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Le doute est-il un échec de la raison ?

Publié le 29/10/2005

Extrait du document

L'affirmation sur un même objet diffère non seulement d'un individu à un autre mais chez le même individu selon les moments (le monde ne m'apparaît pas de la même façon quand je suis gai ou triste) et même selon les perspectives d'observation (une tour vue carrée de près paraît ronde de loin). Pour les sceptiques il n'y a pas de vérités objectives mais seulement des opinions subjectives toutes différentes.     Le sophiste Protagoras, écrit Diogène Laerce « fut le premier qui déclara que sur toute chose on pouvait faire deux discours exactement contraires, et il usa de cette méthode ». Selon Protagoras, « l'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont en tant qu'elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu'elles ne sont pas » Comment doit-on comprendre cette affirmation ? Non pas, semble-t-il, par référence à un sujet humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sens individuel du mot homme, « ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » (Aristote, « Métaphysique », k,6) ou encore que « telles m'apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent pour moi ; telles elles t'apparaissent à toi, telles pour toi elles existent » (Platon, « Théétète », 152,a). Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinions individuelles portant sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n'être pas » (Aristote). C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de non-contradiction., selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport ». Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné et donc non démontrable.

Le doute peut être considéré comme un défaut ou une imperfection, puisque, par exemple, celui qui sait quelque chose avec certitude ne doute pas ou ne doute plus. Pourtant, douter suppose une certaine intelligence, même sous la forme quotidienne et banale de l'hésitation: un être stupide ne doute guère, ou, comme on dit, ne doute de rien. Sur un autre plan, mais de !bon analogue, la réflexion philosophique, «fille de l'étonnement «, ne peut que souligner l'acte par lequel un être refait le mouvement inaugural de la philosophie, c'est-à-dire passe du mythe à la raison, ou, plus généralement, doute de la vérité des idées reçues et cherche à substituer, à une pensée dominée par l'irrationnel, une pensée que la raison éclaire et organise. Mais où s'arrête le doute philosophique ? Ne pourrait-il pas mettre en cause la valeur de la raison elle-même?

« même les vérités mathématiques (car il peut se faire qu'un « malin génie » tout-puissant s'amuse à me tromper dans toutes mes pensées). Mais ce doute cartésien s'oppose radicalement au doute sceptique.

D'abord le doute cartésien est provisoire (ilprend fin lorsque Descartes s'aperçoit qu'il peut douter de tout sauf du fait même qu'il pense et qu'il doute : et cette évidence invincible : je pense donc je suis est une première vérité d'où bien d'autre vont jaillir). C'est un doute volontaire, un doute « feint », dit Descartes dont la fonction est d'accoutumer « l'esprit à se détacher des sens » (« abducere mentem a sensibus ») et même de tout objet de pensée pour révéler en sa pureté l'acte même de penser.

Le doute cartésien a la valeur d'une pédagogie de l'ascèse qui vise à nous délivrerprovisoirement des pensées pour révéler que nous avions l'esprit que nous sommes.

Le doute cartésien estméthodique (le malin génie n'est lui-même qu'un « patin méthodologique » ( Gouhier ), c'est une technique mise au service de la recherche du vrai. Le doute cartésien est un doute optimiste et héroïque, un déblaiement préalable qui précède la construction del'édifice philosophique, une décision volontaire de faire table rase de toutes les connaissances antérieures pour bâtirune philosophie nouvelle. 2° Les arguments des sceptiques grecs. Tout au contraire, le scepticisme absolu des pyrrhoniens et de leurs disciples n'est pas un point de départ mais uneconclusion –la conclusion d'échec- au terme de l'aventure du savoir. Enésidème avait groupé les arguments sous dix titres ou « tropes que Sexus Empiricus réduisit à cinq.

Il faut connaître ces arguments qu'on retrouve chez Montaigne , chez Pascal et chez Anatole France . (a) La contradiction des opinions. Les sophistes grecs frappés par la contradiction des opinions des philosophes (par exemple : Héraclite disait que le réel n'est que changement, alors que Parménide niait le changement) aboutissent à la conclusion pessimiste que la vérité (qui devrait être universelle) est inaccessible.

Les sceptiques ont été parfois de grands voyageurs qui, à forced'avoir vu les gens les plus divers professer des opinions contradictoires, adopter des valeurs différentes, ne croientplus à rien.

Pyrrhon avait par exemple accompagné le conquérant Alexandre dans un grand nombre de ses expéditions.

Montaigne avait visité l'Allemagne, l'Italie, mais avait surtout dans sa « librairie » voyagé parmi des systèmes philosophiques innombrables et tous différents.

Pascal reprend les thèmes de Pyrrhon et de Montaigne : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » (b) La régression à l'infini. Une vérité ne peut pas être acceptée sans preuves comme telle car il n'existe pas un signe du vrai « comparable à la marque imprimée sur le corps des esclaves et qui permet de les reconnaître quand ils sont en fuite. » Mais si je propose une preuve pour une affirmation, le sceptique me dira « Prouve ta preuve ».

ainsi la preuve qu'on apportepour garantir l'affirmation a besoin d'une autre preuve et celle-ci d'une autre à l'infini. Pour connaître la moindre chose je suis d'autre part contraint de remonter à l'infini, c'est-à-dire de mettre ce donnéen rapport avec une infinité d'autres faits.

Car chaque chose est relative à toutes les autres et pour connaître lemoindre objet il faudrait connaître son rapport avec tout l'univers.

Nous ne connaissons le tout de rien, ce quirevient à ne connaître rien du tout. (c) La nécessité d'accepter des postulats invérifiables. Ne pouvant remonter de preuve en preuve à l'infini, l'esprit accepte toujours sans démonstration un point de départqui est une simple supposition et dont la vérité n'est pas garantie.. »

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