Le dialogue exclut-il toute violence ?
Publié le 10/03/2004
Extrait du document
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de tous les philosophes, bien qu'il n'ait rien écrit, et peut-être justement parce qu'il n'a rien écrit et a passésa vie à dialoguer avec ses concitoyens sur la place publique.
En se prétendant lui-même ignorant, Socrate nedélivre pas de vérité : il interroge et, grâce à son « ironie », démonte les opinions toutes faites de sesinterlocuteurs.
Il incite ainsi chacun à une recherche authentique de la vérité.
Dialogue et accord.
Comment un dialogue conduit-il à un accord ? Qu'est-ce qui, dans le dialogue lui permet d'arriver à uneentente ? Et de quelle sorte d'accord s'agit-il ?
Tout dialogue trouve sa raison d'être dans une situation de désaccord.
En effet, si on est d'accord, iln'est pas besoin de dialoguer: on ne ferait que se répéter l'un l'autre.
Le dialogue serait donc là pourpermettre de dépasser un désaccord de départ pour arriver à un accord.En ce sens, sa principale utilité est d'éviter que le désaccord ne conduise au conflit: on dialogue pourréduire un désaccord qui risque toujours de s'aggraver davantage.
On discute pour s'entendre, et onveut s'entendre pour ne pas se battre.
Voilà pourquoi on cherche le dialogue: pour l'accord qu'il rendpossible, ou plutôt, pour désamorcer le désaccord.Mais comment un dialogue permet-il d'arriver à cette pacification, à cet accord? Permet-il réellementd'arriver au résultat escompté?Le plus souvent, ce à quoi on assiste, c'est que le dialogue se transforme en négociation, et l'accordauquel on arrive, ce n'est jamais qu'un compromis, ce qui n'est pas un accord.
En effet, un compromisconsiste toujours en ce que chacune des deux parties renonce à un peu de ses exigences, en rabatte.Le compromis, c'est le plus souvent, le moyen terme, qui ne satisfait personne pleinement et qui relancele conflit à plus ou moins longue échéance, plutôt qu'il ne l'apaise.
Plutôt que un accord, c'est undésaccord encore plus radical qui en sort.
On pourrait parler d'un faux accord en ce cas.Ce à quoi il faut donc s'efforcer, ce vers quoi il faut tendre dans un dialogue, c'est à une réelleconversion de l'interlocuteur, qu'il adopte à l'issue du dialogue mon opinion à moi, et qu'il en soitconvaincu aussi fermement qu'il l'était de son opinion à lui au début du dialogue.
En ce sens, le seulvéritable accord auquel on arrive par un dialogue, c'est de faire changer d'opinion à son interlocuteur.Pour cela, le meilleur moyen, ce n'est pas d'avoir raison, mais de bien parler.
En effet, cet accord-làn'est jamais obtenu que par des artifices de rhétorique: il s'agit d'être persuasif, plutôt que d'être dans levrai.A la différence de convaincre, où je m'adresse à la raison de mon interlocuteur, lorsque je veux lepersuader, je m'adresse à ses passions, je l'attaque par ses points faibles (s'il est ambitieux, je lui montretout ce qu'il peut gagner à adopter mon point de vue, s'il est obstiné, je commence par faire semblantd'être d'accord avec lui pour l'amener progressivement à rallier mon point de vue...).
La persuasion n'est jamais qu'une ruse, et si elle a le mérite de faciliter l'accord, elle y arrive tropfacilement: l'accord qu'elle extorque ne vaut pas grand chose.
Et on sera bien arrivé à un accord, maisau détriment du dialogue: le dialogue n'est plus qu'une lutte, l'interlocuteur un adversaire.
Tout se passecomme si on était placé devant une alternative: soit on arrive à un accord, soit on dialogue.
Le problème, c'est que même cet accord obtenu par le détour de la persuasion n'a rien de durable.
Ildure aussi longtemps que le charme du discours qui l'aura produit.
On aura bien amené l'autre à changerd'opinion, mais le propre de l'opinion, c'est d'être versatile, changeante.
La vraie difficulté n'est pasd'amener l'autre à changer d'opinion: elle est changeante par nature, il n'y a rien d'autre à faire que delui faire préférer une opinion à celle qu'il a déjà.
La vraie difficulté, c'est de le faire se tenir à cettenouvelle opinion.
[Le dialogue est un outil polémique puisque rien n'interditde prêter à l'un des participants des opinions que l'on veut - critiquer.
C'est un artifice qui permet de venir à bout d'un opposant sans violence apparente.]
Mais tous les dialogues se valent-ils ? Platon oppose la dialectique philosophique, dialogue véritable, àl'éristique des sophistes qui n'en est que le faux-semblant.La première se fonde sur la possibilité d'un accord entre les interlocuteurs et, surtout, elle organise laconfrontation en vue de la recherche sincère de la vérité.
La seconde, au contraire, est polémique et necherche qu'à réduire l'adversaire au silence.
En ce sens, pour Platon, la pratique sophistique du dialogue n'estau fond qu'une forme déguisée de violence.
Le dialogue n'exclut pas nécessairement la violence.
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