Le désir est-il l'indice de la misère de l'homme ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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La satisfaction ne met pas fin au désir, ou seulement pour un temps réduit.
Le désir se renouvelle aussitôt.
En effet,la satisfaction d'un désir implique toujours une déception.
Dans l'attente, on a tendance à idéaliser l'objet.
Lorsqu'onle possède, il déçoit notre espérance.
De plus, la satisfaction est décevante parce qu'elle est éphémère.
Ainsi, dit-on, le meilleur jour de la fête, c'est la veille, ce sont les préparatifs.
Mallarmé évoque "le parfum de tristesse quelaisse la cueillaison d'un rêve au c½ur qui l'a cueilli" (Apparition).
Non seulement le désir renaît, mais il se renforce etdevient de plus en plus exigeant.
C'est ce qu'avait noté Epicure au sujet des désirs non nécessaires: ils suscitent uneffet d'accoutumance, de sorte que l'on devient toujours plus difficile.
Platon aussi compare l'âme du passionné à unvase percé: il est impossible de le remplir.
Le désir ne peut jamais être comblé, il est insatiable.
Il y a unesurenchère du désir.
Le cas particulier du collectionneur est typique du désir en général : il n'est jamais satisfait, lapièce la plus précieuse de sa collection, c'est toujours celle qui lui manque.
Nous sommes finalement tous commeDon Juan, représenté par Molière ou Mozart.
Il collectionne les femmes.
Mais aucune conquête ne met jamais fin àson désir.
Mais après quoi court donc Don Juan? L'objet de son désir ne saurait être telle ou telle femme enparticulier, puisqu'aucune ne suffit jamais à le combler.
On peut dès lors soupçonner que l'objet du désir n'est qu'enapparence le but poursuivi.
Le but réel du désir, c'est le désir lui-même.
L'objet n'est qu'un prétexte.
Le désir, enréalité, est désir du désir, c'est-à-dire désir de la prolongation du désir.
Si le désir visait réellement sa propresatisfaction, son renouvellement perpétuel serait incompréhensible.
Le désir vise autre chose que l'acquisition ou lapossession.
Comment expliquer autrement notre préférence pour le désir et l'attente que pour la satisfaction elle-même ? On l'a dit, nous prenons davantage de plaisir aux préparatifs.
Pascal écrit que nous préférons "la chasse à laprise" : ce qui fait courir le chasseur, c'est plutôt le plaisir de la traque que celui de tuer l'animal.
C'est pourquoiaussi le désir se donne des obstacles, afin de se prolonger lui-même.
"Retarder le plaisir, n'est-ce pas la ruse la plusélémentaire du désir?" (D.
de Rougemont, l'Amour et l'Occident).
Le désir ruse en vue de se perpétuer.
Le désirs'éteint dans la possession: "l'amour heureux n'a pas d'histoire".
En revanche, la passion se magnifie dans ladifficulté.
Le désir est donc une sorte de fuite, de fuite en avant.
Que fuyons-nous ? Une réalité décevante.
(ledésir idéalise).
La satisfaction du désir n'entraine pas le bonheur, car elle cesse bientôt, et laisse place à ladéception et à l'ennui.
Le désir est désir de fuir l'ennui.
L'ennui nous paraît redoutable, parce qu'il laisse l'esprit librede méditer.
Or, toute méditation nous conduit à des pensées tristes, comme celle de la mort.Cela conduit à penser l'homme comme une créature misérable.
Plutôt qu'un être, il est un vide, un manque qui secreuse à chaque fois qu'on essaye de le combler.
Et si le désir est sans doute signe d'une imperfection, il révèle enmême temps que l'homme est capable de se représenter une idée de la perfection.
Si on éprouve sans cesse denouveaux désirs, pourra-t-on dire, qu'on se projette vers une certaine idée de la perfection.
II/ Le désir, signe de la grandeur de l'homme1- Une soif d'absoluLe désir, comme on l'a vu, ne se satisfait pas de la possession d'un objet particulier.
C'est donc que la visée du désirdépasse cet objet particulier, que le désir a une fin plus haute.
S'il est impossible à satisfaire, c'est peut-être parceque nous cherchons en réalité autre chose.
Le sens du désir ne s'épuise pas losqu'on possède l'objet.
Cela vientpeut-être de ce que le désir a pour but un idéal, qui par définition ne peut être atteint.
Le désir serait donc en faitl'indice de la présence en nous d'un besoin d'absolu.
La quête désespérée de Don Juan pourrait être l'expressiond'une recherche métaphysique, dont il n'a pas conscience, ou dont il refuse de reconnaître la réalité.C'est ainsi que Platon représente le désir : il est une initiation à la métaphysique.
Le désir est le signe d'un manque,mais d'un manque d'absolu.
Le désir, de degré en degré, nous élève à la sagesse.
Tout commence par le désir d'uncorps.
Ce désir ne peut jamais être comblé.
Les amants s'étreignent comme s'ils ne voulaient faire qu'un, mais lafusion parfaite est impossible.
La "possession" n'est qu'une façon de parler.
C'est pourquoi, du désir des beauxcorps, on s'élèvera à l'amour des belles âmes, on s'intéressera davantage à la "beauté intérieure", à la beautémorale.
Ainsi, on découvre d'autres formes de beauté.
De là, on commencera à chercher ce qu'il y a de commun àtout ce qui est beau.
De la beauté de tel corps ou de telle âme, on passera à la découverte de la beauté en elle-même, à la contemplation de la beauté en soi, à l'idée de beauté.
On arrivera ainsi à la contemplation des idées, quisont pour Platon la vérité.
Si le désir est sans fin, c'est qu'il nous invite à chercher au-delà de la chair.
Le désirphysique nous porte vers le désir de vérité - la philosophie elle-même est un désir, l'amour de la sagesse.
Augustin acompris que, au-delà de la beauté de la chair, c'est la beauté absolue qu'il faut aimer.Le désir serait donc bien le signe d'un manque.
Mais ce dont l'homme manque nous révèle quelles sont ses valeurs."Toutes ces misères-là prouvent sa grandeur.
Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé "(Pascal, Pensées, Br.
398).
Il est le signe de la vocation de l'homme.
2- La volonté infinie
Le désir témoigne d'un manque.
Mais en même temps, il révèle la grandeur des aspirations de l'homme.
Il témoignede la présence de quelque chose de divin en l'homme.
Si l'homme est limité, il y a du moins une faculté, en lui, quielle est illimitée, c'est sa volonté.
Descartes le remarque : notre entendement est fini; mais la volonté, elle, estinfinie.
C'est une faculté absolument libre, que rien ne saurait contraindre.
Par conséquent, on peux vouloir n'importequoi, on peux tout vouloir.
De même, le désir n'a pas de limite.
On peut tout désirer, même l'impossible, par exempledésirer l'immortalité.
Descartes y voit comme la trace en nous de notre origine divine, la marque ou la signaturelaissée par le fabriquant sur son ½uvre.
Il y a en nous une faculté qui nous rapproche de Dieu et nous apparente àlui, c'est précisément le désir.
"Borné dans sa nature, infini dans ses v½ux,L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux"(Lamartine).
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