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Le concept d'angoisse - Søren Kierkegaard

Publié le 22/02/2012

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kierkegaard

L'instant est cet ambigu où le temps et l'éternité sont en contact, posant ainsi le concept de temporalité où le temps interrompt constamment l'éternité, et où l'éternité pénètre sans cesse le temps. C'est alors seulement que prend son sens la répartition de tout à l'heure en temps présent, temps passé et temps à venir.

 

A cet énonce, on remarque aussitôt qu'à un certain point de vue l'avenir signifie plus que le présent et le passé ; car l'avenir est en un sens le tout dont le passé est une partie, et il peut, si l'on veut, désigner le tout. La raison en est que l'éternel désigne en premier lieu l'avenir, ou que l'avenir est l'inconnu où l'éternel, incommensurable au temps, entend néanmoins demeurer en rapports avec lui Le possible correspond exactement à l'avenir Le possible est pour la liberté l'avenir, et l'avenir est pour le temps le possible. A l'un et à l'autre correspond dans la vie individuelle l'angoisse. Aussi le langage est‑il parfaitement autorisé à rattacher l'angoisse à l'avenir. Sans doute, l'on dit parfois que l'on est dans l'angoisse du passé, ce qui semble contredire. Cependant, l'on voit à l'examen que cette manière de parler vise de manière ou d'autre l'avenir. Le passé qui m'angoisse doit me réserver un possible. Si par exemple je suis dans l'angoisse en songeant à un malheur passé, ce n'est pas parce qu'il est passé, mais parce qu'il peut se répéter, surgir dans l'avenir. Si je suis dans l'angoisse d'une faute commise, c'est que je n'en ai pas fait essentiellement pour moi un passé et que, par une fraude quelconque, je l'empêche d'être passée. Car si elle est réellement passée, je ne puis en éprouver de l'angoisse, mais seulement du repentir. Si je ne me repens pas, c'est que je me suis d'abord permis de rendre dialectique le rapport que je soutiens avec ma faute qui, de ce fait, est devenue une possibilité, et non un passé. Si je suis dans l'angoisse devant le châtiment, ce n'est qu'au moment où il entre en un rapport dialectique avec la faute (autrement, je subis ma peine et alors, je suis dans l'angoisse du possible et de l'avenir).

 

Nous voici donc où nous en étions au premier chapitre. L'angoisse est l'état psychologique qui précède le péché, s'en approche aussi près que possible, de façon aussi angoissante que possible, sans toutefois expliquer le péché, qui ne surgit que dans le saut qualitatif.

 

A l'instant où le péché est posé, la temporalité est culpabilité. Nous ne disons pas que la temporalité est culpabilité, pas plus que le sensible ne l'est ; nous disons que, le péché se posant, la temporalité est synonyme de culpabilité. C'est pourquoi l'homme qui vit seulement dans l'instant, abstraction de l'éternel, pèche. Pour me faire entendre, en me servant d'un langage insensé, si Adam n'avait pas péché, il serait au même instant entré dans l'éternité Mais dés que le péché est posé, il est vain de vouloir faire abstraction de la temporalité, non moins que du sensible.

 

Bien que l'insensibilité ne connaisse pas l'angoisse qui en est exclue, comme l'esprit, l'angoisse est pourtant là qui attend. On peut s'imaginer un débiteur assez habile pour se gausser de son créancier et le payer de bonnes paroles ; mais il est un créancier que l'on ne prend jamais au dépourvu, et c'est l'esprit. Vue de l'esprit, l'angoisse n'est donc pas absente de l'insensibilité ; elle s'y trouve cachée et masquée. Et même, on tremble de la voir ; car si le spectre de l'angoisse est terrible aux yeux de l'imagination, il effraierait bien davantage encore si on le voyait sous le travestissement qu'il trouve bon de prendre pour ne pas paraître tel qu'il est, ce qui n'empêche qu'il le soit Quand la mort se présente sous son aspect véritable, en morne moissonneur décharné, on ne la regarde pas sans effroi ; mais quand, pour se jouer des hommes qui croient pouvoir la railler, elle s'avance déguisée ; quand le spectateur s'aperçoit que l'inconnu, dont la courtoisie enchante tous les hommes et les plonge dans la folle gaieté du plaisir, est la mort, alors un immense effroi s'empare de lui.

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