Devoir de Philosophie

Le mensonge est-il toujours condamnable ?

Publié le 09/04/2004

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mensonge

Toute victime d'un abus de force ou d'une injustice est ainsi fondée à se défendre par le mensonge. Schopenhauer, par exemple, estime que je puis « selon les circonstances, opposer à la violence d'autrui la ruse ; je n'aurai pas en cela de tort ; en conséquence, je possède un droit de mentir, dans la même mesure où je possède un droit de contrainte « (Le Monde comme volonté et comme représentation, § 62, P.U.F., Paris, 1966, p. 428).

II- Le devoir de véracité absolue

Mais la justification politique du mensonge reste au seuil de toute analyse morale. La relation entre gouvernants et gouvernés n'est pas symétrique. Au contraire d'un tel pragmatisme, l'exigence morale est universelle.a) Si je puis bien, parfois, être tenté de mentir, il m'apparaît néanmoins aussitôt que, comme l'a bien montré Kant, je ne puis en aucune manière vouloir une loi universelle qui commanderait de mentir.

Personne n'aime les menteurs, car personne n'aime être trompé. La vérité semble ainsi supérieure par principe à tous les mensonges. Pourtant qui peut se vanter de n'avoir jamais déguisé ou dissimulé la vérité? les humains mentent par faiblesse ou par intérêt, pour des motifs dont en général ils ne sont pas fiers. Mais il n'y-a t-il pas des mensonges justifiés? Nos pensées ne sont pas toujours avouables: devrait-on exprimer à son entourage le moindre de ses sentiments? Le médecin devrait-il toujours révéler au malade la gravité de son mal? Un gouvernement même démocratique, devrait-ils révéler aux citoyens tous ses secrets diplomatiques ou stratégiques, avec le risque évident d'en informer des ennemis? Au fond, le mensonge est-il toujours condamnable? A titre de principe moral universel, un devoir absolu de vérité n'est-il pas trop abstrait pour être applicable? Mais comment faire de ce droit un principe moral?

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« III — Mensonge et sagesse pratique Pourtant la question demeure : le respect pour la règle coïncide-t-il nécessairement avec le respect des personnes ? Peut-on, ainsi que le fait Kant,refuser de tenir compte, dans le jugement porté sur le mensonge, du dommage éventuel causé à autrui ? a) S'il ne peut s'agir de récuser le devoir, peut-on simplement, quand il s'agit de l'appliquer aux situations concrètes, se reposer en lui ? Le tragique del'existence nous confronte à des conflits de devoirs, où s'affrontent d'un côté le respect dû à la norme universelle, et de l'autre le respect dû auxpersonnes singulières. b) Dans sa polémique avec Kant, B.

C onstant affirme la réciprocité des devoirs et des droits : dire la vérité n'est donc un devoir qu'envers ceux qui ontdroit à la vérité.

Or, ajoute-t-il, « nul homme n'a droit à la vérité qui nuit à autrui.

»A) Moralité du devoir et responsabilité.La morale du devoir ordonne simplement : fais ce que tu dois, et, de son point de vue, on doit faire son devoir sans se préoccuper de ce que les autres sont susceptibles de faire.

Advienne que pourra ! or, le fait que le mal puisse résulter du bien et le bien du mal est une réalité.

On peut sedemander, dès lors, si l'homme de conviction, qui agit toujours par devoir indépendamment des circonstances, n'est pas irresponsable et s'il ne fautpas subordonner toute règle morale à la considération des conséquences de son application.

L'homme de responsabilité ne réfléchit-il pas, avant deprendre une décision, au bien ou au mal qu'il pourrait produire ?Supposons que des assassins me demandent si mon ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans ma maison et que je ne puisse éviter de répondre paroui ou par non.

Dois-je me soumettre inconditionnellement à l'interdiction de mentir ? Ce cas invoqué par Benjamin Constant semble ruiner touteprétention à poser des principes supposés valoir toujours et partout.

A u rigorisme kantien s'opposerait l'impossibilité d'ériger le devoir de véracité enprincipe inconditionné, sous peine de favoriser les assassins.

Une petite entorse au devoir de véracité ne se justifie-t-elle pas relativement à la finpoursuivie ? Mieux, n'avons-nous pas, en pareil cas, des raisons morales de mentir ? Ne faut-il donc pas admettre qu'il n'y a pas une seule et uniquesource de valeur morale, mais plusieurs ? Ne faut-il pas distinguer deux positions morales : l'une que l'on peut qualifier de « déontologique » (respect des règles), l'autre de « conséquentialiste » (considérer le plus grand bien comme motif de nos décisions) ? B) La fin ne justifie pas les moyens.A Constant qui affirme un droit naturel de mentir par humanité, Kant répond que la véracité dans des déclarations qu'on ne peut éviter « est un devoir formel de l'homme à l'égard de chacun, quelle que soit l'importance du dommage qui peut enrésulter pour lui ou pour un autre » (« Sur un prétendu droit de mentir »).

L'homme qui ment fait en sorte qu'aucune déclaration n'ait de crédit.

Ainsi il porte atteinte à la finalité interne de communicabilité et faitperdre à tous les droits, qui sont fondés sur des contrats, leur force.

Même si le mensonge ne nuit pas à unhomme particulier, il nuit à l'humanité en général.

A quoi il faut ajouter qu'on ne peut jamais prévoir lesconséquences de ses actes. Supposons, par exemple, que mon ami, voyant les assassins diriger leurs pas vers la maison, décide de s'enfuir à mon insu.

En affirmant qu'il est sorti alors que je le crois à l'intérieur de la maison, j'exprime lecontraire de ce que je pense, mais je dis la vérité ce qui est.

Mon mensonge « bienveillant » peut ainsi mettre les assassins sur les traces de mon ami et être cause de sa mort.

Mais suis-je vraiment responsable ? lemeurtre de cet homme n'est-il pas la faute des meurtriers ? Le fait que l'accomplissement d'un devoir enentraîne des conséquences désastreuses n'est-il pas imputable à quelqu'un d'autre ? Le « conséquentialiste » objectera qu'on ne peut pas toujours rester « les mains propres », qu'il y a des circonstances extraordinaires où nous sommes certains que le respect d'une exigence « déontologique » aurait de graves conséquences.

On peut admettre cette objection et soutenir qu'en pareil cas nous pouvonsêtre forcés à agir autrement que mus par cette exigence.

Mais faut-il pour autant accorder une valeur moraleà un tel acte ? autrement dit, peut-on affirmer qu'il peut être moral de mentir, voire de tuer , Si je tue unhomme pour en sauver dix, puis-je pour autant affirmer que le meurtre peut avoir une valeur morale ?N'aurais-je pas, en pareil cas, conscience d'avoir transgressé la loi morale ? N'éprouverais-je pas quelquepart du remords, en me demandant, par exemple, si je n'aurais pas pu éviter un tel acte ? car, au fond, nefaut-il pas reconnaître, avec Kant , que toute morale qui prétend justifier les moyens au nom des fins, en vient à anéantie ce qui, dans ces fins, peut justifier les moyens ? le devoir reste le devoir . « Etre véridique dans les propos qu'on ne peut éluder, c'est là le devoir formel de l'homme envers chaque homme, quelle que soit la gravitédu préjudice qui peut en résulter pour soi-même ou pour autrui.

Et même si, en falsifiant mon propos, je ne cause pas de tort à celui qui m'ycontraint injustement, il reste qu'une telle falsification, qu'on peut nommer également pour cette raison un mensonge ( même si ce n'est pasau sens des juristes), constitue, au regard de l'élément le plus essentiel du devoir en général , un tort : car je fais en sorte, autant qu'il est en mon pouvoir, que les propos (les déclarations) en général ne trouvent aucun crédit et, par suite, que tous les droits fondés sur des contrats deviennent caducs et perdent toute leur force ; ce qui est un tort causé à l'humanité en général .

»Kant in « D'un prétendu droit de mentir ». C) Le conflit entre deux devoirs. Qu'il soit facile de savoir où est son devoir n'exclut pas toujours la nécessité de la délibération.

Des situations peuvent, en effet, se présenter où lesujet voit s'opposer deux règles.

Sartre , dans « L'existentialisme est un humanisme » cite le cas d'un jeune homme qui doit choisir entre le devoir patriotique qui lui commande de partir en A ngleterre et s'engager dans les Forces Françaises Libres , et le devoir filial qui lui commande de rester auprès de sa mère souffrante et l'aider à vivre.

C e jeune homme peut se dire que sa mère ne vit que par lui et que son départ, et peut-être sa mort, laplongerait dans ledésespoir ; Il peut aussi se rendre compte que partir et combattre est un acte ambigu qui pourrait ne servir à rien si, par exemple, passant parl'Espagne, il restait bloqué dans un camp espagnol.

Suite à une telle délibération, il choisirait de rester auprès de sa mère.

Mais les devoirsfondamentaux exigés par la situation sont probablement qu'il devrait accomplir et son devoir filial et son devoir patriotique.

Entre ces deux impératifs, iln'y a pas d'incohérence de nature.

Le conflit vient de ce que, les choses étant ce qu'elles sont, il n'y a pas moyen de faire les deux actions en mêmetemps.

A utrement dit, s'il reste auprès de sa mère, le jeune homme ne peut pas dire qu'il se trompait en pensant que s'engager dans les Forces Françaises Libres était une chose qu'il devait faire.

Il peut même continuer à penser cela rétrospectivement et, partant, avoir des regrets. Suivre un des devoirs, dans un conflit moral, n'entraîne pas que l'autre devoir n'a aucune pertinence. c) Par conséquent, si la règle de la véracité peut connaître une exception, c'est celle qui est faite, non au bénéfice de l'agent, et au titre de l'amour desoi, mais au bénéfice d'autrui.

Il peut donc être légitime, ou du moins nécessaire, de mentir par compassion avec ceux qui souffrent, et que la véritécondamnerait peut-être ; tout comme il serait absurde de dire la vérité au criminel à la poursuite de sa victime ! Conclusion Le droit à la vérité est par excellence le droit d'autrui à mon égard.

Il fonde pour moi non un devoir absolu et systématique de dire la vérité en touteoccasion, mais bien plutôt une responsabilité plus générale à son égard, et une obligation supérieure de loyauté comme principe supérieur à celui devéracité.. »

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