Le désir d'être heureux est-il une affaire privée ou politique? (ou Bonheur et Politique)
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
Les sociétés de fourmis et d'abeilles sont admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuableroutine.
Si l'individu s'y oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l'un et l'autre, en état desomnambulisme, font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à uneefficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète.
Seules, les sociétés humaines tiennent fixésdevant leurs yeux les deux buts à atteindre.
En lutte avec elles-mêmes et en guerre les unes avec les autres, ellescherchent visiblement par le frottement et par le choc, à arrondir des angles, user des antagonismes, à éliminer descontradictions, à faire que les volontés individuelles s'insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que lesdiverses sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société plus vaste :spectacle inquiétant et rassurant, qu'on ne peut contempler sans se dire qu'ici encore, à travers des obstacles sansnombre, la vie travaille à individuer et à intégrer pour obtenir la quantité la plus grande, la variété la plus riche, lesqualités les plus hautes d'invention et d'effort.
»
Introduction
Il y a déjà vingt ans qu'une majorité politique française ne s'est plus proposé explicitement de changer la vie, commesi cette virtualité devait dorénavant être reléguée du côté de l'idéal utopique.
Mais dans le même temps, lesrevendications catégorielles qui défendent les avantages I acquis ne désarment pas.
La question de savoir si lacharge de l'État inclut le bonheur individuel pose la question de la vocation de l'État et de l'extension de son rôle :ce rôle est-il outrepassé si l'État doit garantir le bonheur de chacun, ou bien au contraire l'abandon de cetteambition i marquerait-il un échec de l'État ? Le bonheur est-il une affaire privée ou une affaire publique
I.
Si l'État doit se préoccuper du bonheur, ce n'est pas de celui de chacun individuellement : le bonheur collectifauquel l'État doit s'atteler est une figure de l'interprète général.
On peut se référer à la distinction de Rousseauentre la volonté générale et la volonté de tous, simple agrégation des volontés particulières.
En pratiquedémocratique, satisfaire la majorité peut revenir à brimer la minorité.
Il paraît donc difficile d'envisager de satisfairetout le monde à la fois, le bonheur commun que l'État peut viser se comprend ainsi dans une perspective holisteplutôt qu'individualiste.
2.
L'État doit prendre à sa charge la question du bonheur individuel.
Ainsi Aristote identifiait-il le bonheur de l'État etcelui des individus, dispensant d'avance l'État de viser toute autre fin.
Le dirigisme économique et politique peutêtre appelé à l'appui de cette thèse.
Refusant de ratifier l'inégalité des résultats du marché, l'État entend assurer lebonheur de chacun en intervenant dans l'économie et la vie privée, quitte à ce que cela l'amène à réaliser monbonheur contre mon gré : le bonheur de chacun ne risque-t-il pas en effet de consister en quelque chose dedifférent ?
Aristote: l'homme, animal politique
Avec Platon, qu'il critique cependant, Aristote est le fondateur de la pensée politique classique.
La naturepolitique de l'homme ne fait pas de doute.
La question la plus débattue est celle du meilleur régime.
1.
Les fondements de la vie politique
A.
« L'homme est un animal politique » Vivre en communauté est naturel* et nécessaire à l'homme.
Nécessaire à son existence, mais aussi à sonbonheur.
L'homme ne s'associe pas avec d'autres seulement pour assurer sa survie, mais pour accomplir sonessence.
L'individu est en effet un être inachevé, qui a pour fin et perfection la relation à autrui.
Si la famille et levillage existent en vue de la satisfaction de besoins élémentaires (alimentation, sécurité), ils sont subordonnésà la communauté politique, la cité, dont la fin propre est le « bien vivre », le bonheur.
Celui-ci implique la viséecommune d'un bien commun, dans une relation d'amitié réglée par la justice.
Là seulement se trouve la vraieliberté'.
Et c'est parce qu'il est un animal parlant que l'homme est un animal politique : alors que la « voix » desanimaux (qui ne sont pas politiques, mais grégaires) se limite à l'expression des passions, le langage permet laformulation de jugements objectifs sur le juste et l'injuste, règles de la vie commune.
B.
Les cités justes Mais, qu'est-ce qu'une cité juste ? C'est une cité où le pouvoir est exercé au profit de tous, et non au profitexclusif des gouvernants ou d'une frange de la population.
Dans ces derniers cas, le pouvoir ne mérite pas lenom de « politique », mais de despotique.
Une fois réglée la question première de la justice ou de l'injustice fondamentale du pouvoir (en vue de quigouverne-t-on ?), il faut se poser la question de son exercice (qui gouverne ?).
Interviennent alors lesdifférents types d'organisation des pouvoirs, ou régimes.
« Il est nécessaire que le souverain soit un seul individu (monarchie), soit un petit nombre (aristocratie), soitun grand nombre de gens (démocratie républicaine) » (Politique).
Chacun de ces régimes est bon, à conditionque le pouvoir y soit exercé en vue du bien commun.
Sinon, l'on a affaire à des despotismes : respectivement,la tyrannie (monarchie pervertie), l'oligarchie, et la démocratie populiste (pouvoir exercé par une majoritépauvre à son seul bénéfice).
2.
Le meilleur régime.
»
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