Le morceau de cire
Publié le 19/03/2015
Extrait du document
Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps se rencontrent en celui-ci.
Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu : ce qui restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure et personne ne peut le nier.
Descartes, Méditations métaphysiques, Seconde Méditation.
«
114 L'aventure des sens
leur, d'une consistance définie, odorante et sonore à sa façon.
Elle
garde encore quelque chose de la saveur du miel, et des
senteurs florales qui l'habitèrent.
Matière et forme, éclat et
couleur, sonorité singulière et toucher propre, signent en
quelque sorte la présence de l'objet.
Un morceau de cire, donc.
La chose et le mot semblent
avoir fixé dans la mémoire et la conscience qui la relaie une
appréhension familière, qui ne doute pas d'elle-même.
Pour
tant, l'ordinaire certitude ne va pas de soi.
On croit tenir des
sens un savoir assuré, qui a la couleur et l'intensité de la vie
réelle,
et semble échapper à toute fantaisie de la pensée
comme à toute mise à distance arbitraire.
Mais cette assurance,
qui se croit ainsi fondée sur la réalité indubitable des sensa
tions,
d'où vient-elle effectivement?
Que l'on chauffe le morceau de cire jusqu'à le fondre.
Il perd
tout ce par quoi il était jusqu'à présent connu, ou reconnu.
Ses
qualités sensibles disparaissent, sans que soit altérée pourtant la
certitude qu'il s'agit bien de la même cire ...
Est-ce pourtant la
même ? La certitude sensible demeure, alors que ses repères
manifestes ont changé.
Peut-on prétendre encore la tirer du
seul témoignage des sens? Penser la permanence de la cire, ce
n'est pas oublier ce morceau de cire, mais marquer la place du
jugement au cœur de la certitude sensible.
Il n'y a pas deux
cires, l'une de nature sensible, l'autre d'essence intelligible,
mais
une seule, connue comme telle dans le moment même où
elle est sentie et perçue tout à la fois.
L'unité de la cire reste posée par la conscience, alors que la
variation
de ses propriétés sensibles semble l'avoir effacée.
Elle
l'atteste pourtant.
Troublante évidence, qui incite à se
demander d'où vient la certitude ainsi affirmée.
Les impres
sions sensibles dont elle semblait dériver ne peuvent, elles
seules, la susciter
et la maintenir.
Dans le moment même où
l'unité de la cire est posée, le morceau de cire qui de façon si
singulière touchait les sens a disparu.
N'est-ce pas une image
sensible de la cire qui hante ainsi la mémoire, et non la cire
elle-même ? La question reconduit à ce qui se joue dans la per
ception ordinaire.
Descartes y insiste : il n'y a pas deux cires,
mais
une seule, que l'esprit saisit comme présente dans lacer
titude sensible, mais irréductible à aucune des images sen
sibles
qui l'expriment.
Voir, c'est en faitjuger.
Le soleil de l'astronome est bien le
même soleil que le soleil sensible.
Mais en voyant celui-ci, je.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- L'exemple du morceau de cire chez Descartes
- Que nous enseigne sur la perception l'analyse du morceau de cire de Descartes ?
- J'ai vu toute la boule de cire dont un morceau, enduit de boue, la mâchoire inférieure, menaçait de se détacher. Jules Renard, Journal, 1887-1892, ABU, la Bibliothèque universelle
- Descartes, le morceau de cire
- DESCARTES: le morceau de cire et la connaissance