Le bonheur sans illusion est-il concevable ?
Publié le 08/01/2005
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On définit le bonheur comme un état de satisfaction durable, et on le pose souvent comme la recherche finale de toute vie humaine. Le contenu du bonheur pose cependant problème : de quoi le bonheur est-il fait ? Quelles sont les conditions de son obtention ? Peut-on travailler à son bonheur, ou le bonheur est-il un état qui nous échoit ou non sans que nous puissions vraiment être sa cause ? Une illusion est une erreur que l’on tient pour une vérité. Nous entretenons avec elle le même rapport qu’avec une vérité, alors même qu’elle est le contraire d’une vérité. Concevoir une chose, c’est la construire par l’esprit : le sujet demande donc si l’on peut penser un bonheur qui serait exempt de tout écart par rapport à la réalité, un bonheur basé sur une connaissance exacte de la réalité même dans ses éléments les plus sombres. La perspective présupposée par le sujet est donc assez pessimiste, puisqu’elle met en doute la possibilité de la conception d’un réel bonheur sans l’aide de l’illusion et donc de l’erreur. Il faudra interroger ce présupposé pour proposer une conception du bonheur qui s’y accorde ou bien s’en détache – la philosophie a abondamment travaillé sur la seconde de ces alternatives.
«
Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs
« Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désirqu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire entermes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut.
La raisonen est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dansleur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés àl'expérience ; et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, unmaximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma conditionfuture, est nécessaire.
Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et enmême temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé dece qu'il veut ici véritablement.
Veut-il la richesse ? Que de soucis, qued'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-ilbeaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que luidonner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autantplus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et quisont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore sesdésirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire.
Veut-il une longue vie ? Quilui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ? Veut-il du moins lasanté ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait faittomber une santé parfaite, etc.
!
Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendraitvéritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience.
(...) Il suit de là que les impératifs de la prudence, àparler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objectivecomme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour descommandements (proecepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d'une façon sûre et générale quelleaction peut favoriser le bonheur d'un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n'y a donc pas à cetégard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheurest un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont onattendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d'une série deconséquences en réalité infinie...
»
L'objet de la « Dialectique » de la raison pure pratique, c'est le souverain bien , défini comme l'accord de la vertu et du bonheur, dont nous avons besoin en tant qu'êtres doués d'une sensibilité.
La vertu et le bonheur sont liésdans le concept du souverain bien.
Par suite, il faut déterminer la nature de cette liaison, de cette unité.
Ou bienelle est analytique et il faut affirmer l'identité de la vertu et du bonheur ; ou bien elle est synthétique et il faut direalors que la vertu engendre le bonheur.
Les deux grandes écoles morales de l'antiquité, stoïcisme et épicurisme, ontadopté le principe commun de l'identité du bonheur et de la vertu, mais elles l'ont conçu de façons différentes.
Tousdeux se trompaient en ceci qu'ils considéraient l'unité du concept de souverain bien comme analytique, alors qu'elleest synthétique ; en d'autres termes, leur erreur commune était de considérer comme identiques deux élémentshétérogènes ou du moins de regarder l'un des deux comme faisant partie de l'autre : « Le stoïcien soutenait que la vertu est tout le souverain bien et que le bonheur n'est que la conscience de la possession de la vertu, en tantqu'appartenant à l'état du sujet.
L'épicurien soutenait que le bonheur est tout le souverain bien –et que la vertun'est que la forme de la maxime à suivre pour l'acquérir, cad qu'elle ne consiste que dans l'emploi rationnel desmoyens de l'obtenir. »
Or, les maximes de la vertu et les maximes du bonheur relèvent de principes totalement différents.
Si la vertu et lebonheur sont liés, cad si le souverain bien est pratiquement possible, ce ne peut être qu'en vertu d'une liaisonsynthétique.
On doit donc poser le problème ainsi: « Il faut ou que le désir du bonheur soit le mobile des maximes de la vertu, ou que la maxime de la vertu soit la cause efficiente du bonheur.
»
Or ces deux solutions apparaissent également impossibles : la première parce qu'aucun mobile sensible ne peutdéterminer une volonté bonne ; la seconde parce que la vertu dépend de la loi morale, tandis que le bonheur dépendde lois naturelles, et qu'on ne voit pas, dans ces conditions, comme l'une peut produire l'autre.
Telle est l'antinomiede la raison pratique.
Cette antinomie se résout à peu près de la même façon que celle qui, dans la « CRP », mettait aux prises la nécessité naturelle et la liberté.
Là aussi, en effet, nous devons distinguer deux plans, le plan dusensible et le plan de l'intelligible.
la thèse selon laquelle le désir du bonheur serait le mobile des maximes de la vertuest absolument fausse.
Mais la thèse qui voit dans la maxime de la vertu la cause efficiente du bonheur n'est fausseque conditionnellement.
Dire que la vertu engendre le bonheur n'est faux que si nous considérons l'existence dans lemonde sensible comme la seule possible.
Si au contraire nous nous référons à l'existence nouménale : « il n'est pas impossible que la moralité de l'intention ait une connexion nécessaire, sinon immédiate, du moins médiate (parl'intermédiaire d'un auteur intelligible de la nature) comme cause, avec le bonheur comme effet dans le mondesensible .
»
Ce n'est pas la vertu en tant qu'elle est prise dans le monde des phénomènes qui engendre le bonheur, mais unecause nouménale en rapport avec la vertu.
En d'autres termes, c'est Dieu qui « proportionne le bonheur à la vertu.
« La morale n'est donc pas à proprement parler la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre.
»
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