Le langage sert-il à exprimer la réalité ?
Publié le 12/05/2013
Extrait du document
«
Merleau-Ponty imagine que la parole, comme l’œuvre d’art, cherche à communiquer l’idée
d’une chose en faisant partager son essence émotionnelle.
Selon lui, l’acte de parole fait
exister un sens au-delà des mots qu’il emploie.
La combinaison des mots nous renverrait donc
à une réalité au-delà des mots eux-mêmes, tout comme dans l’œuvre d’art, les couleurs ou les
sons finissent par exprimer un sens qui les dépasse.
En effet, l’œuvre d’art, la peinture par
exemple, est également un moyen de langage permettant de retranscrire une réalité.
Comme le
fit remarquer Oscar Wilde, les gens voient des brouillards, non parce qu'il y en a, mais parce
que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets.
Des
brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres mais personne ne les a vus.
Ils
n'existèrent qu'au jour où l'art les « inventa », qu’au jour où le langage les « nomma ».
Néanmoins, le langage ne fait pas que retranscrire une réalité mais il tend aussi à la créer.
Il
est tout aussi bien capable d’exprimer ce qui existe que ce qui n'existe pas.
Il me permet aussi
bien de décrire un événement qui s'est réellement produit, qu'un événement ou une situation
parfaitement imaginaires.
C'est d'ailleurs ce que révèle l'usage artistique ou poétique du
langage : l'artiste, l'écrivain ou le poète font surgir, grâce aux mots, des situations qui
n'existent tout d'abord nulle part ailleurs que dans leur esprit.
D’ailleurs, Bergson affirme que
les mots et le langage ne traduisent qu’imparfaitement la « vraie vie de l’âme ».
Il y a donc
une difficulté générale des mots à atteindre la singularité de nos sentiments et de nos états
d’âmes.
Ainsi, le découpage opéré par la langue ne coïncide pas toujours avec celui du réel.
De plus, le langage permet de dire le vrai tout autant que le faux, d'être sincère ou de mentir.
En ce sens, la puissance du langage est tout à fait ambiguë : elle est puissance de dévoiler le
vrai autant que de le masquer, d'enseigner la vérité à autrui, tout autant que de le tromper.
C'est de cette puissance ambiguë, équivoque, que firent d'ailleurs usage les sophistes de
l'Antiquité qui, tels Gorgias, se complimentaient de pouvoir démontrer à leurs auditeurs une
chose ou son contraire (par exemple, que l'homme est un être vertueux, puis que l'homme est
un être sans aucune vertu).
Si Platon critique les sophistes, c’est parce qu’il les considère
comme de dangereux manipulateurs du langage, cherchant à obscurcir et à tromper la raison
des hommes.
La parole reste la manifestation première fondamentale du langage humain.
On s’exprime
pour être compris et pas seulement pour se comprendre soi-même.
Pour être compris de
quelqu’un d’autre, je dois faire un véritable effort de clarification de ma pensée parce que ce
que je dis à autrui, ce ne sont pas que des mots, mais du sens.
Lorsque Platon veut se faire
comprendre du plus grand nombre, lorsqu’il veut avoir plus d’impact sur les esprits, il utilise
le mythe.
Le mythe, en effet, va au-delà de la parole rationnelle, dialectique.
Il donne à voir, à
imaginer, à poétiser.
Il a un pouvoir.
Tout comme les contes qui permettent aux enfants de
laisser libre cours à leur imagination.
Enfin, le langage peut nous éloigner de la réalité.
T oute parole ne recèle-t-elle pas
essentiellement la possibilité de la trahison ? Parler n’est-ce pas déjà manipuler,
consciemment ou pas ? « Traduttore, traditore » ( « Traduire, c’est trahir ») est une expression
italienne qui reflète bien cette trahison, cette fausseté.
Elle compare le traducteur à un traître
et suggère que la traduction d’un texte d’une langue dans une autre ne peut jamais respecter
parfaitement le texte de l’œuvre originale.
Dans un cas extrême, traduire un poème en le
modifiant pour garder les rimes altère particulièrement l’œuvre du poète.
Toutefois, certains
traducteurs ont réussi à rendre leur traduction au moins aussi bonne que le texte original ; ce
qui est notamment le cas de Charles Baudelaire avec les œuvres d’Edgar Allan Poe.
En somme, le langage permet d’accéder à la faculté de comprendre le réel, de symboliser,
d’établir des relations de signification entre des réalités différentes.
La parole et la pensée
créent du sens et permettent de se construire.
Cependant, le langage humain fait également.
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