Le calcul contre l'évidence de W. G. LEIBNIZ
Publié le 08/01/2020
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L'évidence* des idées claires et distinctes est-elle un critère parfait de certitude ? On peut le discuter, et Leibniz préférera à l’évidence le calcul, plus sûr et moins subjectif.
L’appel aux idées n’est pas toujours sans danger, et beaucoup d’auteurs abusent du prestige de ce terme pour donner du poids à certaines de leurs imaginations ; car nous ne possédons pas l’idée d’une chose du fait que nous avons conscience d’y penser, comme je l’ai montré plus haut par l’exemple de la plus grande des vitesses. Je vois aussi que de nos jours les hommes n’abusent pas moins de ce principe si souvent vanté : « tout ce que je conçois clairement et distinctement d’une chose est vrai et peut être affirmé de cette chose3 ». Car souvent les hommes, jugeant à la légère, trouvent clair et distinct ce qui est obscur et confus. Cet axiome est donc inutile si l’on n’y ajoute pas les critères du clair et du distinct (...), et si la vérité des idées n’est pas préalablement établie. D’ailleurs, les règles de la LOGIQUE VULGAIRE, desquelles se servent aussi les géomètres, constituent des critères nullement méprisables de la vérité des assertions, à savoir qu’il ne faut rien admettre comme certain qui n’ait été prouvé par une expérience exacte ou une démonstration solide. Or, une démonstration est solide lorsqu’elle respecte la forme prescrite par la logique ; non cependant qu’il soit toujours besoin de syllogismes4 disposés selon l’ordre classique (...) mais il faut du moins que la conclusion soit obtenue en vertu de la forme. D’une telle argumentation conçue en bonne et due forme, tout calcul fait selon les règles fournit un bon exemple. Ainsi, il ne faut omettre aucune pré-
3. Cf. textes 9 et 10.
4. Le syllogisme est un type de démonstration formalisé par Aristote, au terme de laquelle deux propositions étant données (les prémisses), la conclusion se tire nécessairement. Par exemple :
Tous les hommes sont mortels
Tous les philosophes sont des hommes
Donc tous les philosophes sont mortels.
«
misse nécessaire, et toutes les prémisses doivent ou bien être
démontrées préalablement, ou bien n'être admises que comme
hypothèses, et dans ce cas la conclusion aussi n'est qu'hypo
thétique.
Ceux qui suivront ces règles avec soin se garderont
facilement des idées trompeuses.
G.
W.
LEIBNIZ, Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées (1684), in Opuscules philosophiques choisis, trad.
P.
Schrecker, Vrin, 1969, pp.
14-15.
POUR· MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
L'évidence est un critère de vérité insuffisant, parce que
subjectif.
Il repose sur une inspection de l'esprit (la cons
cience que nous avons de penser à quelque chose).
Il man
que donc à la règle cartésienne des idées claires et distinc
tes un critère objectif, qui nous permette de savoir à quoi
reconnaître le clair et le distinct, autrement que par l'atten
tion que nous y portons.
L'évidence peut être trompeuse.
Où trouver alors les cri
tères objectifs du clair et du distinct, et donc de la certitude ?
Dans les règles de la logique, c'est-à-dire dans le respect de
la forme logique du raisonnement, dont la non-contradiction
est le principe le plus universel.
Le syllogisme des Anciens
en fournit un exemple.
Les mathématiques aussi, mais Leib
niz retient d'elles moins, comme Descartes, la clarté des intui
tions que la rigueur du formalisme.
Le calcul, manipulation réglée de signes, telle que la con
clusion est nécessaire et immanquable, devient la règle
suprême de la vérité : règle machinale, mais par conséquent
plus sûre et plus objective que l'appel à l'évidence.
On peut qualifier la conception cartésienne d'intuition
nisme (cf.
texte 10) et lui opposer le formalisme de Leibniz..
»
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