Le développement technique permet-il à l'homme d'acquérir une plus grande liberté ?
Publié le 30/05/2009
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La révolution industrielle ( introduction de la machine dans la production ) a modifié de fond en comble les conditions de travail, les rapports entre les hommes, et les rapports des hommes à la nature. Pendant des milliers d'années, l'homme ne s'est servi que d'outils, prolongements directs de son corps et de son intelligence, diversifiant l'usage de ses mains, élargissant son domaine d'activité ( travail du bois, du métal ). Mais le corps demeure encore le moteur de l'outil, alors que la machine utilise comme moteur une autre force que celle du corps humain ( électricité obtenue à partir de la force naturelle des chutes d'eau ). L'homme d'aujourd'hui vit dans un univers de machines, elles règnent sur son travail, et les relations humaines, les loisirs sont aussi mécanisées que le travail ( téléphone, télévision, cinéma ). Et ce n'est pas seulement la matière qui se trouve contrôlée par les sciences et les techniques modernes mais c'est aussi le vivant c'est-à-dire les cellules végétales ou animales et les patrimoines génétiques des organismes vivants qui sont mieux connus et mieux contrôlés voire manipulés. La modernité technique a donc transformé radicalement la condition humaine : d'une part la puissance de l'homme sur la nature et sur sa nature ( son patrimoine génétique, sa procréation, son psychisme puisque nous sommes capables d'agir chimiquement sur le cerveau )est radicalement accrue mais d'autre part l'homme semble désormais séparé du milieu naturel. De même, l'artisan était l'âme de ses outils tandis que l'homme de l'ère industrielle semble dépendant de ses artefacts voire dépassé, dominé de toutes part par le système complexe de ses machines. Serions nous alors devant une figure paradoxale, celle d'un homme au faîte de sa puissance technique et qui en même temps n'a jamais été aussi menacé, dominé, avili même ?
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vivre dans un milieu d'automate sans beauté, rendant l'ouvrier "des chaînes" totalement étranger à son oeuvre.Mais ce n'est pas seulement au travail que le développement technique remettrait en cause la liberté c'est aussi letout des relations sociales qui se trouveraient menacées par l'isolement croissant dans un monde où pourtant lesréseaux de communication n'ont jamais été aussi denses, par la logique de l'instrumentalisation de soi, de l'autre quioblitère toute rencontre authentique, par l'obsession de l'avoir qui promet à l'homme le bonheur matériel et l'incite àse complaire dans des satisfactions animales et le détourne de toute vie spirituelle.
Ainsi Gandhi critique les cheminsde fers au nom de la vertu : les chemins de fers ont accentué les mauvais cotés de la nature humaine, lesméchants peuvent désormais accomplir leurs mauvais desseins avec plus de rapidité, les lieux sacrés ont perdu deleur sainteté depuis que sans effort on peut les atteindre, en outre le chemin de fer est une source de scepticismeet de désespoir parce que la facilité des voyages met l'homme en contact avec des pratiques et des religions sidiverses qu'il en est complètement désemparé.
La civilisation est ici définie non pas comme non pas comme le bien-être matériel rendu possible par la maîtrise de la nature, mais comme la maîtrise de soi et de ses passions,autrement dit comme bonne conduite ou vertu.
Or il semble ici que les dispositions vertueuses de l'humanité seraientinversement proportionnelles à ses capacités techniques : une vie simple serait la plus sure garantie d'une viebonne.
A l'inverse une vie tout entière placée sous le signe de l'accumulation des biens matériels, privilégiant l'avoiret le paraître plutôt que l'être pervertirait l'homme et porterait atteinte à son intégrité morale et donc à sa liberté ,liberté qu'on ne peut dissocier de la maitrise de soi.
La modernité technique en rompant l'équilibre de l'âme et ducorps , du spirituel et du matériel, parce que notre âme est restée la même tandis que notre corps ne cesse decroître démesurément en puissance ( Bergson ) a fait de l'homme un enfant gâté, enivré de sa propre puissance,soumis à des besoins d'autant plus tyranniques qu'ils sont plus artificiels, toujours plus dépendant de ses artefactset ayant perdu toute dignité morale.La modernité technique serait à blâmer parce que matérielle, profanatrice, destructrice et aliénante : s'y joueraitnon pas tant un programme neutre de rationnalisation de la production, qu' un programme de contrôle absolu etplanétaire dont l'homme serait à la fois le maître d'oeuvre et la victime, le sujet déployant en apparence sapuissance technique et l'instrument chosifié en réalité d'un processus qui le dépasse et l'instrumentalise.
Partie III
Il faut prendre en compte cette inquiétude et cette indignation, mais peut-être convient-il d'opposer quelquesarguments à ce noir pessimisme.
Et de penser les conditions d'un usage autonome .Tout d'abord on peut penser que le machinisme lui-même en se développant apportera des remèdes à ses propresinconvénients : le travail automatique monotone et inhumain vient en fait d'un développement insuffisant de lamécanisation, il est transitoire, le machinisme en se perfectionnant délivre l'homme des travaux purementmécaniques.
La machine d'aujourd'hui est capable de couper, d'emballer de trier, même les tâches automatiques dela pensée ( les calculs ) sont susceptibles d'être accomplies par des machines.
Finalement le triomphe del'automation ne laisse à l'homme que le travail intelligent de l'invention, de l'organisation, de la réparation.
Ainsiconvient-il de dire que le travail machinal de l'homme est" l'esclavage transitoire d'un mécanisme imparfait" (Fourastié ).A ces remarques on pourrait répondre que l'automation universelle n'est pas pour demain, et que le travail à lachaîne existe toujours ! Mais ici encore il ne faudrait pas exagérer la responsabilité de la technique : le rythmeauquel est soumis le travailleur à la chaîne est fixé par les hommes et non par des machines.
Il ne tient qu'à l'hommed'humaniser le travail : de penser la machine non pas seulement en fonction de l'exigence de rentabilité mais d'aborden fonction de l'homme de ses rythmes, de ses besoins de développement physiques et psychologiques.
Notreliberté ne se trouve pas menacée par une puissance mystérieuse et hors de contrôle, celle, prétendue de latechnique moderne, mais plus concrètement par d'autres libertés , égoïstes ou arbitraires choisissant de privilégierleur intérêt particulier .Il faut donc ici rappeler que la technique ne décide pas pour elle-même et pour nous et que ainsi elle ne menace pasla liberté du moins pas fatalement.
Ce qui nous menace ici notre propre irresponsabilité.
La véritable liberté n'est pasà situer dans une toute puissance, ivre d'elle-même et cherchant exclusivement à accroitre son empire, soucieusede ses seules performances, au service de tous les désirs sans discrimination éthique ou morale, on voit bien qu'unetelle liberté se révèle vite le contraire de ce qu'elle prétend être.
La véritable liberté est consciente d'elle-même, ellechoisit en connaissance de causes de l'usage, des conditions, des limites, elle est éclairée , informée, elle ne peutêtre non plus détachée des impératifs de la raison pratique, elle veut le bien commun, l'épanouissement de chacunet de tous sans que soient sacrifiées les valeurs fondamentales de la personne humaine et de sa dignité.
Rendre compatible le développement technique et la liberté est possible, l'un et l'autre ne s'excluent pas fatalement,de même qu'il ne s'appellent pas nécessairement l'un l'autre comme l'optimisme excessif des Lumières le laissaitcroire.
La technique accroit la performance de nos moyens d'action mais ne peut ni ne doit déterminer quelle finnous devons viser ; si nous laissons la technique ou plutôt les techniciens décider seuls des orientations futures (risque d'une technocratie ), le risque serait alors de voire dominer la recherche de la seule performance des moyens,de l'accroissement indéfini de nos moyens d'action.
La puissance technique, comme toute puissance doit êtrejugulée par des lois et ces lois doivent viser l'épanouissement ( mener une vie agréable, vivre bien ou atteindre lebonheur sans pour cela sacrifier les chances que les autres ont d'y atteindre : visée éthique ), sans pour autantsacrifier le respect inconditionné de la dignité de chacun car l'exclusion de l'un ou de l'autre de ces principes porteatteinte à la liberté.
La liberté ne se limite pas à la puissance ni à l'indépendance mais comporte aussi une dimensionmorale, c'est la liberté comme autonomie c'est-à-dire comme capacité à se donner à soi-même des lois, des loisrégies par des principes à la fois éthiques et moraux..
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