Le pouvoir politique doit-il dépasser ou utiliser la violence à son profit ?
Publié le 11/12/2009
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Néanmoins, la violence n’existe pas uniquement sous une forme physique : elle s’exprime aussi sous des formes symboliques, sociales, psychologiques, etc. Manipuler quelqu’un, le dévaluer par des signes ou le placer dans des conditions de vie indignes, c’est bien lui faire violence, même si on ne lève pas le petit doigt sur lui. Ainsi, même si le pouvoir politique fait taire la violence physique, ce n’est peut-être que pour la reconduire sous une autre forme, par exemple en niant leurs droits à certains individus en raison de leur sexe ou de leur race, ou en maintenant grâce à la peur qu’instaure la force publique une partie de la population dans la pauvreté. Le pouvoir politique ne serait donc pas alors le dépassement de la violence mais bien un instrument de sa reconduction. Il permettrait à certains individus de continuer à opprimer les autres sous le masque de la justice et avec l’aide de la force publique.
Le problème ici en jeu est donc celui des rapports entre force, justice et pouvoir politique : est-ce que la politique est d’abord une affaire de rapports de force, dont la justice et le droit ne seraient que des expressions masquées ? Ou est-ce qu’au contraire le pouvoir politique permet de vivre sous un autre ordre que celui de la violence ?
«
masque pour se faire respecter comme juste.
Comment fait-il ? En outre, s'il est un instrument, à qui sert-il et àquoi?
II.
Le masque du droit et de la politique sur les rapports de force
Si la politique n’est qu’un instrument de rapports de force, alors pourquoi en avoir besoin, puisque la force estfacilement reconnaissable et contraint ? C’est que la violence dont on doit user pour conserver sa positionascendante crée toujours des mécontentements, et menace toujours d’être renversée, surtout quand elle estexercée par quelques particuliers.
Par contre, une association politique permet de rassembler autour de soi ceux làmêmes que l’on exploite en leur faisant croire que l’on défend l’intérêt commun, et de les enrôler ainsi dans lapuissance publique.
C’est une telle situation que décrit Rousseau à l’origine d’état civil, dans la deuxième partie duDiscours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes : celui qui possédait le plus de terres et était le plus puissant était néanmoins toujours menacé, soit par l’arrivée d’un plus fort que lui, soit par la coalition des faibles ; il décidaalors de sortir de cet état de guerre permanent en employant « en sa faveur les forces mêmes de ceux quil’attaquaient, de faire ses défenseurs de ses adversaires, de leur donner d’autres institutions qui lui fussent aussifavorables que le droit naturel lui était contraire.
» Ainsi il inventa « quelques raisons spécieuses pour les amener àson but » raisons qui prennent la forme d’un contrat social : « Unissons nous, leur dit-il, pour garantir de l’oppressionles faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient, » etc.
Avec le masquede la justice et du droit, le fort peut donc se passer de l’usage de la force et transformer sa violence physique enune violence légitime, qui reçoit en plus l’appui de ceux-là mêmes qui la subissent parce qu’elle se fait sous couvertdu bien commun.
Ainsi le droit stabiliserait et masquerait en même temps les rapports de force dans une société.
M.
Foucault étudie,dans un cours intitulé « Il faut défendre la société » les discours qui depuis l’âge classique voient sous les rapports juridiques des rapports de forces larvés.
Il remarque que dans cette hypothèse, c’est la guerre et non la paix qui estl’objectif du pouvoir politique, parce que celui-ci provient d’une ancienne conquête.
Ainsi le droit anglais parexemple, pour certains partis, seraient l’expression de la victoire normande du XIIe siècle sur les Angles et lesSaxons : il aurait cristallisé cette situation de conquête et la perpétuerait en accordant une assemblée spécifiqueaux descendant des Normands (la chambre des Lords).
Or ces discours ont une grande importance, même s’ils sontfaux : ils ont permis de révéler la violence sociale perpétuée par le droit.
Ils révèlent que le droit n’est pas que larecherche de la concordance entre les différentes libertés particulières des individus composant la société : il estaussi l’expression et l’instrument de l’oppression d’une partie de la population sur une autre.
Le pouvoir politique estalors bien un dépassement de la violence physique, mais vers une autre forme de violence : sociale et symbolique(en ce que l’oppression d’une population ne se fait pas uniquement par le maintien dans des conditions de viedifficiles, mais aussi par l’attribution de tâches et de distinctions considérées comme indignes).
Néanmoins, si le droit perpétue une situation de guerre et n’est qu’un masque de la violence, a-t-on encore affaireà des lois qui méritent le nom de loi ? Si la transformation de la force en droit permet bien, dans les faits de taire les révoltes, elle n’accorde pas plus de légitimité à la violence, et donc risque toujours de s’attirer des attaques.
III.
De la violence à la parole
Le problème de l’assise du droit sur la force est le caractère fondamentalement versatile de la force.
Sans légitimité du pouvoir celui-ci n’est soumis qu’à des variations de rapports de force.
Or « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître , s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir » comme l’écrit Rousseau au début du chapitre III du premier livre du Contrat social .
Mais si c’est bien la force qui confère le droit, alors la révolte contre le pouvoir politique est tout à fait légale, comme le remarque Rousseau à la fin duDiscours sur l’inégalité : « la révolte qui renverse le Sultan est tout aussi légitime que le pouvoir tyrannique qu’il exerçait.
» Mais aucun système juridique ne peut admettre que ne pas se soumettre aux lois soit légal, sans quoi ils’effondre immédiatement.
Tout système juridique doit donc avoir une source de légitimité pour pouvoir user de la force sans permettre enmême temps que la force soit utilisé contre lui.
Comment ? Par une convention sociale entre tous les membres de lacommunauté, convention qui n’a rien d’un contrat de dupe parce qu’elle demande à chacun d’aliéner tous ses bienset forces : « Chacun se donnant à tous ne se donne à personne , et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a.
» ( Contrat social , I, 6) L’union égalitaire de tous les membres les empêche de s’asservir les uns les autres à travers ce pacte.
En outre, la force de toute la communauté qui ne fait plus qu’un corps social.
»
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