Le génie de l'artiste et le talent du technicien ?
Publié le 13/02/2004
Extrait du document
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Kant définit les beaux-arts comme les arts du génie, et le génie comme « ladisposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne ses règles à l'art ».
Ilse caractérise par :1) l'originalité : « le génie est le talent de produire ce dont on ne sauraitdonner de règle déterminée, ce n'est pas l'aptitude à ce qui peut être apprisd'après une règle quelconque » ;2) l'exemplarité : « ses productions doivent en même temps être des modèles» et pouvoir « être proposées à l'imitation des autres » ;3) l'incapacité à « indiquer scientifiquement comment il réalise son oeuvre ».Et cependant « il donne, en tant que nature, la règle.
Donc l'auteur d'uneoeuvre qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où lui viennent les idéeset il ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni deles communiquer à d'autres dans des prescriptions qui les mettraient à mêmede produire de semblables ouvrages ».
Le travail de l'artiste et l'inspiration de l'artisan
Il faut cependant nuancer ces oppositions.
S'il est vrai que l'art n'estl'application mécanique ni d'un savoir scientifique ni d'une technique, ilsuppose cependant le recours à des procédés et des règles et se fonde surun «savoir-faire» et sur l'acquisition patiente d'une maîtrise technique.
Il fauten général des années de travail pour devenir capable de création artistique. La notion de génie ne doit pas nourrir l'illusion d'un jaillissement sans préparation.
Il faut par exemple ignorer leslongues répétitions d'un musicien pour s'imaginer que son art est un pur don ou le fruit d'une improvisation totale.
S'ilest vrai que l'art n'est pas réductible à la maîtrise d'une technique, cette maîtrise est absolument nécessaire et doitmême être suffisamment accomplie pour se faire oublier.
Ainsi se produit une illusion d'exécution «naturelle».
Demême, l'existence d'écoles ou de courants montre que, même si un style n'est pas vraiment codifiable, il n'est pasnon plus absolument intransmissible.Inversement, on ne peut pas réduire toute activité technique à une exécution aveugle et mécanique.
Comme lesouligne Alain, il y a de l'improvisation, de l'initiative et du tour de main dans le travail de tout artisan.
Il y a parexemple de l'artiste dans le cuisinier qui ne se contente pas d'exécuter en aveugle des instructions écrites enmatière de dosage ou de minutage.
Ici aussi, la connaissance de la règle est nécessaire, mais ne suffit pas.
L'autodénonciation de l'art et la remise en cause de la tradition esthétique
Ces nuances sont rendues encore plus nécessaires depuis l'avènement de «l'art moderne» ou «contemporain».
L'art,par sa nature même, est le plus souvent «rebelle».
Et c'est de fait par là qu'il devient novateur et que, secouantnos habitudes, il ouvre nos yeux sur des réalités ignorées ou inconscientes.
Mais l'art peut appliquer à lui-même cetesprit rebelle et remettre en question ou – ce qui revient parfois au même – caricaturer les pratiques dans lesquellesil a fait préalablement ses preuves.
Le maniérisme, par exemple, fut une mise en scène ironique qui hypertrophiait lestechniques de la Renaissance afin d'échapper à une nouvelle forme de classicisme et de retrouver des formes d'ex-pression propres.
Plus proche de nous, l'art contemporain pratique souvent de la façon la plus radicale unecontestation des traditions antérieures: mise en avant du matériau de l'oeuvre aux dépens de la «spiritualité»autrefois revendiquée; mise en oeuvre systématique de principes mathématiques ou géométriques et répétitifs pourcontester l'idée même de génie; geste provocateur par lequel l'artiste décide arbitrairement de promouvoir un objetusuel comme lorsque Marcel Duchamp, promoteur du «ready-made», décide d'exposer un urinoir en faïence;performances éphémères et créations d'oeuvres vouées à une rapide disparition – innombrables sont les exemplesd'innovations par lesquelles les artistes s'ingénient à réinventer inlassablement l'art et à le faire échapper par làmême aux définitions et classifications proposées par les discours esthétiques ou les rationalisations historiques aposteriori.Enfin, la technique elle-même a contribué à transformer le statut de l'oeuvre d'art, en particulier grâce aux moyensde reproduction qu'elle nous fournit aujourd'hui.
On songera tout particulièrement aux sérigraphies de Warhol.
Forceest de reconnaître que les oeuvres ont ainsi perdu leur aura, c'est-à-dire ce caractère mystérieux et sacré qui étaitsans doute l'héritage d'une certaine tradition, mais qui tirait également son origine de leur unicité.
Un disque, unephotographie, un film ne sont guère comparables au plafond de la chapelle Sixtine.
Mais la «désublimation» desoeuvres d'art, l'extrême ouverture dont nous faisons preuve aujourd'hui à l'égard de toutes les formes d'activitéscréatrices n'éludent pas, bien au contraire, la question traditionnelle de l'esthétique: «Qu'est-ce que le beau?».
Lescritère de la beauté définit par Kant peuvent nous aider à éclairer ce problème et à enrichir notre question:
Au début de la « Critique du jugement » Kant propose quatre définitions du beau qui définissent le plaisir éprouvé et partent donc du sujet et non de l'objet.
· Première définition : « Est beau l'objet d'une satisfaction désintéressée ».
La satisfaction est désintéressée, ce qui signifie que nous ne pouvons l'éprouver que si nous sommes dans uncertain état d'esprit par rapport à l'objet.
Kant ne veut pas dire que la beauté ne nous intéresse pas, que nous sommes indifférents mais que le plaisir esthétique naît lorsque nous n'avons pas le souci de l'utilité (celui qui va enmer dans le seul but de pêcher, qui porte sur elle un regard de technicien, n'éprouvera pas de plaisir esthétique), del'agréable ( celui qui porte un regard lubrique sur un Nu, éprouve une satisfaction charnelle qui est d'un autre ordre.
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