Le calcul de l’infini : la sommation des puissances numériques et la différence des ordres de grandeur chez Blaise PASCAL
Publié le 16/01/2020
Extrait du document
de termes d’une progression arbitraire, trouver la somme des puissances semblables de ces termes élevées à un degré quelconque.
Soit pris un nombre quelconque 5 comme premier terme d’une progression dont la raison, choisie arbitrairement, sera par exemple trois; soient considérés, dans cette progression, autant de termes que l’on voudra, par exemple les termes 5, 8, 11, 14, et soient ces termes élevés à une puissance arbitraire, mettons au cube. Il s’agit de trouver la somme des cubes 53 + 83 + 113 + 143.
Ces cubes sont 125, 512, 1331, 2744; et leur somme est 4712. Voici comment on trouvera cette somme.
Considérons le binôme A + 3 qui a pour premier terme A et pour second terme la différence de la progression.
Élevons ce binôme à la quatrième puissance, puissance immédiatement supérieure au degré proposé trois; nous obtenons l’expression
A4 + 12.A3 + 54.A2 + 108.A + 81.
Cela posé, considérons le nombre 17, qui, dans la progression proposée, suit immédiatement le dernier terme considéré 14. Prenons la quatrième puissance de 17, savoir 83 521, et retranchons-en :
Premièrement : la somme 38 des termes considérés 5 + 8 + 11 + 14, multipliée par le nombre 108 qui est le coefficient de A;
Deuxièmement : la somme des carrés des mêmes termes 5, 8, 11, 14, multipliée par le nombre 54, qui est le coefficient de A2.
Et ainsi de suite, au cas où il y aurait encore des puissances de A de degré inférieur au degré proposé trois.
Ces soustractions faites, on retranche encore la quatrième puissance du premier terme proposé, 5.
Enfin l’on retranche le nombre 3 (raison de la progression) élevé lui-même à la quatrième puissance et pris autant de fois que l’on considère de termes dans la progression, ici quatre fois.
Le reste de la soustraction sera un multiple de la somme cherchée; ce sera le produit de cette somme par le nombre 12, qui est le coefficient de A3, c’est-à-dire le coefficient du terme A élevé à la puissance proposée trois.
Ainsi, dans la pratique, on devra former la quatrième puissance de 17, soit 83 521, puis en retrancher successivement :
Premièrement, la somme des termes proposés 5 + 8 + 11 + 14, soit 38, multipliée par 108, — c’est-à-dire le produit 4104 ;
Puis la somme des carrés des mêmes termes, 52 + 82 + 112 + 142, ou 25 + 64 + 121 + 196, ou encore 406, qui, multipliée par 54, donne 21924 ; Puis le nombre 5 à la quatrième puissance, soit 625 ;
Enfin le nombre 3 à la quatrième puissance, soit 81, multiplié par quatre, ce qui donne 324. En résumé on doit retrancher les nombres 4104,
On voit que cette règle pascalienne joue le rôle d’un véritable substitut du calcul infinitésimal ici dans sa préhistoire et encore à la recherche de ses fondements et de son langage propre.
La somme ainsi calculée devient celle des « tranches » infinitésimales que l’on peut découper dans une surface et qui, d’une certaine façon, la constituent. Et de même des volumes infinitésimaux... Ce qu’en langage du temps, on appelait des « indivisibles ».
Le passage du nombre au continu géométrique n’est possible que sous la supposition fondamentale ici « qu’on n’augmente pas une grandeur continue lorsqu’on lui ajoute, en. tel nombre qu’on voudra, des grandeurs d’un ordre inférieur d’infinitude », ainsi le point à la ligne, la ligne à la surface, etc.
Et Pascal, ici au seuil du calcul infinitésimal, laisse éclater son admiration pour cette liaison que « la nature éprise d’unité établit entre les choses les plus éloignées en apparence » et que traduit ce possible passage du discret au continu. Unité qu’il rappellera sans cesse et dont l’existence est à ses yeux comme la condition de possibilité même des sciences, étendant progressivement leur domaine autour d’un centre, comme on l’a vu pour la théorie générale des équilibres.
Cette différence des ordres de grandeur servira ailleurs à penser et décrire la différence et distance infinie qui séparent l’un de l’autre les trois ordres des corps, des esprits et de la charité (Pensées Lafuma 308), et ce, même s’il existe des proportions qui se conservent lorsqu’on passe d’un ordre à l’autre, et comme une sorte de similitude mais qui ne se voit et se découvre que d’en haut, depuis le site où l’œil peut enfin découvrir les parentés cachées, interpréter et reconnaître les traces.
Ce texte (le seul de quelque technicité que nous proposons dans ce recueil) pourra intéresser les élèves des classes scientifiques qui y découvriront une page de l’histoire qui mène à l’actuelle notion d’intégrale. Une note à la fin du texte de Pascal (dont nous donnons la traduction établie par Drion et reprise dans l’édition des Grands Écrivains) expliquera brièvement le principe qui autorise à négliger les quantités d’un ordre de grandeur inférieur à celles considérées.
Nous le ferons suivre du fragment 308 des Pensées (qui est le n° 793 de l’Édition Brunschvicg) auquel il donne sa signification et sa valeur.
La différence des ordres
La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle.
Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit. La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair (1). La grandeur de la sagesse, qui n’est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différents de genre (2).
Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles, où elles n’ont pas de rapport. Ils sont vus non des yeux, mais des esprits ; c’est assez. Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps, ni des esprits curieux : Dieu leur suffit.
Archimède, sans éclat, serait en même vénération (3). Il n’a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. Oh! qu’il a éclaté aux esprits! Jésus-Christ, sans bien, et sans aucune production au-dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’invention, il n’a point régné ; mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh! qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur, et qui voient la sagesse!
Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu’il le fût. Il eût été inutile à notre Seigneur Jésus-
1. En juin 1652, Pascal écrivait à la reine Christine de Suède : « le pouvoir des rois sur ses sujets n’est, ce me semble, qu’une image du pouvoir des esprits sur les esprits... Ce second empire me paraît même d’un ordre d’autant plus élevé que les esprits sont d’un ordre plus élevé que les corps. »
2. Différents de genre : c’est le terme utilisé dans l’énoncé latin du canon generalis (ou règle générale) de la Sommation des puissances numériques : « quantitates cujusvis generis quantitati superioris generis additas nihil ei superaddere » (des quantités d’un genre quelconque ajoutées a une quantité d’un genre supérieur, ne lui ajoutent rien).
3. Archimède (287-212) est aux yeux de Pascal, comme de ses prédécesseurs et ■ de ses contemporains, le géomètre par excellence. Le XVIIe siècle reçoit en effet
son héritage, le reprend et essaie de le continuer qu’il s’agisse notamment de la détermination des centres de gravité, ou des problèmes de quadrature et cubature (questions traitées par Pascal dans ses travaux sur la cycloïde en 1658-1659).
«
generalis » (ou règle générale) qu'en utilisant le symbolisme moderne nous pourrions écrire sous la forme :
ra am + 1 J0xmdx= m+i
On voit que cette règle pascalienne joue le rôle d'un véritable substitut du calcul infinitésimal ici dans sa préhistoire et encore à la recherche de ses fondements et de son langage propre.
La somme ainsi calculée devient celle des « tranches » infini tésimales que l'on peut découper dans une surface et qui, d'une certaine façon, la constituent.
Et de même des volumes infini tésimaux ...
Ce qu'en langage du temps, on appelait des « indivi sibles ».
Le passage du nombre au continu géométrique n'est possible que sous la supposition fondamentale ici « qu'on .n'augmente pas une grandeur continue lorsqu'on lui ajoute, en.
tel nombre qu'on vou.dra, d~s grandeurs d'un ordre inférieur d'infinitu de », ainsi le point à la ligne, la ligne à la surface, etc.
Et Pascal, ici au seuïi du calcul infinÎtésimal, laisse éclater son admiration pour cette liaison que « la nature éprise d'unité établit entre les choses les plus éloignées en apparence » et que traduit ce possible passage du discret au continu.
Unité qu'il rappellera sans cesse et dont l'existence est à ses yeux comme la condition de possibilité même des sciences, étendant progres sivement leur domaine autour d'un centre, comme on l'a vu pour la théorie générale des équilibres.
Cette différence des ordres de grandeur servira ailleurs à penser et décrire la différence et distance infinie qui séparent l'un de l'autre les trois ordres des corps, des esprits et de la charité (Pensées Lafuma 308), et ce, même s'il existe des propor tions qui se conservent lorsqu'on passe d\i.n ordre à l'autre, et comme une sorte de similitude mais qui ne se voit et se découvre que d'en haut, depuis le site où I'œil peut enfin découvrir les parentés cachées, interpréter et reconnaître les traces.
Ce texte (le seul de quelque technicité que nous proposons dans ce recueil) pourra intéresser les élèves des classes scien tifiques qui y découvriront une page de l'histoire qui mène à l'actuelle notion d'intégrale.
Une note à la fin du texte de Pascal (dont nous donnons la traquction établie par Drion et reprise dans l'édition des Grands Ecrivains) expliquera brièvement le principe qui autorise à négliger les quantités d'un ordre de grandeur inférieur à celles considérées.
Nous le fer;ons suivre du fragment 308 des Pensées (qui est le n° 793 de !'Edition Brunschvicg) auquel il donne sa significa tion et sa valeur.
100.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. » Blaise Pascal, Pensées, 397. Commentez cette citation.
- La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. Pensées (1670), 397 Pascal, Blaise. Commentez cette citation.
- La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. [ Pensées (1670), 397 ] Pascal, Blaise. Commentez cette citation.
- Différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. - En l'un, les principes sont palpables, mais éloignés de l'usage commun ... Mais dans l'esprit de finesse, les principes sont dans l'usage commun et devant les yeux de tout le monde. [ Pensées (1670), 1 ] Pascal, Blaise. Commentez cette citation.
- Connaissons donc notre portée; nous sommes quelque chose, et nous ne sommes pas tout; ce que nous avons été nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant; et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini. [ Pensées (1670) ] Pascal, Blaise. Commentez cette citation.