Le langage peut-il exprimer une réalité sans la trahir ?
Publié le 26/02/2004
Extrait du document
- I) Le langage peut exprimer une réalité sans la trahir.
- II) Le langage ne peut pas exprimer une réalité sans la trahir.
«
Bergson est un remarquable interprète de la thèse selon laquelle le langage fait obstacle à la pensée : sa conception des rapports entre la vie et la réalité fournit le sol propiceà cette thèse ; elle sera en effet le socle de sa distinction entre langage et pensée.
La vie, au sens où l'entend Bergson , est action, et s'oppose à la réalité qu'elle nous empêche de voir.
Si vivre, c'est agir, c'est choisir :c'est donc sélectionner ce qui répond en besoin, et élaborer des chosesune conception qui dépend des besoins.
Dans l'action et pour remplir lesbesoins de la vie, nous concevons les choses selon un temps spatialitéalors que la réalité est pure durée.
Nous organisons la vie autourd'habitudes alors que la vraie vie est création continue d'imprévisiblenouveauté.
Enfin nous la régissons à partir d'idées générales abstraitesalors que la durée, la vie ne peuvent être l'objet que d'une intuition.
Par conséquent, ce n'est pas seulement la vie qui nous masque la vraie réalité, c'est aussi le langage, puisque celui-ci est un des moyenspar lesquels nous manquons la réalité.
Donc le langage ne fait querenforcer quelque chose d'inscrit dans les besoins de la vie, et qui nouséloigne de la réalité.
Le langage est un instrument de l'intelligence, mais iltrahit à la fois la réalité et la pensée.
On comprend mieux dans ces conditions que Bergson définisse le mot comme un « voile ».
Le mot jette sur la chose un obstacle qui ne la laisse qu'à demi visible.
On ne peut plus que deviner la chose à traversle mot : la métaphore du masquage ajoute ici l'idée d'une dissimulation volontaire.
Le langage renforce doncbien le système d'habitude des besoins.
En quoi maintenant le mot obscurcit-il la chose ? Le langage n'estcapable de désigner que ce qui est utile à l'action, donc d'une chose il ne dit que des généralités : il nerenvoie qu'au genre de la chose.
Le mot oublie les différences, il ne permet que la fixation des généralités :c'est la raison pour laquelle Bergson défend la théorie du mot-étiquette.
Le mot renvoie à une classe d'objets, mais parmi cette classe, il manque la différence spécifique de tel objet de cette classe : le langage adonc tendance à égaliser les contours de toutes choses dans une même classe, manquant par là la mobilitéqui est la marque de la vraie réalité, et qui plus est nous habituant à ne plus la penser.
En conséquence, lapensée et le langage deviennent hétérogènes et même ennemis : « la pensée demeure incommensurable avec le langage » : il n'y a plus entre eux de commune mesure.
Le mot a de ce fait trop souvent tendance à n'être que ce que Bergson appelle un « concept rigide », incapable de saisir la souplesse de la réalité.
Les pires théories du scientisme sont donc à mettre au débit dulangage, en tant que celui-ci se fait le véhicule des conceptions les plus figeantes : le temps homogène estune véritable idole du langage.
Le scientisme peut être compris comme un verbalisme.
Le langage, donc n'estgénérateur que d'idées générales, dont il faut aussi peu attendre qu'il nous montre la vraie réalité qu'il ne fautattendre de billets de banque qu'ils renvoient à un objet stable et défini.
Le langage apparaît ici comme uneconvention aussi raide dans son essence qu'elle est fragile dans son existence.
Les mots et les choses forment un toutFrançois Dagognet, dans Mémoire pour l'avenir, soutient la thèse selon laquelle l'origine des mots est àchercher dans l'apparence des choses.
Prenant pour exemple l'origine du mot «aspirine», il montre que le nomde ce médicament renvoie à la forme des fleurs de la reine des près.
Cette rosacée, «spirée», dont on a tirél'acide acétylsalicylique (autrement dit l'aspirine) porte en effet des fleurs enroulées.
Le langage exprime l'être des chosesPour Merleau-Ponty, le langage est l'exact reflet de l'être.
Selon lui, «les procédés d'expérience codifiés dansnotre langue suivent les articulations mêmes de l'être» (La Prose du monde).
[Le langage est incapable de rendre compte de la réalitételle qu'elle est.
C'est une illusion de croire que les motsont le même degré de réalité que les choses.
Ils ne sont que de pures conventions.]
Le mot «chien» ne mord pasAntisthène, ironiquement, faisait remarquer à Platon qu'il voyait bien un cheval, mais qu'il ne voyait pas de«chevalinité».
La réalité se donne à moi, non à travers le langage, mais bien à travers mes sens.
Ainsi, le mot«chien» n'est qu'une idée qui ne correspond à aucun chien en particulier..
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