Le but de l'art est-il de représenter la réalité ?
Publié le 26/10/2005
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L’art désigne d’une part un savoir-faire et d’autre part une production capable de procurer du plaisir, par sa beauté. Ce plaisir procuré par l’œuvre d’art est, pour certains, dû à la ressemblance de l’œuvre avec la réalité : on reconnaît le réel dans l’art.
Mais est-ce vraiment là le but de l’art ? Au contraire, l’art n’a-t-il pas pour vocation de dépasser la réalité, de s’élever au-dessus d’elle pour nous procurer du plaisir par une élévation de l’esprit ?
«
Hegel rompt avec Kant, pour qui la beauté naturelle tient une large part.
Lacontemplation de la belle nature accordemystérieusement l'imagination et l'entendement.
Hegel rejette la beauténaturelle, car la beauté artistique étant un produit de l'esprit lui estnécessairement supérieure.
C'est pour nous et non en soi et pour soi qu'unêtre naturel peut être beau.
L'imitation de la nature n'est donc pas de l'art,tout au plus un exercice d'habileté, par lequel on imite le Créateur.
Il y a plusde plaisir à fabriquer des outils ou des machines qu'à peindre un coucher desoleil.
La valeur de l'art est tout autre : c'est l'esprit à l'oeuvre, qui s'arrachede la nature en la niant.
Au moyen de l'art, l'homme se sépare de la nature etse pose comme distinct.
L'art peut donc faire l'objet d'une science, penseHegel, il suffit d'en montrer la nécessité rationnelle dans l'histoire del'humanité.
L'oeuvre d'art ne décrit pas une réalité donnée, elle n'est pas faitepour notre plaisir, mais l'art est en son essence une intériorité qui cherche às'exprimer, à se manifester ; c'est un contenu qui cherche une forme, un sensqui veut se rendre matériel.
On ne peut le condamner pour son apparence,car il faut bien à la vérité une manière de se montrer.
L'art étanthistoriquement la première incarnation de l'esprit, il se confond d'abord à lareligion : la religion grecque est l'art grec lui-même.
Ce sont Homère etHésiode qui ont inventé les dieux grecs.
Cet âge d'or de l'art, que Hegeldéfinit comme "classique", sera dépassé par l'art romantique avec l'apparitiondu christianisme.
La religion chrétienne est essentiellementanthropomorphique : le divin est le Christ, soit une pure individualité charnelle, qui a souffert et qui est morte encroix.
Seul l'art peut ici donner une représentation charnelle de ce divin, dont le passage historique a été fugitif, etsi l'art est mort dans notre société moderne, c'est probablement pour la raison que la spiritualité chrétienne ne suffitplus tout à fait aux besoins de l'esprit.
Le beau est une idée, soit l'unité d'un concept et de la réalité.
Le concept est l'âme tandis que la réalité en estl'enveloppe charnelle.
Le beau est donc la manifestation sensible de cette unité ; il exprime une réconciliation.
Il estnaturel qu'il échappe à l'entendement qui sépare et qui divise, de même qu'à la volonté qui cherche à soumettrel'objet à ses propres intérêts.
Tout ce qui est libre, indépendant, infini, conforme à la seule nécessité de sonconcept, peut être dit beau.
De plus, un bel objet est vrai, puisqu'il est conforme à son être.
Cela implique qu'aucunorganisme vivant ne pourra être beau, parce que soumis au besoin, il n'a pas de véritable liberté.
Seule la beautéartistique peut être accomplie : elle représente l'idéal.
L'idéal est soustrait de la vie quotidienne imparfaite etinauthentique.
Il incarne l'universel dans l'individualité absolument libre et sereine : le symbole en est l'individualitéapollinienne, perfection d'harmonie et de forme, sérénité conquise sur la douleur.
En un sens, cette beauté idéaleest hors du temps et de l'histoire, symbole de l'éternité.
Si cet idéal de beauté est désormais révolu, alors qu'ilculminait dans l'art grec, c'est que l'organisation sociale et la production économique sont devenues prévalentes,soudant les individus dans des rapports de besoin, d'échange et de travail complexes et étroits.
L'Idéal ne peut pluss'incarner dans l'art, il s'est incarné dans l'État et la politique à la fin du xixe siècle et au cours du xxe siècle.
Onpeut toutefois remarquer qu'à notre époque présente, ces deux formations ne semblent plus animées par lesaspirations spirituelles les plus hautes des individus et de la collectivité.
Nous vivons dans l'ère du nihilisme queNietzsche avait diagnostiquée à la fin du xixe siècle.
II – La nature imite l'art
Pour l'écrivain Oscar Wilde, c'est au contraire la nature qui imite l'art dans le sens où elle nous apparaîttelle qu'elle nous est représentée dans l'art.
Wilde, Intentions :
« Qu'est-ce donc que la Nature ? Elle n'est pas la Mère qui nous enfanta.
Elle est notre création.
C'estdans notre cerveau qu'elle s'éveille à la vie.
Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons, etcomment nous les voyons, dépend des arts qui nous ont influencés.
Regarder une chose et la voir sont deux actestrès différents.
On ne voit quelque chose que si l'on en voit la beauté.
Alors, et alors seulement, elle vient àl'existence.
A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu'il y en a, mais parce que des poètes et despeintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets.
Des brouillards ont pu exister pendant des siècles àLondres.
J'ose même dire qu'il y en eut.
Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d'eux.
Ilsn'existèrent qu'au jour où l'art les inventa.
Maintenant, il faut l'avouer, nous en avons à l'excès.
Ils sont devenus lepur maniérisme d'une clique et le réalisme exagéré de leur méthode donne la bronchite aux gens stupides.
Là oùl'homme cultivé saisit un effet, l'homme d'esprit inculte attrape un rhume.
»
Oscar Wilde affirmait paradoxalement que, contrairement à ce qu'on admet volontiers, c'est la nature qui imite l'art.La formule peut sembler excessive, mais elle correspond aux transformations historiques de la sensibilité, qui ne peutdécouvrir de beauté dans la nature ou ailleurs qu'à partir du moment où la nature elle-même a été représentée entenant compte de certaines exigences formelles.
C'est d'abord La Nouvelle Héloïse qui a décrit les correspondancespossibles entre un paysage et l'humeur d'un personnage, révélant de la sorte à ses lecteurs une dimension «émotionnelle » de la nature, dans laquelle peut se singulariser un regard esthétique sur l'ensemble de la nature.
Toutcomme, ensuite, de manière plus précise, c'est la peinture de Friedrich qui commence à enseigner la beauté des.
»
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