Le langage des formes
Publié le 25/01/2020
Extrait du document

Le plaisir n’est plus ici qu’un retour à une mythique* « vérité de l’enfance », comme si la vérité que doit révéler une œuvre d’art était, au même titre que son contenu, liée aux circonstances historiques de son apparition.
Faudra-t-il, pour refuser cette conception, prendre en considération les « vérités éternelles » de l’art ? Nullement. En insistant sur la différence existant entre le contenu et le sens de l’œuvre d’art, nous voulons juste indiquer qu’elle impose une réflexion sur la notion de signification.
LA LECTURE DE L’ART
Récapitulons les principaux points de l’analyse : parlant des rapports entre l’artiste et le monde, nous avons dit qu’il ne le montre pas, mais l’exprime (nous avons alors parlé d’une « maîtrise symbolique ») ; étudiant les rapports entre l’art et le moi, nous avons vu qu’ils n’offrent pas une « analyse » au sens technique du terme, mais une organisation de la conscience dans une forme spécifique ; nous pouvons donc affirmer que l’art fonctionne comme un langage en ce sens qu’il n’est pas le simple décalque d’une réalité qui lui préexisterait, mais qu’il opère une analyse du réel, analyse qui le transforme en objets pour la conscience.
Quant à savoir s’il est exactement un langage, cela exigerait peut-être des études complexes pour en dégager les signes et la syntaxe. Contentons-nous, sur ce point, de rapporter la conclusion des recherches de A. Leroi-Gourhan sur les origines* de l’art.
Le comportement figuratif est indissociable du langage, il relève de la même aptitude de l’homme à réfléchir la réalité dans des symboles verbaux, gestuels ou matérialisés par des figures. Si le langage est lié à l’apparition de l’outil manuel, la figuration ne peut être séparée de la source commune à partir de laquelle l’homme fabrique et figure.
PLAISIR ET CONNAISSANCE
On peut citer deux exemples éminents d’une telle méconnaissance du plaisir que procure la contemplation artistique. Le premier est de Freud :
La satisfaction procède d’illusions qu’on reconnaît comme telles sans pourtant se laisser troubler par leur éloignement de la réalité. Le domaine d’où ces illusions proviennent est celui de l’imagination ; jadis, à mesure que se développait le sens du réel, la vie imaginative s’était expressément soustraite à l’épreuve de la réalité et chargée de l’exaucement des souhaits difficiles à réaliser. Au sommet de ces joies imaginatives trône la jouissance procurée par les œuvres d’art, jouissance que celles-ci rendent également accessible, par l’intermédiaire de l’artiste, à celui qui n’est pas lui-même créateur. Tout être sensible à l’influence de l’art n’estimera jamais assez haut le prix de cette source de plaisir et de consolation ici-bas. Mais hélas, la légère narcose où l’art nous plonge est fugitive ; simple retraite devant les dures nécessités de la vie, elle n’est point assez profonde pour nous faire oublier notre misère réelle.
S. Freud, Malaise dans la civilisation, éd. cit., p. 26.

«
Ramener la joie que procure l'art à une «narcose», et
souligner son aspect passager, c'est oublier que l'œuvre d'art
n'existe pleinement comme telle que par un jugement* qui lui
attribue une qualité.
Après avoir défini le jugement de goût
dans des termes déjà rappelés, Kant souligne son carac
tère «intellectuel*» en l'opposant précisément au «jugement
d'agrément» : «L'agréable est.
ce qui plaît au sens dans la
sensation 1 »; alors qu'il faut dire «cet objet m'est agréable»,
on ne dit pas : «il est beau pour moi », mais «la chose est
belle», en exigeant par là un accord universel2.
Le plaisir que
procure l'art n'est donc pas une simple satisfaction illusoire
de tendances psychologiques.
Mais les matières dont traite l'art, son contenu explicite,
sont trop liés au contexte historique de leur apparition pour
donner une leçon capable de traverser l'histoire*.
D'où
l'incompréhension qu'avoue Marx :
Achille est-il possible à l'âge de la poudre et du plomb? Ou
l'Iliade, en général, avec l'imprimerie, avec la machine à imprimer?
Les chants, les légendes, les Muses, ne disparaissent-elles pas
nécessairement devant le barreau de l'imprimeur? et les conditions
nécessaires pour la poésie épique ne s'évanouissent-elles pas?
Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée
sont liés à certaines formes du développement social.
La difficulté,
la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique, et à
certains égards, ils servent de norme, ils nous sont un modèle
inaccessible.
Un homme ne peut redevenir enfant, sans être puéril.
Mais ne se
réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant, et ne doit-il pas lui-même
s'efforcer, à un niveau plus élevé, de reproduire sa vérité? Est-ce
que, dans la nature enfantine, ne revit pas le caractère de chaque
époque, dans sa vérité naturelle? Pourquoi l'enfance historique de
l'humanité, au plus beau de son épanouissement, n'exercerait-elle
pas l'attrait éternel du moment qui ne reviendra plus?
Karl Marx, Critique de l'économie politique, Introduction, dans Œuvres choisies (Henri Lefèvre, Norbert Guterman), Gallimard, collection Idées, vol.
!, pp.
366-367.
1.
E.
Kant, Esthétique, éd.
cit., p.
4.
2.
E.
Kant, Esthétique, éd.
cit., p.
11.
75.
»
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