Le pouvoir politique peut-il reposer sur la vertu ?
Publié le 29/09/2004
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Et du même coup, ses conseils pourraient faire croire à un lecteur d'aujourd'hui que, lorsqu'il s'agit de pouvoir, tout se joue dans la sphère exclusive du pouvoir, et en termes « psychologiques « d'honnêteté, de ruse ou de force. Or les Etats contemporains ne peuvent se comprendre qu'à la lumière de leur puissance économique et sociale, et que dans l'interrelation qu'ils entretiennent avec les autres puissances. Cette irruption de l'économique, cette interdépendance des Etats sont des phénomènes nouveaux qui ne prennent toute leur ampleur qu'au XIX ième, que Machiavel ne pouvait imaginer, mais qui mettent en cause les schémas de pensée qui sont nécessairement à la fois les siens et ceux de son temps. [Pour qu'une cité soit stable, il faut que ceux qui la gouvernent soient des gens éclairés. Ils doivent avoir pour principales qualités la prévoyance, la sagesse, la perspicacité. Ce qui fait d'eux des êtres vertueux.] Les gouvernants doivent être éclairés Pour que le pouvoir ne dégénère en tyrannie. Pour parvenir à ce but, ceux qui sont à la tête de la cité doivent être des esprits éclairés, donc vertueux. Platon dira: « Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, ou que ceux qu'on appelle aujourd'hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes [...] il n'y aura de cesse aux maux des cités, ni, ce me semble, à ceux du genre humain.
«
nécessité.
».Après avoir, dans les premières pages du « Prince », envisagé les différentes formes de gouvernement,Machiavel décide de centrer son propos sur la situation qui peut paraître la plus précaire, celle d'un princenouveau et qui a été mis en place par une armée étrangère.
Quels principes doit mettre en oeuvre ce princepour se conserver et pour conserver son pouvoir ? Le « Prince » tout entier se propose de répondre à cettequestion.Machiavel pense que l'on peut tirer des leçons de l'histoire.
En étudiant le comportement des grands hommes,en analysant les causes de leurs échecs ou de leurs succès, il est possible de dégager les principes surlesquels pourra se fonder une action politique.
Sa conclusion est claire : on ne fait pas de bonne politiqueavec de bons sentiments.Il n'est pas important pour le « Prince » d'être bon ou de ne pas l'être.
Celui-ci doit avoir la ruse du renard «pour connaître les filets » et la force du lion « pour faire peur aux loups ».
L'exemple à suivre est celui del'empereur Sévère qui « fut un très féroce lion et un très astucieux renard ».« Il faut donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par des lois, l'autre par la force ; la premièreforme est propre aux hommes, la seconde propre aux bêtes ; comme la première bien souvent ne suffit pas, ilfaut recourir à la seconde.
Ce pourquoi est nécessaire au Prince de savoir bien pratiquer la bête et l'homme.
»La même idée que la fin justifie les moyens est exprimée dans les « Discours » : « Un esprit sage necondamnera jamais quelqu'un pour avoir usé d'un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchieou pour fonder une république.
Ce qui est à désirer, c'est que si le fait l'accuse, le résultat l'excuse.
»Ce réalisme, bien loin de la morale humaniste ou de la morale chrétienne, apparaît, à première vue, tout à faitdénué de machiavélisme.
Dans son acception courante, ce terme évoque, en effet, des manoeuvrestortueuses, le recours au secret.
Rien de tout cela ici, mais seulement un exposé lucide dans lequel il n'estpas toujours facile de percevoir la marge d'ironie.
Ce « machiavélisme » apparaît cependant dans les conseilscomplémentaires.
Le prince doit « savoir entrer dans le mal s'il y a nécessité », mais il veillera cependant àsauver sa réputation.
Il fera prendre les mesures impopulaires par quelqu'un d'autre, se réservant celles quiont la faveur du peuple.
Il sera renard : « Mais il est besoin de savoir bien colorer cette nature, bien feindreet bien déguiser.
» Machiavel ajoute que les hommes sont si simples et tant soumis aux nécessités du présentque celui qui trompe trouvera toujours quelqu'un prêt à se laisser tromper.
Il importe donc avant tout depréserver ce que l'on n ‘appelait pas encore son « image de marque » : « il n'est donc pas nécessaire à unPrince d'avoir toutes les qualités dessus nommées, mais bien il faut qu'il paraisse les avoir.
»Un exemple parmi d'autres de ces pratiques, qui laissa Machiavel frappé de stupeur, mais sans doute aussiadmiratif : César Borgia, pour faire régner l'ordre en Romagne, donna toute puissance à l'un de ses hommes deconfiance connu pour être cruel & expéditif.
La paix établie, pour éviter que l'opprobre ne s'attache à sapropre personne, il fit exécuter l'officier, exposant son corps coupé en deux morceaux sur une place publique.Bel exemple de duplicité et de détermination.
Borgia possédait la « virtù ».Le Prince ne se souciera donc pas de ce qu'exige la morale, mais il veillera à manipuler l'opinion pour asseoir saréputation.
La chose est aisée du fait de la crédulité du peuple.
« Les hommes, en général, jugent plutôt auxmains qu'aux yeux.
»« Qu'un Prince donc se propose pour but de vaincre, et de maintenir l'Etat ; les moyens seront toujoursestimés honorables et loués de chacun ; car le vulgaire ne juge que de ce qu'il voit et de ce qui advient ; oren ce monde il n'y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte pour rien quand le grand nombre a de quois'appuyer.
»
Rousseau estime que ce penseur politique a été encore plus subtilement machiavélique qu'on ne le pense.
Enfaisant semblant de donner des conseils à un prince sur la façon de manipuler les foules, il aurait en faitdévoilé aux peuples la manière dont ils sont grugés : « En feignant de donner des leçons aux rois, il en adonné de grandes aux peuples.
Le Prince de Machiavel est le livre des républicains.
»Spinoza pensait déjà de même : « Peut-être Machiavel a-t-il voulu montrer qu'une masse libre doit, à toutprix, se garder de confier son salut à un seul homme [...] Cette dernière intention est, quant à moi, celle queje serais porté à prêter à notre auteur.
Car il est certain que cet homme si sagace aimait la liberté et qu'il aformulé de très bons conseils pour la sauvegarder.
»
Pas d'unité politique sans ordreUn grand homme politique, pour Machiavel, est un esprit qui considère que tous les moyens sont bons pourparvenir à assurer la paix et la sécurité.
Il ne faut pas compter sur la vertu des citoyens, ni sur celle deschefs.
Ce qui importe, c'est d'avoir le pouvoir et de le conserver.
Voilà ce qui permet à la cité d'êtreréellement à l'abri des dissensions.
« Il faut savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par la force : la première sorteest propre aux hommes, la seconde propre aux bêtes ; mais comme la première bien souvent ne suffit pas, ilfaut recourir à la seconde.
Ce pourquoi est nécessaire au Prince de bien savoir pratiquer la bête et l'homme.
Cette règle fut enseignée aux Prince s en paroles voilées par les anciens auteurs, qui écrivent comme Achille et plusieurs autres de ces grands seigneurs du temps passé furent donnés à élever aucentaure Chiron pour les instruire sous sa discipline.
Ce qui ne signifie autre chose, d'avoir ainsi pourgouverner une demi-bête et demi-homme, sinon qu'il faut qu'un Prince sache user de l'une et de l'autre nature, et que l'une sans l'autre n'est pas durable.
Puis donc qu'un Prince doit savoir bien user de la bête, il en doit choisir le renard et le lion ; car le lion ne peut se défendre des rets, le renard des loups ; il fautdonc être renard pour connaître les rets, et lion pour faire peur aux loups.
».
»
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