Le fait de tenir quelqu'un pour responsable prouve-t-il qu'il est libre ?
Publié le 08/02/2004
Extrait du document
«
Le lien de fondation entre la liberté et la responsabilité ne semble plus faire question.
Mais quelles motivations président à la recherche,parfois fanatique, des responsabilités ? Ne doit-on pas se méfier d'une certaine conscience morale bien pensante qui, sous couvert deconsidérer des êtres libres, chercherait plutôt des coupables à punir ?
[II.
La véritable liberté n'a pas à rendre de comptes]
[1.
Responsabiliser pour punir]Lorsque l'on recherche quel est le responsable d'une action, c'est en général pour lui demander des comptes et rarement pour le féliciter.On met la personne responsable devant le fait accompli et on lui fait savoir qu'elle aurait pu et même dû agir autrement.
Ainsi, «partoutoù l'on cherche des responsabilités, c'est généralement l'instinct de punir et de juger qui est à l'oeuvre » (Nietzsche, Le Crépuscule desidoles).
Les hommes sont considérés comme libres « pour pouvoir être coupables », pour pouvoir « être jugés et punis » et « parconséquent, toute action devrait être considérée comme voulue, l'origine de toute action comme se trouvant dans la conscience ».
Mais quia intérêt à tisser ce lien entre liberté et responsabilité, puis culpabilité ?
[2.
Généalogie de la responsabilisation]Nietzsche donne l'exemple des prêtres, qui auraient « inventé» la responsabilité.
L'Église a forgé les catégories de bien et de mal, elle aérigé en valeurs absolues des idéaux ascétiques (pauvreté, chasteté, etc.) qui n'appartenaient qu'à elle et n'avaient aucune valeurabsolue.
Et elle a décrété que les hommes « bons » se conformeraient à ces idéaux, tandis que les mauvais, les pécheurs, seraientchâtiés.
Le fait de tenir les hommes pour responsables ne prouve donc absolument pas qu'ils sont libres.
Cela prouve seulement qu'ilspeuvent se conformer à un idéal pré-établi et dicté de l'extérieur.
« Dans le christianisme, ni la morale, ni la religion ne sont en contact avec la réalité.
Rien que descauses imaginaires (« Dieu », « l'âme », « moi », « esprit », « libre arbitre » - ou même l'arbitre quin ‘est « pas libre ») ; rien que des effets imaginaires (« le péché », « le salut », « la grâce »,« l'expiation », « le pardon des péchés »).
Une relation entre des êtres imaginaires (« Dieu »,« esprits », « âmes ») ; une imaginaire science naturelle (anthropocentrique ; une absence totale dela notion de cause naturelle) ; une psychologie imaginaire (une complète incompréhension de soi-même, des interprétations de sentiments généraux agréables ou désagréables, tels que les états dugrand sympathique [1], à l'aide du langage figuré des idiosyncrasies religieuses et morales –« le repentir », « la voix de la conscience », « la tentation du diable », « la présence de Dieu ») ; unetéléologie imaginaire (« le royaume de Dieu », « le Jugement dernier », « la vie éternelle »).
–Ce purmonde de fiction se distingue très à son désavantage du monde des rêves, puisque celui-ci reflète laréalité, tandis que l'autre ne fait que la fausser, la déprécier et la nier.
Après que le concept« nature » fut inventé, en tant qu'opposition au concept « Dieu », « naturel » devint l'équivalent de« méprisable »- tout ce monde de fictions a sa racine dans la haine contre le naturel (-la réalité !-),elle est l'expression du profond déplaisir que cause la réalité...
Mais ceci explique tout.
Qui donc estseul à avoir des raisons pour sortir de la réalité par un mensonge ? Celui qu'elle fait souffrir.
Maissouffrir de la réalité, dans ce cas-là, signifie être soi-même une réalité manquée...
La prépondérancedes sentiments de peine sur les sentiments de plaisir est la cause de cette religion, de cette moralefictives : un tel excès donne la formule pour la décadence...
»
Dans un ouvrage dot le titre est déjà une déclaration de guerre : « L'Antéchrist », Nietzsche écrit : « Dans le christianisme, ni la morale ni la religion n'ont quelque point de contact que ce soit avec la réalité [...] Ce monde de pure fiction se distingue du monde desrêves par un trait qui est fort à son désavantage, c'est que ce dernier reflète la réalité, tandis que l'autre ne fait que la fausser, ladévaluer, la nier. »
Le christianisme est le dernier symptôme de la décadence, contre lequel il faut opérer un renversement des valeurs.
« L'Antéchrist » est l'un des derniers ouvrages écrits par un Nietzsche lucide.
Il forme une attaque virulente contre la religion, et principalement le christianisme, dont saint Paul est, pour Nietzsche , le véritable fondateur.
Mais la religion chrétienne n'est que l'aboutissement extrême de l'idéalisme, du moralisme, qui se font jour dès « le cas Socrate ».
comprendre les attaques de Nietzsche , c'est comprendre ce qu'il entend par le renversement des valeurs et l'annonce du surhomme.
En un sens, Nietzsche reprend les critiques que Spinoza adressait aux religions : elles sont des erreurs intellectuelles dues en grande partie à une impuissance du croyant.
En particulier, elles ignorent la nature et la compréhension des phénomènes naturels.
Nietzsche affirme qu'il n'y a dans la religion chrétienne que des « causes imaginaires [...] des effets imaginaires [...] des êtres imaginaires [...] une science imaginaire de la nature [...] une psychologie imaginaire [...] une théologie imaginaire ».
Les principaux concepts théologiques (péché, remords, châtiment, tentation, etc.) sont passés au crible d'une critique impitoyable.
Leprincipe en est que la religion développe des « arrières-mondes », des mondes imaginaires grâce auxquels elle évalue la réalité, l'interprète.
Mais ce qu'il y a de nouveau chez Nietzsche , réside dans le fait qu'il comprend tout cela comme un signe de décadence et cherche quels sont les motifs de celui qui a besoin de croire.
« Une fois que l'on eut inventé le concept de « nature » pour l'opposer en tant que tel à celui de « Dieu », « naturel » ne put que devenirl'équivalent de « condamnable ».
Si la religion est pire que le rêve, qui est lui aussi une fiction, c'est que le rêve n'est qu'une déformation de la réalité, alors que la religionnie la nature.
Si l'on relit sait Paul et les « Epîtres aux Ephésiens », on voit à l'oeuvre cette opposition massive de la nature d'une part et de Dieu de l'autre.
Tout ce qui est bon au regard de la nature devient insignifiant aux yeux de Dieu passe pour fou aux yeux du monde.De ce point de vue précis, Nietzsche a parfaitement raison : le christianisme oppose en bloc Dieu et le monde, et affirme que Dieu frappe d'inanité tout ce qui est naturel.
Ainsi « naturel » devient synonyme de « condamnable ».
L'invention de la théologie chrétienne sert à dévaluer la vie, à la fausser, à la nier.
« Toute coutume naturelle, toute institution naturelle (Etat, organisation judiciaire, mariage, assistance aux malades et aux pauvres),toute exigence inspirée par l'inntinct de vie, bref tout ce qui a valeur en soi, est, par principe, rendu sans valeur, ou de valeur négative parle parasitisme du prêtre. »
Mais pourquoi condamner ce qui est naturel et se réfugier dans le mensonge de la fiction ?
« Ce monde de fiction a tout entier sa racine dans la haine de la nature, il est l'expression d'un profond malaise causé par la réalité [...]Le seul qui ait besoin de mentir pour s'évader de la réalité, qui est-il ? Celui qui en souffre.
Mais souffrir de la réalité signifie être soi-même une réalité manquée.
»
Le croyant est un décadent, un malade, une réalité manquée, quelqu'un qui souffre de la réalité, cad qui manque de force, d'instinctsvitaux, de puissance.
Cette régression physiologique engendre « la divinité de la décadence [...] le dieu des faibles.
Ils ne se nomment pas eux-mêmes les faibles, ils se nomment les « bons » ».
La religion est une défense contre la réalité dont on souffre, et qu'on dévalue et renie pour se réfugier dans un monde imaginaire où l'onpourra se qualifier de « bon », et une façon de dénigrer les forts, les puissants, en les faisant passer pour « mauvais », injustes, etc..
»
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