Le ''on'' de Heidegger ou la dictature de l'anonymat
Publié le 26/10/2013
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En se préoccupant de ce qu'on a entrepris avec, pour ou contre les autres, on s'inspire constamment du souci de se distinguer d'avec ces autres. Soit que l'on s'efforce seulement d'effacer toute différence avec eux; soit que l'être-là, se sentant inférieur, cherche dans ses rapports avec eux à les égaler; soit encore que lêtre-là, se plaçant au-dessus des autres, cherche à maintenir ceux-ci au-dessous de lui. La coexistence - bien qu'elle se le dissimule - s'inquiète et se soucie de cette distance. Ce qu'on peut exprimer existentialement en disant que l'être-en-commun existe sous le signe du distancement. Plus ce mode d'être passe inaperçu de l'être-là quotidien, plus profondément et plus tenacement il agit sur lui.

«
Autrui : de l'ignorance d'autrui à sa révélation liil
autres n'en disparaissent que davantage en ce qu'ils ont de distinct et d'expressément particulier.
Cette situation d'indifférence et d'indistinction permet au • on ' de dévelop
per sa dictature caractéristique.
Nous nous amusons, nous nous distrayons, comme on
s'amuse; nous lisons, nous voyons, nous jugeons la littérature et de l'art, comme on voit et comme on juge; et même nous nous écartons des , grandes foules , comme on
s'en écarte; nous trouvons ' scandaleux ' ce que l'on trouve scandaleux.
Le " on ' qui n'est personne de déterminé et qui est tout le monde, bien qu'il ne soit pas la somme
de tous, prescrit à la réalité quotidienne son mode d'être.
Le " on , a ses propres manières d'être.
La tendance caractéristique de l'être-avec
autrui que nous avons nommée le distancement se fonde sur le fait que l'être-en-com
mun cherche à imposer tout ce qui est conforme à la moyenne.
La moyenne est un
caractère existential du " on " C'est d'elle qu'il s'agit essentiellement pour l'être du
" on '" C'est pourquoi, de fait, le " on • demeure toujours dans la moyenne de ce qui est convenable, de ce qui est reçu et de ce qui ne l'est pas, de ce qui mérite l'assenti
ment et de ce qui ne le mérite pas[ ...
].
Le souci de la moyenne recèle une nouvelle
tendance de l'être-là, nous l'appelons le nivellement de toutes les possibilités d'être.
Le distancement, la moyenne et le nivellement constituent, en tant que modes d'être
du ' on ., tout ce que nous appelons " l'opinion publique " Le public, qui a toujours rai
son, décide en premier lieu de l'interprétation du monde et de l'être-là.
Et cela non
point en raison d'un rapport ontologique privilégié et primordial à l'égard des
• choses ., mais en raison du fait qu'il se refuse d'aller , au fond des choses ., insen
sible qu'il est à toutes les distinctions de niveau et d'authenticité.
Le public obscurcit
tout et fait passer ce qu'il a ainsi dissimulé pour une chose parfaitement connue et
accessible à tous.
Le • on ' se mêle de tout, mais en réussissant toujours à se dérober si l'être-là est
acculé à quelque décision.
Cependant, comme il suggère en toute occasion le jugement à énoncer et la décision à prendre, il retire à l'être-là toute responsabilité concrête.
Le
• on • ne court aucun risque à permettre qu'en toute circonstance on ait recours à lui.
Il peut aisément porter n'importe quelle responsabilité, puisque à travers lui personne jamais ne peut être interpellé.
On peut toujours dire : on l'a voulu, mais on dira aussi bien que• personne• n'a rien voulu[ ...
].
Chacun est l'autre et personne n'est soi-même.
Le • on ., qui répond à la question de
savoir qui est l'être-là, quotidien, n'esl_personne.
À ce • personne ., l'être-là, mêlé à la foule, s'est toujours-déjà abandonné.
El
Martin Heidegger, L'Être et le Temps ( 1927), trad.
Boehm-De Waelhens,
Gallimard, 1964, pp.
158 à
160..
»
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