Le relativisme de Pascal
Publié le 14/09/2015
Extrait du document

PASCAL ! « Que nous dira donc en cette nécessité la philosophie ? Que nous suivions les lois de notre pays ? C’est-à-dire cette mer flottante des opinions d’un peuple ou d’un Prince, qui me peindront la justice d’autant de couleurs et la reformeront en autant de visages qu’il y aura en eux de changement de passion ? Je ne puis avoir le jugement si flexible. Quelle bonté est-ce que je vois en crédit hier, et demain plus, et que le trait d’une rivière fait crime ?
Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui tient au-delà ? »
«Ils font plus; cet accord évident et universel de toutes les nations, ils l’osent rejeter, et contre l’éclatante uniformité du jugement des hommes, ils vont chercher dans les ténèbres quelque exemple obscur et connu d’eux seuls; comme si tous les penchants de la nature étaient anéantis par la dépravation d’un peuple, et que sitôt qu’il est des monstres, l’espèce ne fût plus rien. Mais que servent au sceptique Montaigne les tourments qu’il se donne pour déterrer en un coin du monde une coutume opposée aux notions de justice? Que lui sert de donner aux plus suspects voyageurs l’autorité qu’il refuse aux écrivains les plus célèbres? Quelques usages incertains et bizarres, fondés sur des causes locales qui nous sont inconnues, détruiront-elles l’induction générale tirée du concours de tous les peuples, opposés en tout le reste et d’accord sur ce seul point? Ô Montaigne ! toi qui te piques de franchise et de vérité, sois sincère et vrai si un philosophe peut l’être, et dismoi s’il est quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi, d’être clément, bienfaisant, généreux ? Où l’homme de bien soit méprisable et le perfide honoré ? »
« Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays ; l’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples, et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change en qualité en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence ; un méridien décide de la vérité ; en peu d’années de possession, les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques ; l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »
«Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu’un homme ait droit de me tuer parce qu’il demeure au-delà de l’eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui. »

«
Montaigne (1533-1592) dont Pascal avait lu les Essais
avec soin.
Montaigne avait déjà attiré l'attention sur le
fait qu'il n'existait pas un accord entre les hommes sur
ce qui constituait le Bien et le Mal.
Les principes
moraux,
les règles de conduite, les lois donnaient le sen
timent de la plus incroyable disparate.
Le texte même
de Montaigne
(Essais, Livre Il, ch.
12, «Apologie de
Raimond Sebond
») a directement inspiré Pascal :
« Que nous dira donc en cette nécessité la philosophie ?
Que nous suivions les lois de notre pays? C'est-à-dire
cette mer flottante des opinions
d'un peuple ou d'un
Prince, qui me peindront la justice d'autant de cou
leurs et la reformeront en autant de visages qu'il y aura
en eux de changement de passion ? Je ne puis avoir le
jugement si flexible.
Quelle bonté est-ce que je vois en
crédit hier, et demain plus, et que
le trait d'une rivière
fait crime?
Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est
men
songe au monde qui tient au-delà ? »
Toujours en démarquant Montaigne, Pascal donne des
exemples de cette variabilité de la justice en fonction du
temps et de l'espace:
«Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des
pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses.
Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit
de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau, et que
son prince a querelle contre
le mien, quoique je n'en
aie aucune avec lui.))
L'observation des différentes sociétés est donc con
vaincante : l'homme est incapable de déterminer d'une
façon universelle, valable pour tous,
ce qui est juste.
A noter que pour Montaigne comme pour Pascal,
l'homme avait peut-être en lui, dans sa
nature, la
faculté de distinguer justement
le bien du mal.
Mais la
raison semble avoir perturbé cette lumière naturelle.
Montaigne écrit, dans
le chapitre 12 du Livre II:.
»
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