LE «MEMORIAL» DE PASCAL
Publié le 12/07/2011
Extrait du document

L'an de grâce 1654, Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au Martyrologe. Veille de saint Chrysogone martyr et autres. Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi. Feu Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude, certitude, sentiment, joie, paix. Dieu de Jésus-Christ Deum meum et deum vestrum.
Ton Dieu sera mon Dieu. Oubli du monde et de tout hormis Dieu. Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Evangile. Grandeur de l'âme humaine. Père juste le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu. Joie, joie, joie, pleurs de joie. Je m'en suis séparé Deretiquerunt me fontem aquae vivae. Mon Dieu me quitterez-vous ? Que je n'en sois pas séparé éternellement. Cette est la vie éternelle, qu'ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé J.-C. Jésus-Christ Jésus-Christ Je m'en suis séparé, je l'ai fui, renoncé, crucifié Que je n'en sois jamais séparé ! Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l'Evangile. Renonciation totale et douce. Etc.

«
à souffrir.
Il devient « sensible au coeur » de ceux qui le cherchent et, par sa grâce, les guérit de leurs
péchés, opère en eux conversion et sainteté.
Pascal peut affirmer à l'incrédule en avoir fait souvent l'expérience intime.
Comme en témoigne le papier qu'il
gardait dans la doublure de ses habits, en souvenir de l'illumination mystique du 23 novembre 1654, Jésus-
Christ vient à lui : « Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants.
Certitude.
Certitude.
Sentiment.
Joie.
Paix...
Joie, Joie, pleurs de joie...
Jésus-Christ.
Jésus-Christ...
» Mais c'est
dans le Mystère de Jésus qu'éclate la tendresse et la familiarité respectueuse de cette amitié personnelle de
Pascal et du Christ : « Je te suis plus ami que tel ou tel...
Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles
gouttes de sang pour toi ».
Accablé du sentiment de ses fautes, épuisé et déprimé par sa détresse physique,
Pascal n'ose s'adresser à Dieu, dont il a peur ; mais « le Dieu qu'il ne cherche pas et qu'il voudrait plutôt fuir,
il le trouve, il l'aime dans la personne même du Rédempteur ».
Il a même une telle conscience du mystère de
la Croix, une telle foi dans son « actualité » qu'il s'oublie entièrement et se perd, comme les mystiques, dans
la contemplation du Christ.
« Il est là hors de lui-même, uniquement attentif à ce qui se passe, ne s'intéressant
qu'à l'agonie de Jésus, oubliant tout à fait la sienne propre, l'angoisse éternellement recommençante ici-bas de
ceux qui cherchent encore, comme il le faut bien, même après avoir trouvé.
» Et il entend la voix du Christ à
son âme : « Console -toi...
Tu ne me chercherais pas si tu ne me m'avais trouvé...
»
Parfois, Dieu manifeste à ses fidèles des marques plus sensibles de son amitié, et le miracle vient rompre la
continuité normale, scientifiquement prévisible, des événements.
L'illuminisme de Pascal juge évidente
l'intervention divine qui vient de se produire à Port-Royal en faveur de sa nièce, Marguerite Périer, guérie d'un
ulcère lacrymal par l'attouchement de la Sainte-Épine (24 mars 1656).
Et il ne manque pas d'en conclure à une
spéciale bienveillance de Dieu pour Port-Royal attaqué.
« Voici une épine de la couronne du Sauveur du
monde, en qui le prince de ce monde n'a point de puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce
sang répandu pour nous.
Voici que Dieu choisit lui-même cette maison pour y faire éclater sa puissance.
» Et,
comme « les miracles discernent aux choses douteuses », « les cinq propositions étaient équivoques, elles ne
le sont plus » - « les hommes ne parlant plus de la vérité, la vérité doit parler elle-même aux hommes » Aussi,
« comme Dieu n'a pas rendu de famille plus heureuse, qu'il fasse aussi qu'il n'en trouve point de plus
reconnaissante ».
Pascal tient à affirmer contre tout rationalisme que notre connaissance de Dieu s'opère uniquement par
l'intermédiaire de Jésus-Christ : « Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ.
Sans ce médiateur, est ôtée
toute communication avec Dieu ; par Jésus-Christ, nous connaissons Dieu.
Tous ceux qui ont prétendu
connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n'avaient que des preuves impuissantes ».
Chacun peut, s'il le
veut, renouveler pour son compte les mêmes expériences religieuses dont témoigne la sincérité de Pascal et
prendre avec Jésus-Christ un contact positif et sensible : « Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de
Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d'amour et de consolation, c'est un Dieu qui leur fait sentir
intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s'unit au fond de leur âme ; qui la remplit d'humilité,
de joie, de confiance, d'amour ; qui les rend incapables d'autre fin que lui-même ».
Dieu vient à nous, dans sa Charité infinie, nous proposant ce que nous désirions depuis toujours et que nous
cherchions en vain, le Bonheur.
Que nous reste-t -il sinon de nous donner à lui : « Seigneur, je vous donne
tout ».
La charité est, pour Pascal, la valeur suprême, le fond de l'être : « Tous les corps ensemble, et tous les
esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité ».
« On ne
s'éloigne qu'en s'éloignant de la charité.
» La vérité même, « hors de la charité, n'est pas Dieu ».
Encore faut-il savoir les exigences pratiques de la Charité.
Pour ne pas être une vaine formalité, pour s'écarter
du conformisme de tant de chrétiens charnels ou superstitieux qui confondent la dévotion et la bonté ou de
l'indulgence coupable des mauvais ministres qui dénaturent le christianisme et en font un moyen de domination
temporelle, la « conversion véritable » suppose un effort héroïque et toujours renouvelé.
S'il veut faire place à
l'amour, il faut, suivant la doctrine de tous les mystiques depuis Saint-Paul, que le moi se nie, « s'arrache » à
lui-même et à toutes ses affections sensibles et, dans cette solitude, conforme à l'isolement du Christ, meure
avec le Christ pour renaître à la vie.
« La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet être universel
qu'on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre légitimement à toute heure ; à reconnaître qu'on ne peut
rien sans lui...
».
Et il faut « s'offrir par les humiliations aux inspirations qui, seules, peuvent faire le vrai et
salutaire effet...
»
Mais, comme il ne faut pas oublier notre condition corporelle et sociale, et que « nous sommes automate
autant qu'esprit », il importe, pour arriver à la foi, de faire plier la « machine » et de joindre l'extérieur à
l'intérieur.
« Que l'on se mette à genoux, prie des lèvres » ; que l'on prenne de l'eau bénite, que l'on fasse
dire des messes, etc.
Apparemment irrationnels et risqués, puisqu'ils obligent à «faire comme si » l'on croyait
pleinement, ces gestes domptent l'orgueil de l'homme, l'ouvrent à la grâce et, par l'automatisme qui a ses
racines au plus profond de l'organisme, entraînent l'être tout entier dans la foi, jusqu'à l'imprégner de créance.
La coutume l'y confirmera et, peu à peu, une évidence intuitive remplacera la nécessité primitive de l'effort
rationnel : « La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut qu'ils
soient toujours présents, qu'à toute heure elle s'assoupit ou s'égare, manque d'avoir tous ses principes
présents.
Le sentiment n'agit pas ainsi : il agit en un instant, et toujours est prêt à agir.
Il faut donc mettre
notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante ».
Et, de même que la vérité scientifique
est inséparable d'une recherche indéfinie, l'Infini de Charité s'ouvre à l'effort incessant du chrétien et une
inquiétude douloureuse anime la joie même de sa possession : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais
trouvé ».
L'immensité du Don réclame de l'homme une tension extrême et, dans la poursuite de la perfection,.
»
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