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Le langage nous éloigne-t-il des choses ?

Publié le 31/10/2005

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Mais définir, expliquer, c'est encore parler, user du langage. Si chaque mot avait un sens préalablement fixé, on ne pourrait dépasser l'imprécision. L'interlocuteur ne mettant pas les mêmes mots sous les mêmes choses, il ne saisirait rien de ce que je dirais. Chaque mot ajouté loin de préciser ne ferait qu'engager une confusion nouvelle. Certes, le contexte linguistique et extralinguistique permettrait d'affiner une meilleure approche de la réalité. Cette précision contextuée ne fait que retarder la déficience du langage dans sa saisie du réel. En effet, par définition, le langage est nécessairement général. Quand je dis 'arbre', je désigne l'arbre en général, et non ce chêne singulier que je vois, ce bouleau particulier qui se tient devant mes yeux. On ne peut donc que s'éloigner des choses individuelles en laissant de côté ce qui en fait l'originalité. Et même si on essaie de spécifier cette particularité, par une description plus minutieuse, nous sommes encore et toujours contraints à employer des termes généraux.
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« incriminer la nature du langage, notamment dans le domaine métaphysique : ‘ Nous ne voyons pas les choses enelles-mêmes, nous nous bornons le plus souvent à coller des étiquettes sur elles [...

] Car les mots désignent tousdes genres.

' (Le Rire) Le langage masquerait la vraie nature des choses qui est toujours concrète et singulière. Seule l'intuition permet d'atteindre l'absolu en coïncidant avec ce que l'objet a d'unique et d'inexprimable.

La critiquede Nietzsche est, à l'endroit de l'impuissance du langage à transcrire la réalité, plus provocatrice.

En effet, lelangage n'est-il pas la source de l'illusion à vouloir atteindre la réalité ? L'homme croit aux idées et aux noms deschoses comme à des vérités éternelles.

‘ Il pensait réellement, écrit-il dans Humain, trop humain , avoir dans le langage la connaissance du monde.

' Or loin de connaître la réalité du monde, il n'a fait que donner aux choses desdésignations en se figurant exprimer par les mots la science la plus élevée des choses.

Le langage ne parle qu'aulangage.

Au commencement n'est pas le V(v)erbe, mais la pure sensation.

Somme toute, d'où vient l'étrangeéloignement, la distance entre l'unité du nom et la multiplicité des objets qu'il désigne ? Car, comme le remarqueLeibniz, la réalité ne connaît que des ‘indiscernables', quelle est la logique par laquelle l'homme en vient à discernerles identités repérables ? Tout mot est un concept qui doit servir non l'expérience originale, première, mais quidésigne des généralités, des expériences innombrables, c'est-à-dire jamais identiques.

‘ Tout concept, déclareraNietzsche, n'est que l'identification du non-identique'.

Aucune feuille ne ressemble à une autre feuille alors que leconcept de ‘feuille' supprime toutes différences individuelles.

Nietzsche procède à une généalogie du motfonctionnant comme concept, comme catégorie générale, plus petit dénominateur entre les objets sensibles toussinguliers et donc tous différents.

Le mot devenu concept n'est donc plus mémoire révélatrice de la perception, maissimple instrument de médiation, de réduction de la différence sensible.

Le mot est alors appauvrissement de laréalité, élagage de l'expérience chatoyante, chaude et colorée du monde auquel il substitue une réalité verbaleartificielle, une illusion.

Bref, le mot assassine la réalité.

Le langage, expression vocale des choses, a une vocationspontanée à la dérive conceptuelle.

Le mot évocateur d'une sensation inouïe devient instrumental, moyen termeentre l'expérience concrète et la conception distanciée du réel. Faut-il alors exalter cette pensée inverbale ou balbutiante ? La pensée informulée n'est-elle pas une pensée confuse ? Si le langage nous détourne de la réalité, ne sommes-nous pas condamner à la mutité ? À nous tenir dansun silence angoissant dans l'impossibilité de dire les choses ? Peut-on penser les choses sans les mots ? L'ineffable,c'est l'irrationnel.

Peut-on réellement soutenir que le raisonnement n'est qu'un assemblage de mots conventionnelssans porter sur la nature des choses, mais uniquement sur leurs noms ? Loin d'exprimer l'essence du réel, les motsne désigneraient-ils que des relations des choses de manière purement métaphorique ? N'est-ce pas là promouvoirune pensée qui nous éloignerait radicalement des choses au point de taire le monde ? Cette critique du langage semble manquer ce qu'il faut vraiment entendre par langage.

Pour nos deux auteurs, le langage n'est qu'une nomenclature, un simple lexique de mots généraux.

Et cette conception du langagerepose sur l'idée relativement naïve que la réalité tout entière s'ordonnerait, antérieurement à la vision qu'en ont leshommes, en catégories d'objets strictement distinctes, chaque mot répondant à une chose.

Or le langage n'est pasun ensemble de mots, il est essentiellement un système de signes linguistiques.

Ainsi il apparaît que la critiquebergsonienne et nietzschéenne est fondée sur une méconnaissance de ce que parler veut dire.

Lorsque Bergsonécrit dans L'évolution créatrice : ‘ La condition générale du signe [...] est de noter, sous une forme arrêtée, un aspect fixe de la réalité ', il n'envisage que la relation du signe à la chose, le désigné, sans tenir compte du signifiépuisqu'il ne conçoit le signe que dans un rapport au référent, c'est-à-dire à l'élément de la réalité.

Comme pourNietzsche, le langage n'est perçu que comme tendance sélective et classificatoire du regard.

C'est pourquoi ilscroient que le langage spatialise, découpe ce qui est mouvement vital, qualitatif, aussi bien en nous qu'en dehors denous.

Mais le langage n'est pas uniquement subordonné à une simplification pratique, il dépasse la seule sphère desbesoins pour révéler la réalité.

Car le langage n'est pas uniquement maîtrise de la réalité, il est essentiellementparole poétique qui dit poétiquement le monde.

Le mot ne note pas seulement la chose dans sa fonction la plusbanale.

Le langage n'est pas voilement de la réalité mais dévoilement de ce qui est.

‘ De quelle façon les mots se relient–ils à la réalité ? ' demande Searle, dans Les Actes du langage , en renouvelant la philosophie du langage.

Comment comprendre que lorsque je dis ‘ Durand est rentré ', j'ai l'intention de signifierque Durand est rentré, et non pas, disons, que Lenoir s'est saoulé ? Comment dès lors le langage peut-il s'éleververs la conceptualisation de la réalité sans perdre la concrétude des choses ? Le langage permet la saisieintellectuelle du donné sensible, à savoir la visée intellectuelle de la réalité empirique immédiatement perçue par lessens.

La réalité telle qu'elle nous est livrée est, en effet, très confuse.

Elle se donne comme une totalitéindifférenciée de formes, de qualités sensibles qui ne sont pas en elle-même très distinctes.

Par exemple, un sujetqui méconnaît les noms des couleurs à une perception plus floue que celui qui peut les identifier verbalement.

Lalangue française découpe la gradation continue de couleur que déploie l'arc-en-ciel ou le spectre d'un prisme en unesérie de catégories discrètes : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo.

En revanche, les habitants du Libéria,parlant le bassa, divisent le spectre en deux catégorie qui correspondent à ce que nous appelons les couleurschaudes et froides.

Ce qui montre que nous voyons les choses à travers le prisme du langage.

C'est pourquoi dansla perspective hégélienne, le langage nous élève à l'universel en supprimant l'immédiat empirique.

Mais, lorsque Hegeldans la Phénoménologie de l'esprit , soutient la suppression de l'être sensible au profit de l'être idéal, il ne veut pas dire l'éloignement radical de la particularité de la réalité.

Le concept de Aufhebung , la dialectique, dit à la fois suppression et conservation.

Le mot prend la relève de la chose.

Dans le mot, il y a pour Hegel non éloignement dela chose, mais dépassement de la réalité donnée.

Lorsque je dis ‘ceci est une chaise', j'accomplis un double geste :je désigne une réalité en gardant quelque chose de cette chaise tout en supprimant ses caractéristiquesparticulières irréductibles.

Par là, le mot conserve sa fonction : ce qui est pensé dans le mot ‘chaise', c'est cettefonction.

Il y a donc à la fois suppression et dépassement de ce qu'il y a d'unique dans cette chaise.

Le mot nenous éloigne donc de la réalité spontanée que pour nous donner un moyen de concevoir cette réalité, en nousplaçant au niveau de l'universel et non plus du singulier.

Tout en visant le singulier je dis l'universel.

Le motprononce donc l'universel de la chose.

Pour penser la chose, encore convient-il de nous délivrer de la fascination del'immédiat en soumettant la parole à la dure discipline d'une rationalité éclairée.. »

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