LE DIEU CACHE DE PASCAL
Publié le 12/07/2011
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Parfois, Dieu manifeste à ses fidèles des marques plus sensibles de son amitié, et le miracle vient rompre la continuité normale, scientifiquement prévisible, des événements. L'illuminisme de Pascal juge évidente l'intervention divine qui vient de se produire à Port-Royal en faveur de sa nièce, Marguerite Périer, guérie d'un ulcère lacrymal par l'attouchement de la Sainte-Épine (24 mars 1656). Et il ne manque pas d'en conclure à une spéciale bienveillance de Dieu pour Port-Royal attaqué. « Voici une épine de la couronne du Sauveur du monde, en qui le prince de ce monde n'a point de puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui-même cette maison pour y faire éclater sa puissance. «

«
dire des messes, etc.
Apparemment irrationnels et risqués, puisqu'ils obligent à «faire comme si » l'on croyait
pleinement, ces gestes domptent l'orgueil de l'homme, l'ouvrent à la grâce et, par l'automatisme qui a ses
racines au plus profond de l'organisme, entraînent l'être tout entier dans la foi, jusqu'à l'imprégner de créance.
La coutume l'y confirmera 1 et, peu à peu, une évidence intuitive remplacera la nécessité primitive de l'effort
rationnel : « La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut qu'ils
soient toujours présents, qu'à toute heure elle s'assoupit ou s'égare, manque d'avoir tous ses principes
présents.
Le sentiment n'agit pas ainsi : il agit en un instant, et toujours est prêt à agir.
Il faut donc mettre
notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante ».
Et, de même que la vérité scientifique
est inséparable d'une recherche indéfinie, l'Infini de Charité s'ouvre à l'effort incessant du chrétien et une
inquiétude douloureuse anime la joie même de sa possession : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais
trouvé ».
L'immensité du Don réclame de l'homme une tension extrême et, dans la poursuite de la perfection,
il n'y a pas place pour les médiocres : pour garder l'esprit du christianisme, il faut en observer à la lettre les
préceptes.
Pascal s'indigne qu'on puisse biaiser avec la morale et qu'il y ait moyen de tourner la loi.
Il ira,
quant à lui, jusqu'à la révolte pour ne pas mentir à la sincérité...
Tout compte fait, quel bénéfice pour l'homme ! « Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair, et le
mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu'ils s'en soûlent, et qu'ils y meurent.
» Mais, si vous optez
pour Dieu, «quel mal vous arrivera -t -il ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami
sincère, véritable.
A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices ;
mais n'en aurez -vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie ; et qu'à chaque pas que
vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant de ce que vous hasardez,
que vous reconnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez
rien donné ».
« Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable.
» « Ainsi,
conclut Pascal, je tends les bras à mon Libérateur qui, ayant été prédit durant quatre mille ans, est venu
souffrir et mourir pour moi sur la terre dans les temps et dans toutes les circonstances qui en ont été prédites ;
et, par sa grâce, j'attends la mort en paix, dans l'espérance de lui être éternellement uni ; et je vis cependant
avec joie, soit dans les biens qu'il lui plaît de me donner, soit dans les maux qu'il m'envoie pour mon bien et
qu'il m'a appris à souffrir par son exemple.
» Et, au milieu du conflit des égoïsmes, le petit troupeau des justes
devient une expression vivante de la Charité divine : « On s'aime, parce qu'on est membre de Jésus-Christ.
On
aime Jésus-Christ parce qu'il est le corps dont on est membre.
Tout est un, l'un est en l'autre, comme les trois
Personnes ».
« Vere tu es Deus absconditus » : véritablement tu es un Dieu caché, écrit Pascal d'après Isaïe, 45, 15 dans le
fragment L 781, S.644 et la lettre à Mlle de Roannez d'octobre 1656.
Cette idée prend des sens différents selon
le point de vue d'où on l'envisage.
MANIFESTATIONS DU « DEUS ABSCONDITUS»
Dieu n'est ni absolument ni complètement caché.
S'il « se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait
point de mérite à le croire », et « s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi ».
Il demeure dans un état
intermédiaire entre la pleine lumière et la nuit complète, « il se cache ordinairement, et se découvre rarement
à ceux qu'il veut engager dans son service », mais donne toujours des signes de sa présence.
C'est ce qui
trouble l'incrédule qui voit trop pour nier et trop peu pour s'assurer, et se trouve donc incapable de croire,
faute de voir « partout les marques d'un créateur », comme de se déterminer à « la négative » (L.429, S.682).
La raison de cet « étrange secret » est d'ordre théologique : « On n'entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne
prend pour principe qu'il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres » (L.232, S.264).
Le « clair -obscur »
où il demeure (P.
Sellier) fait que ce n'est pas la raison qui peut déterminer l'homme à le chercher ou à ne pas
le chercher, car elle ne trouve pas de marque assurée de son existence.
C'est le cœur seul, selon sa disposition
profonde.
S'il est mauvais, sa concupiscence le détourne de Dieu.
S'il est bon, il le cherche et finit par en
pénétrer le secret.
Dieu respecte ainsi la liberté de l'homme, en lui laissant par là le mérite de le trouver, ou la
responsabilité de l'ignorer.
Dieu se cache différemment selon les personnes et les circonstances.
A l'égard de
ceux qui ne croient pas, il est caché en ce qu'il ne se découvre pas par la raison naturelle.
Pascal n'a aucune
confiance dans les preuves métaphysiques comme celles que Descartes propose dans les Méditations (par
exemple la preuve ontologique, qui, du principe que Dieu doit avoir toutes les perfections, conclut qu'il doit
exister, puisque l'existence est une perfection) : « Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du
raisonnement des hommes et si impliquées qu'elles frappent peu.
Et quand cela servirait à quelques-uns, cela
ne servirait que pendant l'instant qu'ils voient cette démonstration.
Mais une heure après, ils craignent de
s'être trompés » (L.190, S.222).
De toute façon, ces preuves abstraites conduisent au Dieu impersonnel des
philosophes et des déistes, jamais au Dieu crucifié des Evangiles.
Il existe aussi un courant d'apologétique qui prétend trouver dans les sciences naturelles de quoi prouver par le
spectacle de la nature l'existence du Dieu.
»
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