Le modèle déductif des mathématiques constitue-t-il un idéal pour la science ?
Publié le 17/02/2004
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Généralité et abstraction des objets mathématiques.a) Généralité : les mathématiques, dit Descartes, sont « une science générale qui explique tout ce qu'il est possiblede rechercher touchant l'ordre et la mesure, sans assignation à quelque matière particulière que ce soit » (Règlespour la direction de l'esprit, 1629).
Elles ne considèrent, dans le domaine où on les applique, « que les diversrapports ou proportions qui s'y trouvent » (Ibid )
b) Abstraction : A propos des objets dont elles traitent, les mathématiques ne se mettent guère en peine de savoir« si elles sont dans la nature,ou si elles n'y sont pas » (Descartes, Méditations métaphysiques, 1641 ).
Selon le mot de Goblot, les mathématiquesn'ont pas besoin pour êtrevraies que leurs objets soient réels.
La certitude de leurs démonstrations ne requiert aucunement la vérificationexpérimentale.Autre formule célèbre qui souligne l'abstraction de l'objet mathématique : la géométrie, dit-on souvent, est l'art deraisonner juste sur des figures fausses (puisque les segments que je trace sur ma feuille ont une épaisseur, puisquela droite que je figure n'est pas infinie, etc.).
Le raisonnement déductif.La démonstration mathématique est nécessaire (ou apodictique).
Sa force probatoire s'impose comme une obligationà l'esprit.
On appelle raisonnement déductif, écrit le mathématicien Jean Dieudonné, « un enchaînement depropositions disposées de telle sorte que le lecteur (ou auditeur) se voit contraint de considérer comme vraiechacune d'elles, dès qu'il a admis la vérité de celles qui la précèdent dans le raisonnement ».
II.
Dangers de l'idéal déductif.
Remarquons d'abord que l'idéal déductif n'est pas sans dangers.
Ce qui le montre bien, c'est l'échec de la Physiquecartésienne.
DESCARTES avait conçu toute la science de la nature comme une immensesynthèse déductive où, sur le modèle des Mathématiques et spécialement dela Géométrie, on partirait des notions « les plus simples et les plus aisées àconnaître » pour « monter peu à peu et comme par degrés » jusqu'aux pluscomplexes (c'est la déduction constructive).
Mais Descartes lui-même l'avouedans la 6e partie du Discours : cette méthode, qui lui avait réussi pour poser« les principes ou premières causes » et établir quels étaient « les plusordinaires effets qu'on pouvait déduire de ces causes », se révéla insuffisantepar la suite.
« La puissance de la nature, dit-il, est si ample et si vaste » etles principes si simples et si généraux que chaque effet particulier «peut enêtre déduit en plusieurs diverses façons », de sorte que, lorsqu'on veutdescendre aux conséquences plus particulières, il s'en présente « tant dediverses » qu'il faut « venir au devant des causes par les effets », c'est-à-dire substituer l'induction à la déduction et faire appel à l'expérience.
Aureste, il suffit d'ouvrir les Principes de la philosophie dans lesquels Descartesexpose sa Physique, pour constater que la méthode purement déductive l'aconduit plus d'une fois à l'erreur.
C'est ainsi qu'à l'article 52 de la 2e partie,après avoir exposé les «lois du choc», il ajoute : « Les démonstrations detout ceci sont si certaines qu'encore que l'expérience nous semblerait fairevoir le contraire, nous serions néanmoins obligés d'ajouter plus de foi à notreraison qu'à nos sens.
» Or, il se trouve que, telles qu'il vient de les énoncer,les « lois du choc » sont erronées.
— Bien plus prudent était son grand disciple MALEBRANCHE lorsqu'il écrivait, dans sa Recherche de la Vérité (VI, i, chap.
IV) : « Il faut avouer que lagéométrie nous est parfois occasion d'erreur, parce que nous nous occupons si fort des démonstrations évidentesque cette science nous fournit, que nous ne considérons pas assez la nature...
La nature n'est point abstraite.
»
III.
« L'idéal de complexité ».
En réalité d'ailleurs, si nous considérons l'évolution des sciences, nous constatons que la tendance à lasystématisation déductive ne représente que l'un des aspects de cette évolution.
A.
— Ceci est vrai même desMathématiques.
Si celles-ci étaient demeurées strictement fidèles au pur idéal déductif, elles se seraient bornées àdévelopper les conséquences, par exemple, des principes posés par Euclide en Géométrie, tout au plus en lesgénéralisant quelque peu (§ I A).
Mais c'est dans une autre voie que leurs progrès et leur enrichissement se sontaccomplis.
On sait qu'à côté de la géométrie euclidienne se sont constituées de multiples géométries dites « non-euclidiennes » reposant sur des postulats différents.
Et sans doute l'on peut dire qu'ici encore c'est la même oeuvrede systématisation et de généralisation qui se poursuit, puisque la géométrie euclidienne apparaît dès lors comme uncas particulier, celui de l'espace sans courbure, de la Géométrie générale.
Il y a cependant quelque chose dechangé dans la démarche de l'esprit qui allait autrefois, selon le précepte de Descartes, du simple (ou de Yapparemment simple) au complexe, tandis que la géométrie moderne multiplie ses postulats et nous fait apparaîtrecomme complexe ce que l'on croyait simple.
C'est ainsi, comme le remarque BACHELARD (Le nouvel espritscientifique, p.
23), que la notion classique de la droite avec ses parallèles nous semble aujourd'hui « correspondre à.
»
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