Le désir chez Deleuze
Publié le 19/08/2023
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«
Deleuze
1.
Motivation à la philosophie de Deleuze: rapide histoire du désir
idéaliste.
Gilles Deleuze et Félix Guatarri s’inscrivent contre la conception idéaliste du désir
(Platon, Kant, et dans une certaine mesure la psychanalyse).
Ils conçoivent le désir
comme un processus inconscient de production du réel qui s’accomplit entièrement
sans sujet.
Voyons comment une telle considération s’est construite.
La conception idéaliste présuppose que le désir est un représentation que se fait
un sujet, et est compris comme un manque, comblé par l’acquisition d’un objet de la
réalité extérieur au sujet.
Il y a alors, et c’est l’objet de la critique de Gilles Deleuze et
Félix Guatarri, une très nette coupure entre la sphère immanente1 du sujet (où
demeurent les représentations) et la réalité extérieure (où est l’objet désiré, mais qui
n’existe pour le sujet qu’en tant que représentation).
On pensera facilement à la caverne
de Platon, et au Banquet.
Kant semble apporter un premier dépassement.
Pour lui, le désir est « la faculté
d’être par ses représentations cause de la réalité des objets de ces
représentations.
» (Critique du Jugement ou Critique de la faculté de juger, 1790,
Introduction, paragraphe 3).
Sans changer de paradigme, Kant conçoit ici que le désir soit
faculté de création du réel, ou du moins simple cause indirect de création du réel.
Mais
on observe toujours une séparation: l’objet désiré est une représentation psychique,
l’objet réel est affecté mécaniquement par nos action; et l’un n’est pas l’autre.
Le désir
n’a d’effet que sur le réel psychique au sein du paradigme kantien.
Il demeure de plus
conscient et lié au sujet qui l’exprime.
Gilles Deleuze et Félix Guatarri vont alors apporter trois critiques à cette
conception du désir.
D’abord, ils vont rejeter la notion de sujet.
Le désir ne peut être convoqué sur
commande: comment alors peut-on affirmer qu’il serait conscient? La critique
nietzschéenne qui s’appliquait aux pensées vaut aussi pour le désir (La critique de la
fiction de la causalité, à savoir que je suis la cause de mes pensées: « Une pensée se
présente quand ’elle' veut, et non pas quand ’je’ veux.
» Par-delà bien et mal, paragraphe
17).
À la suite de cela, il apparait que le désir ne peut pas plus être conscient.
Suite à
la mise en évidence de la fiction de la causalité, apparait la fiction de l’unité: nous croyons
que désirer est un acte unitaire, causé alors par un sujet forcément unitaire lui aussi.
Or, si
le désir n’est pas causé par le sujet, alors rien ne semble supposer son unité.
L’expérience ferait plutôt du désir une force protéiforme et multiples.
Si il y a du désir,
rien ne dit qu’il n’y ai qu’un désir.
Et alors, sans sujet et sans unité, la conscience du
désir n’est que l’effet de l’activité de forces inconscientes et multiples.
Immanente au sens kantien, c’est à dire qui dépend de la conscience.
C’est le contraire de la
transcendance, ce qui existe au delà de la conscience.
1
La psychanalyse avance prend en compte ces critiques en faisant du désir un
processus inconscient et sans sujet.
En effet, le désir compris comme pulsion (Trieb)
est inconscient et n’émane pas du moi, mais du ça, c’est à dire qu’elle n’émane pas de la
psyché mais bien du corps.
Cette émanation du corps vise à la diminution du déplaisir,
causé par des représentations propres liés à l’histoire de l'individu.
Les représentations,
quoique désormais inconscientes, ont toujours cours chez Freud.
Ainsi la pulsion, objet
physique aux objets psychiques, est à la frontière entre le physique et le somatique, entre
l’esprit et le corps.
La pulsion est toujours productrice de réel par les fantasmes, mais
il faut une modification du monde extérieur pour satisfaire le désir: le monde est
toujours scindé entre l’inconscient soumis aux pulsions et la réalité extérieure.
Si le désir
désir des représentations, il n’est satisfait que par des objets réels.
Mais la psychanalyse tombe encore dans un écueil: elle moralise elle aussi le désir.
Cette moralisation se fait par l’entrée de l’infini dans la conception idéaliste du désir.
En
effet, l’acquisition de l’objet désiré comble le manque, et fournit un plaisir, auquel se
succèdera alors un nouveau désir.
Définir le désir par le manque ou par le plaisir, c’est
en fait la même chose, revendiquer la même conception, et surtout c’est vouer le
désir à un cycle infini.
Ce cycle infini est, tant pour la tradition idéaliste que pour la
psychanalyse, le signe d’une faille ontologique (péché originel, désir d’inceste) au cœur
de l’humain; cet infini appel forcément une limitation pour être viable.
Pour la tradition idéaliste, le sujet est responsable de ses désirs: d’où un appel à la
mesure et à la rétention; d’où un jugement alors de l’individu comme méritant ou comme
coupable.
Pour la psychanalyse, si la conscience n’est plus maitre de ses désirs, le jugement
ressurgi de par la structure œdipienne.
Tout désir est incestueux, et cet inceste doit être
refoulé.
Mais le refoulement psychique est limité à la sphère inconsciente: dés lors, le
refoulement social - le jugement, le surmoi - est justifié pour ce qui touche au
conscient, même si ce jugement social est réduit par rapport à la tradition idéaliste.
Il est
donc justifié pour Freud de moraliser le désir.
La moralisation de la tradition idéaliste est balayée par la destruction du sujet;
l’argument freudien lui tombe face à ses propres contradictions.
La nature incestueuse du
désir est chez Freud justifié par une idée simple: si l’inceste est interdit, c’est qu’il est
désiré.
Or, un enfant peut désirer quelque chose pour la simple raison qu’elle lui ai
interdite; dés lors, rien ne dit que le désir se doit d’être incestueux.
Donc, il n’y a pas de
nécessaire moralisation du désir.
2.
Le désir chez Gilles Deleuze et Félix Guatarri
L’interprétation idéaliste du désir n’est donc pas fondée, ou plutôt fondée sur des à
priori loin d’aller de soi (l’existence d’un sujet unique et de la conscience), et ayant des
conséquences étonnantes (la séparation du réel et du psychique, une nécessaire
moralisation du désir, un désir prit par l'infini).
La psychanalyse elle suppose la nature
incestueuse du désir, et indique aussi un désir infini et moralisé.
Gilles Deleuze et Félix Guatarri propose une nouvelle conception du désir,
résolument original, qui ne nécessite ni le postulat du sujet unique, ni de la
conscience, pas plus qu’il n’entraine une moralisation du désir ou ne sépare le réel
des pensées.
Il faut dans un premier temps introduire le concept clef de multiplicité, qui
permettra de comprendre le concept d’agencement.
Dans la tradition idéaliste, on
distingue l’unité ordonnée du multiple désordonné, qui nécessite une organisation
apportée par un élément extérieur à lui.
La multiplicité est une forme de multiple qui ne
se rapporte pas à un principe transcendant2 d’organisation.
Une multiplicité est un
ensemble d’éléments hétérogènes ou indépendants qui fonctionnent qui
fonctionnent ensemble en établissant entre eux des liaisons ou des relations de
façon immanente3.
Par exemple, le cerveau est une multiplicité: les neurones
s’organisent entre eux sans principe extérieur pour les diriger; le cerveau est son propre
principe organisateur, personne d’autre que lui-même organise la relation entre les
neurones.
De même pour le corps humain et les cellules.
Ainsi, les multiplicités peuvent se créer et exister sans origine, but ni conscience:
nul besoin du sujet pour les organiser, nul besoin d’un objet pour les motiver, nul besoin
d’une conscience pour les penser.
Il y a bien production du réel: le cerveau est produit
par l’organisation des cellules.
La multiplicité peut correspondre à ce nouveau désir que l’on veut construire; mais
pour l’affirmer, il faut maintenant introduire la notion d’agencement.
Un agencement est
un ensemble de multiplicités qui se lient par le corps et par les énoncés.
Par corps
on entend matière, par énoncés on entend relations: soit l’exemple du chevalier.
Dans
l’agencement chevalier se lient les corps homme, cheval et étrier, qui se lient dans des
rapports nouveaux.
De plus, les serments des chevaliers,....
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