que possède l'humanité d'élargir sa sympathie, et par la conception humaine d'un égoïsme intelligent, jusqu'à comprendre tous les êtres humains » Vous discuterez les propos de John Stuart Mill en vous appuyant sur votre lecture des oeuvres du programme.
Publié le 11/03/2012
Extrait du document
Le déplaisir de ne pas être reconnu pour une tâche que nous avons accomplie, le ressentiment de voir d'autres couronnés sans mérite à notre place, la colère d'être contraint à une condition à cause de l'intervention malveillante d'autrui sont des formes variées du sentiment de la justice tel que nous l'expérimentons spontanément. C'est un sentiment que nous pouvons étendre à d'autres que nous. Qu'un cyclone, un tremblement de terre vienne à frapper la population d'un État pauvre déjà mise à genoux par des décennies de dictature, et nous ne manquerons pas d'être pris semblablement par un profond sentiment d'injustice. D 'où vient en nous ce sentiment de la justice et de l'injustice ?
«
dans les trois volets de la trilogie dramatique de L'Orestie d'Eschyle, font l'objet de leur aspiration :
c'est au nom de Zeus que Clytemnestre prétend frapper Agamemnon ; l'oracle d'Apollon guide le
bras d'Oreste.
Selon Pascal, la misère de l'homme naitrait d'une impuissance à établir
rationnellement ce qui est juste.
Le tragique de sa condition résiderait dans le fait qu'il existe bien
une loi naturelle, mais qu'il est impossible à l'homme de la trouver, alors que celui-ci aspire à une
telle loi.
Les Joad, dans Les raisons de la colère de Steinbeck, ont l'ambition d'échapper au nom du
droit et de la valeur des hommes à la misère à quoi la sécheresse et un violent mouvement
d'expropriation les condamne – ambition d'un sort plus juste, plus convenable qui leur donne la
force de les pousser sur la route afin d'y entreprendre le périple héroïque, surhumain qui les
conduira, sur des moyens de fortune, jusque dans la Californie, une contrée cependant plus rêvée
que connue.
Donc, jusque dans les difficultés que les hommes éprouvent à suivre ou dire la justice
se manifeste l'expression, parfois tragique, d'une aspiration commune à un ordre supérieur.
Mais à
quoi donc aspirons-nous vraiment lorsque nous réclamons justice pour nous ou pour les autres ? La
justice est-elle bien cette loi d'essence supérieure au plan naturel, biologique, animal dans lequel
l'existence humaine se trouve embourbée ?
Voilà une conception qui, à lire les propos de John Stuart Mill, mérite une critique
vigoureuse.
Car même si l'on reconnaît que le chemin des dieux n'est pas facile, en restant
prisonnier de cette conception de la justice, ne s'interdit-on pas au contraire de rien y comprendre ?
C'est pour confondre ses ambitions personnelles et l'ambition des dieux que Clytemnestre en effet
condamne Agamemnon, revenu victorieux de Troie, à une mort infâme accomplie par traitrise.
La
poursuite de l'ordre divin par des créatures qui n'en sont pas capables conduit, génération après
génération, la famille des Atrides à s'entretuer et, au nom de la justice, à produire de nouveaux
désordres et de nouvelles injustices.
Ou, comme l'écrit Pascal, la justice est par essence trop faible
pour pouvoir se défendre seule des assauts de ceux qui veulent l'instrumentaliser à leur propre fin.
La confusion entre la justice et la force nait de ce que, depuis la Chute, nous manque « l'éclat de la
véritable équité » (fr.60), que la justice ne parvenant plus à s'imposer avec évidence la prétention de
justice devient une arme redoutable entre les mains de ceux qui en son nom multiplient les coups de
force, les injustices.
Ainsi se fait sentir le besoin d'un changement de méthode, à quoi nous convie
ici Mill : appréhender la justice non à partir de ce à quoi elle prétend (son ambition d'un règne des
fins, l'idée d'un ordre, d'une équité universels), mais de ce dont elle nait.
Car ce qui donne à la
justice son caractère contraignant, impérieux, c'est qu'elle se manifeste sous la forme d' un
sentiment , d'une poussée .
De là à affirmer la nature instinctuelle de cette ambitio n, il n'y a qu'un pas
que Mill franchit en la rapportant à sa nature animale : « le sentiment de la justice m'apparaît
comme étant le désir animal de repousser ou de rendre le mal ou le dommage causé à soi-même ou
à ceux avec lesquels on sympathise ».
Et il est vrai que les exemples sont nombreux, dans les œuvres
de notre programme, qui illustrent ce fait primitif, animal de la justice.
Le policier que Tom Joad tue
en réaction au meurtre de Casy, la prière d'Electre poussée par le Coryphée pour que la mort injuste
de son père soit vengée sont de tels mouvements de révolte motivés par l'injustice subie.
C'est bien
ainsi que le spectateur ou le lecteur lui aussi les perçoit.
Nous ne sommes pas effrayés qu'Electre
invoque les dieux en en appelant au meurtre de sa mère : l'invocation est seulement pour nous à la
mesure du désarroi, mieux de l'angoisse de cet animal traqué, contraint à la souffrance silencieuse
qu'est Electre.
Et le meurtre du policier dans Les Raisins de la colère intervient au moment où le
lecteur, frustré de partager le sort misérable des émigrants, les brutalités qu'ils endurent depuis des
centaines de pages, se prend à approuver l'acte de donner la mort qui, s'il n'est pas une issue
satisfaisante, constitue cependant une réaction dans une société brutale où les intérêts de quelques
uns conduisent les plus misérables à la contrainte permanente et à la soumission.
On peut cependant
s'interroger sur la nature de ce malaise naturel provoqué par l'injustice subie.
Une première question
émerge alors : quand Mill parle de repousser ou de rendre le mal envisage-t-il ni plus ni moins que
de rabattre la justice sur la vengeance ?
Cette proximité de la justice et de la vengeance est d'autant plus importante à sonder que
2.
»
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