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Le langage parvient-il à tout exprimer ?

Publié le 22/02/2012

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L'inexprimable for intérieur. C'est donc l'ensemble de nos émotions, de nos sentiments qui échapperaient à l'expression. Certes, les passions se manifestent par des symptômes extérieurs, elles s'expriment donc d'une certaine façon. Mais ces signes révèlent la présence des sentiments et non réellement leur essence ou leur contenu exact, qui demeureraient le secret de l'âme. Inexprimable ou confus ? Mais Hegel nous met en garde contre cette représentation : ce qui ne peut s'exprimer, dit-il, n'est pas une réalité trop singulière ou subtile pour être manifestée au dehors, mais un ensemble confus, évanescent. Doué de conscience, l'homme doit pouvoir tout exprimer - du moins tout ce qu'il a pris la peine d'humaniser, de hisser des méandres de son psychisme jusqu'à la conscience. Il n'est donc guère étonnant que ce soit à l'occasion d'une critique de l'ineffable que Hegel ait écrit : « C'est dans les mots que nous pensons ». Dire que nous pensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'est définir le mot comme l'unité de la pensée. Loin d'être deux mondes radicalement extérieurs, « incommensurables » comme le disait Bergson, le langage et la pensée apparaissent ici comme absolument consubstantiels. ?
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« Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspirationqui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner cette manière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable &travaillable, réalité que les mots que nous écrivons lui donnent. Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce que Hegel appelait le « négatif » : pour devenir ce qu'elle est, la pensée doit en passer par ce qui n'est pas elle : le langage.

Dans cette épreuve parlaquelle elle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faire prendre lelangage pour un inconvénient.

Au premier rang de ces périls, celui qui apparemment menace ce que nous pourrionsappeler la subjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intériorité dans une formeobjective, d'en perdre irrémédiablement ce qui en elle nous appartient le plus ? Le mot peut, ainsi, être perçu commecommun et galvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos paroles comme il l'entend, que les « je t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus, que nos pensées dans nos paroles deviennent anonymes comme une rumeur sourde.

Puisque « tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » (La Bruyère ), le refus des mots ne serait-il pas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont ces appréhensions que la pensée hégélienne entend conjurer avec la dernière énergie. Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole. Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage, pourla pensée, du non-être à l'être prend donc évidemment, comme on l'a vu, un sens particulièrement aigu enlittérature et spécialement en poésie.

Si le passage par la parole marque la vraie naissance de la pensée, c'est qu'ilfaut concevoir le langage comme quelque chose de plus haut qu'un simple instrument.

Ce qui se conçoit bien nes'énonce clairement, pour paraphraser Boileau , que dans la mesure où l'énonciation claire est elle aussi à son tour la condition de la bonne conception. La fonction essentielle du langage, selon Hegel , est de tirer l'esprit du monde complexe et confus que lui présente la perception brute et de le faire accéder à un monde plus intellectuel, purifié, celui des mots:"L'intelligence se trouve comme remplie par l'objet qui lui est donné immédiatement et qui entraîne avec lui lacontingence, l'inanité et la fausseté qui sont le propre de l'existence extérieure" .

Mais, le rôle de l'intelligence est de "purifier le contenu de l'objet qui s'offre à elle d'une façon immédiate, en y effaçant tout ce qu'il a d'extérieur, d'accidentel et d'insignifiant" .

Or c'est le son articulé, le mot qui accomplit cette fonction, car d'un côté le mot est une forme externe mais il est aussi l'oeuvre de l'esprit: il est un signe et il est par là une forme interne. "Le son s'articulant suivant les diverses représentations déterminées, c'est-à-dire la parole et son système le langage,donne aux intuitions et aux représentations une seconde existence, plus haute que leur existence immédiate, en unmot, une existence qui a sa réalité dans la sphère de la représentation". Par exemple, "en entendant le mot lion, nous n'avons besoin ni de l'intuition, ni même de l'image de cet animal, le mot une fois compris est lareprésentation simple sans image.

C'est en mots que nous pensons", c'est-à-dire non en images. C'est pourquoi Hegel considère, en opposition à Leibniz , que le langage alphabétique est supérieur au langage hiéroglyphique, trop près des choses.

Celui-ci "désigne les représentations par des figures spatiales; mais l'écriture alphabétique exprime des sons qui sont en eux- mêmes déjà des signes.

Cette langue consiste donc en signes de signes; elle ramène les signes concrets de la langue des sons, les mots, à leurséléments simples, et exprime ces éléments" .

Et Hegel conclut: "Il suit de là qu'apprendre à lire et à écrire l'écriture alphabétique est un moyen d'éducation intellectuelle d'un prix infini, et qu'on ne saurait trop apprécier.

Car cela détourne l'esprit de l'existence sensible et concrète, etdirige son attention sur un domaine plus intellectuel, le mot parlé et ses éléments abstraits, et remplit par là une condition indispensable pourfonder et épurer la vie de l'esprit". Il semble qu'il n'y ait guère de texte qui ait affirmé avec cette force l'indissolubilité du langage et de lapensée et la fonction primordiale du langage dans son exercice, comme si Hegel ne s'opposait pas seulement à des vues mystiques traditionnelles mais prévoyait aussi des attaques du type de celle de Bergson et qu'il voulût y répondre par avance. « C'est dans le mot que nous pensons.

Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons de penséesdéterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notreintériorité [...].

C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sontintimement unis.

Par conséquent, vouloir penser sans les mots est une tentative insensée.

On croit ordinairement,il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable.

Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ;car en réalité, l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire quelorsqu'elle trouve le mot.

Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et plus vraie.

» Hegel, in « Philosophie de l'esprit ». Hegel engage sa réflexion sur la possibilité de la synthèse entre l'aspect subjectif et l'aspect objectif de la conscience.

Le langage est un moyen terme entre ces deux aspects, ce par quoi la conscience obtient l'existence. Le langage permet à l'homme de concevoir la nature.

Et on ne peut la concevoir sans lui, quel que soit l'envie qu'onen a.

De même, il n'est pas possible d'exprimer la conscience autrement que par le recours au langage, quelle quesoit la prétention de l'ineffable.. »

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