Le bonheur réside-t-il dans le conformisme ?
Publié le 16/01/2010
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Nombreux sont les journalistes, les sociologues et les écrivains contemporains qui voient dans notre société l'avènement d'un conformisme où l'individu s'imagine trouver le bonheur. L'un d'entre eux, Jean Cazeneuve, affirmait dès 1966 que « la formule de l'homme heureux de demain, ce sera le conformisme «. Il s'agit bien là pour lui d'une sorte de « recette «, de secret pour être heureux, hors duquel il ne sera pas de salut. Notre société est-elle à ce point engluée dans une standardisation satisfaite ? Et surtout ses membres considèrent-ils unanimement que c'est là la seule « formule « du bonheur ?
«
clichés » qui constituent leur pensée, c'est « parce que les idées reçues servent leurs intérêts ou leurs impulsions,parce que cela leur donne bonne conscience et justifie leurs agissements » (Antidotes, 1977).
Si l'on pousse plusloin l'analyse, on peut conclure avec Paul Valéry, que « nous possédons en nous toute une réserve de formules, dedénominations, de locutions toutes prêtes, qui sont de pure imitation, qui nous délivrent du soin de penser, et quenous avons tendance à prendre pour des solutions valables et appropriées » (Variété, «Essais quasi politiques »).
III.
« Oser ne pas penser comme les autres» (Ionesco).
1.
Une illusion dangereuse.Mais ce « bonheur », ou du moins ce confort lié au conformisme aboutit souvent à la désillusion, voire àl'écœurement.
A la fin du roman, les héros de Georges Pérec constatent amèrement que leur course aux biens deconsommation les a conduits au désenchantement.
4« Ils étaient à bout de course, au terme de cette quêteindécise qui ne les avait menés nulle part, qui ne leur avait rien appris.
» Quant à Anne Desbaresdes, l'héroïne deModerato Cantabile de M.
Duras, son écceurement face au conformisme bourgeois du monde où elle vit se traduitmême physiquement : à la fin d'un repas de réception qu'elle a offert à des amis de son mari, elle rejette ces metstrop délicats, symboles d'une société « bien pensante » qu'elle tente de rejeter dans une aventure avec un ouvrier :« elle vomira, là, longuement, la nourriture étrangère que ce soir elle fut forcée de prendre ».D'autre part, le conformisme entraîne comme corollaire la perte de l'individualité, la standardisation de l'individu.
Or, ilest impossible de ne pas voir combien il est dangereux pour l'homme de perdre son originalité.
Jean Guéhennoconstatait que dans une société gagnée par le conformisme « le plus mauvais de chacun définit son snobisme, qui,par l'intermédiaire des autres, tend à se généraliser.
Tout respect de la nature vraie et profonde se perd et s'oubliedans cette dégradation peut-être inévitable » (Carnets du vieil écrivain, 1971).
Dans une société où « notre pensée— ou ce que nous prenons pour notre pensée — n'est qu'une simple réponse automatique » (Valéry, Variéte) quellepeut être la place de l'invention, donc du progrès ? Une humanité conformiste serait réduite à piétiner sur place,incapable qu'elle serait de prendre le moindre risque.Enfin, le conformisme peut entraîner l'individu à se laisser aller au fanatisme, voire au crime pour « faire comme toutle monde » : c'est le sujet du film de B.
Bertolucci, Le Conformiste où le héros va jusqu'à l'assassinat pour s'intégrerà la société fasciste qui l'entoure.
C'est aussi ce que décrit Ionesco dans Rhinocéros, où seul Bérenger, le moinsconformiste des personnages de la pièce, parvient à résister à l'épidémie de « rhinocérite » qui transforme tous leshabitants d'une petite ville en rhinocéros.
Ionesco a d'ailleurs souvent repris cette réflexion sur les dangers duconformisme, notamment dans Notes et contre-notes (1961) : « les rhinocérites, à droite, à gauche, les plusdiverses, constituent les menaces qui pèsent sur l'humanité qui n'a pas le temps de réfléchir, de reprendre sesesprits, ou son esprit, elles guettent les hommes d'aujourd'hui qui ont perdu le sens et le goût de la solitude ».
2.
Richesse de l'originalité.En réalité, cependant, cette marche de notre société vers le conformisme n'est pas aussi inéluctable que l'onpourrait le croire.
Si les médias sont un puissant facteur d'uniformisation de la pensée, ils ouvrent aussi un accès àla vision critique de la société.
Grâce à l'ouverture sur le monde qu'ils nous apportent, ils nous montrent la diversité,la richesse de ce qui nous est étranger.
Quant à l'école, c'est aussi le lieu où l'enfant, puis l'adolescent apprennentà raisonner, à remettre les choses en question au lieu de les accepter telles qu'elles lui sont imposées.
Ainsi l'hommecontemporain peut ressentir le besoin de s'affirmer en tant qu'individu, et non de se confondre dans la masse : « Nepas penser comme les autres, cela veut dire simplement que l'on pense » (Ionesco, Antidotes).Face aux idéologies totalitaires, il est des hommes qui résistent, parfois au prix de leur liberté, parfois au prix de leurvie, refusant de s'intégrer à un système de pensée auquel ils ne peuvent adhérer.Face aux modes et aux snobismes — qui ne datent pas de notre siècle — il est des individus qui savent rester eux-mêmes, des artistes qui savent créer des formes nouvelles, des savants qui font avancer la recherche sans selaisser paralyser par ce que la majorité croit juste.
Conclusion
Jean Cazeneuve exprime une vision du monde assez largement partagée, et pessimiste.
Or, s'il est vrai que bien desaspects de l'évolution du monde moderne sont inquiétants, il n'est pas moins vrai que la tentation du conformismen'est pas nouvelle chez l'être humain et qu'elle ne triomphe pas toujours.
Il existe bien des « contre-poisons » àcette tentation : l'esprit critique est sans doute le plus efficace.
« La seule société vivable est celle où chacun peutrester « autre » au milieu de ses semblables.
La seule éducation digne de ce nom est celle qui développe chez lesindividus les qualités morales et intellectuelles qui leur permettront de vivre en collectivité sans céder aux modes etaux passions en gardant leur lucidité et leur raison » (Ionesco, Le Monde, 1980)..
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