Le génie n'est-il qu'une longue patience ?
Publié le 20/02/2004
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Ainsi, Platon oppose la « theôria », connaissance purement contemplative, au savoir-faire lié à la productionmatérielle (« technè »).
Cette dernière concerne la production et se définit comme création:« Ce qui, pour quoi que ce soit, est cause de son passage de la non-existence à l'existence, est, dans tous les cas,une création; en sorte que toutes les opérations qui sont du domaine des arts sont des créations, et que sontcréateurs tous les ouvriers de ces opérations.» (« LE Banquet »).C'est pourquoi, pour Platon, les artisans sont tous poètes.
En effet, «poésie» signifie étymologiquement «faire», cequi consiste essentiellement à faire être ce qui n'était pas, c'est-à-dire à créer.Si la technique (ou l'art) est création, elle porte sur le contingent, c'est-à-dire sur ce qui peut aussi bien être quen'être pas.
C'est en cela que la technique (ou l'art) s'oppose à la science.
Cette dernière porte, en effet, sur desessences idéales, c'est-à-dire éternelles et immuables.
On comprend, dès lors, que Platon, reconnaissant la fonctionsociale de la technique, ne lui accorde aucune valeur humaine.
Insensible à la beauté de l'Acropole, il ne semble voirde la beauté que dans la nature (les beaux corps des jeunes garçons), dans la morale (les belles actions), dans lessciences (mathématiques et philosophie).C'est à partir du XVIIIE siècle que l'art se distingue aussi bien de l'artisanat que de la technique et acquiert ainsi unstatut spécifique.
D'où l'apparition de l'esthétique comme théorie des beaux-arts.
Et, dans la Critique de la facultéde juger (1791), Kant, même s'il ne prétend pas faire une théorie des objets beaux (car, selon lui, le beau n'est pasune qualité des objets : il n'y a pas de règle du beau ni donc de science du beau), affirme qu'il n'existe pas de bellessciences, mais seulement des beaux-arts.
Il accorde même, d'une ..
certaine manière, une supériorité à l'art sur lessciences et la technique, puisqu'il considère qu'il n'y a de génie que dans les Beaux-Arts : «Les Beaux-Arts sont lesarts du génie.
»Dans la civilisation artisanale, l'artiste, qu'il bâtisse et orne les lieux du culte ou qu'il décore les palais, était auservice de la religion ou des princes.
Le développement de l'industrie permet à l'art de s'émanciper.
Désormaisindépendant, l'artiste découvre qu'il ne tient pas son pouvoir de créer de Dieu, mais que celui-ci lui appartient enpropre.
C'est ce pouvoir de créer qui, d'une certaine manière, rend l'artiste égal à Dieu, qu'on appelle le génie.Application de la science, la technique repose sur une méthode scientifique précise dont toutes les démarches sonttransmissibles, renouvelables.
Même les techniques les plus complexes peuvent être décomposées, analysées dansleurs moindres détails, et réduites à des gestes simples.
Il suffit généralement de savoir ce qu'il faut faire pourréussir.
Quant à l'artisanat, il ne requiert aucune faculté d'invention ou génie particulier.
Seul l'art, qui repose sur lafantaisie créatrice de l'artiste, demande autre chose que « l'aptitude à savoir faire ce qui peut être appris d'aprèsune règle quelconque ».
Les Beaux-Arts doivent donc nécessairement « être considérés comme des arts du génie ».Que faut-il entendre par génie sinon « un talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règledéterminée » ? Certes, l'art, comme toute production, exige des règles, mais celles-ci ne préexistent pas à l'œuvre.Aussi le génie peut-il être défini plus précisément comme le talent naturel de « donner des règles à l'art ».
Il n'obéitdonc qu'aux règles qu'il se donne à lui-même.
Et puisque « le talent comme faculté productrice innée de l'artiste,appartient lui-même à la nature, on pourrait également s'exprimer ainsi: le génie est la disposition innée de l'esprit(ingenium) grâce à laquelle la nature donne des règles à l'art ».Sans doute doit-on trouver dans les produits de l'art « toute la ponctualité voulue dans l'accord avec les règles,d'après lesquelles seul le produit peut être ce qu'il doit être »; mais cela ne doit cependant pas être pénible« Il ne faut pas que le produit laisse transparaître la forme de l'école, c'est-à-dire qu'il porte trace apparente quel'artiste a eu la règle sous les yeux et que celle-ci a imposé des chaînes aux facultés de son esprit.
»
Le génie doit donner l'impression de produire avec la même facilité et spontanéité que la nature.
Cependant l'art,contrairement à la nature, a toujours « l'intention de produire quelque chose ».
Mais si la finalité est intentionnelledans les produits des Beaux-Arts, elle ne doit pas le paraître, c'est-à-dire que « l'art doit avoir l'apparence dé lanature, bien que l'on ait conscience qu'il s'agit d'art ».Le naturel dans l'art est donc le génie produisant comme la nature, sans règle préétablie.
Il s'ensuit que la premièrequalité du génie doit être l'originalité.
Comme l'absurde ou l'insensé peut aussi passer pour de l'originalité, il faut queles produits du génie « soient en même temps des modèles, c'est-à-dire qu'ils soient exemplaires ».
Le génie estdonc aussi originaire.
Autrement dit, il doit être à l'origine d'une école à laquelle il transmet les diverses règles et lesprocédés de son art.Ainsi, le génie se distingue aussi bien de la simple imitation scolaire (l'élève qui reprend le procédé d'un maître pourlui-même, indépendamment de ce qu'il exprimait dans l'œuvre et sans lui donner une nouvelle signification) que dumaniérisme, cette «forme de singerie qui consiste à n'être personnel (singularité) que pour tâcher de s'éloigner leplus possible des imitateurs, sans posséder le talent d'être en même temps un modèle ».Tout artiste, au fond, commence par le pastiche, et s'éveille à son propre génie au contact des œuvres de sesprédécesseurs.
De l'imitation scolaire se distingue « la filiation qui se rattache à un prédécesseur sans l'imiter ».Auquel cas on parle d'inspiration car « les Idées de l'artiste éveillent chez son disciple des Idées semblables, lorsquela nature a doté ce dernier d'une proportion semblable des facultés de l'esprit ».Il n'existe, sans doute, pas de meilleur exemple filiation que celui invoqué par Malraux dans Les Voix silence : latransformation des tableaux rouge et noir Caravage en l'œuvre nocturne de Georges de La Tour.
dernier prend auCaravage ses joueurs, son musicien, s miroir, sa Madeleine, son saint François, son Couronnement d'épines quideviendra le Christ de Pitié, son sain mais aussi et surtout sa relation d'un fond sombre étoffes rouges, et parfoisjusqu'à son rouge; il en éclairage semblable au sien.
Et, pourtant, il abouti presque opposé.
Tandis que, chez leCaravage, sombres sont là pour la lumière, la lumière pour ce qu'e éclaire, ce qui est éclairé pour devenir plus réelque ri pour prendre plus de relief, de caractère ou de drame, contraire, chez La Tour, la nuit règne sans partage etpré la forme séculaire du mystère pacifié.
Le monde devient semblable à la vaste nuit sur les armées endormies dejour, sous la lanterne des rondes, surgissaient, pas formes immobiles.Dire que « les Beaux-Arts sont les arts du génie » signifie donc que l'art exige un talent complètemtaire à l'espritd'imitation et qui ne peut être ramené à un savoir transmissible par enseignement.
La façon dont l'artiste réalise son.
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