Le scepticisme modéré de D. HUME
Publié le 08/01/2020
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Le scepticisme strict est impraticable parce qu'il est, comme dit Spinoza, condamné au silence de peur d'admettre quelque chose qui ait odeur de vérité. L'approche « dogmatique » de la vérité aurait pourtant tort de triompher trop vite. Hume montre ici qu'il peut exister un scepticisme modéré qui n’empêche ni d'affirmer, ni de croire, ni d'agir.
Un pyrrhonien ne peut s’attendre à ce que sa philosophie ait une influence constante sur l’esprit ; ou, si elle en a, que son influence soit bienfaisante pour la société. Au contraire, il lui faut reconnaître, s’il veut reconnaître quelque chose, qu’il faut que périsse toute vie humaine si ses principes prévalaient universellement et constamment. Toute conversation et toute action cesseraient immédiatement, et les hommes resteraient dans une léthargie totale jusqu’au moment où F inassouvissement des besoins naturels mettrait une fin à leur misérable existence. Il est vrai, un événement aussi fatal est très peu à craindre. La nature est toujours trop puissante pour les principes. Bien qu’un pyrrhonien puisse se jeter, lui et d’autres, dans une confusion et un étonnement momentanés par ses profonds raisonnements, le premier et le plus banal événement de la vie fera s’envoler tous ses doutes et tous ses scrupules, et il le laisse identique, en tout point, pour l’action et pour la spéculation, aux philosophes de toutes les autres sectes et à tous les hommes qui ne se sont jamais souciés de recherches philosophiques. Quand il s’éveille de son rêve, il est le premier à se joindre au rire qui le ridiculise (...).
Il y a, certes, un scepticisme plus mitigé, une philosophie académique, qui peut être à la fois durable et utile et qui peut, en partie, résulter du pyrrhonisme, de ce scepticisme outré, quand on en corrige, dans une certaine mesure, le doute indifférencié par le sens commun et la réflexion. Les hommes, pour la plupart, sont naturellement portés à être affirmatifs et dogmatiques dans leurs opinions ; comme ils voient les objets d’un seul côté et qu’ils n’ont aucune idée des arguments qui servent de contrepoids, ils se jettent précipitamment dans les principes vers lesquels ils penchent, et ils n’ont aucune indulgence pour ceux qui entretiennent des sentiments opposés. Hésiter, balancer, embarrasse leur entendement, bloque leur passion et suspend leur action. Ils sont donc impatients de s’évader d’un état qui leur est aussi désagréable, et ils pensent qu’ils ne peuvent s’en écarter assez loin par la violence de leurs affirmations et l’obstination de leurs croyances. Mais si de tels raisonneurs dogmatiques pouvaient prendre conscience des étranges infirmités de l’esprit humain, même dans son état de plus grande perfection, même lorsqu’il est le plus précis et le plus prudent dans ses décisions, une telle réflexion leur inspirerait naturellement plus de modestie et de réserve et diminuerait l’opinion avantageuse qu’ils ont d’eux-mêmes et leur préjugé contre leurs adversaires (...). En général, il y a un degré de doute, de prudence et de modestie qui, dans les enquêtes et les décisions de tout genre, doit toujours accompagner l’homme qui raisonne correctement.
David Hume, Enquête sur l’entendement humain (1748), Section XII, trad. A. Leroy, Aubier, 1947, pp. 216-217.
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dans une léthargie totale jusqu'au moment où !'inassouvisse
ment des' besoins naturels mettrait une fin' à leur misérable exis
tence.
Il est vrai, un événement aussi fatal est très peu à crain
dre.
La nature est toujours trop puissante pour les principes.
Bien qu'un pyrrhonieµ puisse se jeter, lui et d'autres, dans une
confusion et un étonnement momentanés par ses profonds rai
sonnements, le premier et le plus banal événement de la vie
fera s'envoler tous ses doutes et tous ses scrupules, et il le laisse
identique, en tout point, pour l'action et pour la spéculation,
aux philosophes de toutes les autres sectes et à tous les hom
mes qui ne se sont jamais souciés de recherches philosophi
ques.
Quand il s'éveille de son rêve, il est le premier à se join
dre au rire qui le ridiculise ( ...
).
Il y a, certes, un scepticisme plus mitigé, une philosophie
académique, qui peut être à la fois durable et utile et qui peut,
en partie, résulter du pyrrhonisme, de ce scepticisme outré,
quand on en corrige, dans une certaine mesure, le doute indif
férencié par le sens commun et la réflexion.
Les hommes, pour
la plupart, sont naturellement portés à être affirmatifs et dog
matiques dans leurs opinions ; comme ils voient les objets d'un
seul côté et qu'ils n'ont aucune idée des arguments qui ser
vent de contrepoids, ils se jettent précipitamment dans les prin
cipes vers lesquels ils penchent, et ils n'ont aucune indulgence
pour ceux qui entretiennent des sentiments opposés.
Hésiter,
balancer, embarrasse leur entendement, bloque leur passion et
suspend leur action.
Ils sont donc impatients de s'évader d'un
état qui leur est aussi désagréable, et ils pensent qu'ils ne peu
vent s'en écarter assez loin par la violence de leurs affirma
tions et l'obstination de leurs croyances.
Mais si de tels rai
sonneurs dogmatiques pouvaient prendre conscience des étran
ges infirmités de l'esprit humain, même dans son état de plus
grande perfection, même lorsqu'il est le plus précis et le plus
prudent dans ses décisions, une telle réflexion leur inspirerait
naturellement plus de modestie et de réserve et diminuerait
l'opinion avantageuse qu'ils ont d'eux-mêmes et leur préjugé
contre leurs adversaires( ...
).
En général, il y a un degré de doute,
de prudence et de modestie qui, dans les enquêtes et les déci
sions de tout genre, doit toujours accompagner l'homme qui
raisonne correctement.
David HUME, Enquête sur /'entendement humain (1748), Section'JOI, trad.
A.
Leroy, Aubier, 1947, pp.
216-217..
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